
L’architecte américain Eric Carlson et l’architecte français Pierre Tortrat, fondateurs en 2004 à Paris de l’agence Carbondale, ont livré au printemps 2008 le mobilier du penthouse d’un industriel japonais. Formes traditionnelles et coutumes nippones enrichies d’une touche high-tech sont à l’origine d’une réalisation étonnamment épurée et contemporaine. Découverte.
Si le nom d’Eric Carlson ne vous évoque rien de prime abord, vous connaissez inévitablement la plus prestigieuse de ses réalisations. Cet architecte américain, qui a collaboré avec les plus grands noms sur la scène internationale et à qui l’on doit de somptueuses boutiques Louis Vuitton à travers le monde, n’est autre que l’auteur du célèbre mégastore de la marque sur les Champs-Elysées, dont il a imaginé l’architecture intérieure et extérieure dans son intégralité.
Nouveau terrain d’expérimentation pour l’imagination foisonnante et le coup de crayon acéré d’Eric Carlson : un luxueux penthouse situé au coeur de Tokyo, dans le très tendance quartier d’Aoyama. Pour habiller ce lieu d’exception, qui flirte avec les cieux de la capitale nippone, et y recréer une atmosphère inspirée de la forêt, CARBONDALE a conçu une ligne complète de mobilier de bois massif. Pas moins de 24 pièces uniques constituent cet ensemble, pensé dans le respect des traditions japonaises, mais aussi des habitudes de l’occupant, pour un intérieur au langage singulier, où la personnalisation trouve sans doute son expression la plus aboutie.
L’univers de la forêt urbaine
Un univers de bois dans un écrin de verre ou comment reconstituer une forêt urbaine dans un havre de paix : voici la mission confiée à CARBONDALE par un riche industriel japonais, spécialisé dans l’exploitation du bois. En véritable hédoniste, ce dernier s’accorde de temps à autre un moment hors du temps dans son luxueux penthouse tokyoïte, situé au sommet d’un building du quartier d’Aoyama. Un îlot de sérénité entre ciel et terre, pour lequel il a souhaité un mobilier d’inspiration naturaliste, empreint de l’onirisme et de l’harmonie tout en verticalité des forêts.
Seule contrainte pour cet exercice de style : utiliser du bois en provenance de l’une des forêts que le commanditaire possède en Nouvelle-Zélande. Ce qui, au départ, semblait être une formalité pour l’agence, habituée aux plus spectaculaires défis architecturaux, s’est avéré une véritable gageure. En effet, la matière première fournie s’est révélée inexploitable en l’état pour concevoir un mobilier à la fois résistant, convenant aux usages d’un habitat contemporain et respectant le mode de vie traditionnel japonais.

En donnant carte blanche à l’équipe CARBONDALE, orchestrée par Eric Carlson et Pierre Tortrat, le propriétaire des lieux n’a fait qu’attiser la créativité de ces professionnels aguerris du design mobilier. C’est grâce à son savoir-faire et à sa réactivité que l’agence a su traduire les exigences de son client pour y apporter une réponse inédite, tout en s’appuyant sur son remarquable réseau de sous-traitants et d’artisans, capables de réaliser de véritables prouesses techniques au service de réalisations de luxe.
L’innovation technique au service de la création
Afin d’utiliser exclusivement le bois mis à disposition par le commanditaire, une variété de pin appelée ‘radiata’, CARBONDALE a passé en revue une multitude de techniques, allant de la solution chimique jusqu’au traitement réservé au cuir, avant de mettre au point un procédé inédit de compression. Rendant le bois totalement compact et beaucoup plus résistant, celui-ci permet d’obtenir une densité équivalente à celle observée au bout de 30 ans dans des forêts de conifères évoluant selon un cycle de vie classique.

D’un point de vue purement écologique, cette méthode relève d’une démarche respectueuse de la nature, puisqu’elle permet de préserver des forêts anciennes, qui tendent à se raréfier en raison du retour en grâce de ce matériau, notamment dans la construction et l’ameublement, après l’air du « tout plastique ». Une démarche écologique qui laisse entrevoir de nombreuses applications à l’échelle mondiale, un système renouvelable, précurseur et innovant.
Côté créativité, l’équipe CARBONDALE perçoit les contraintes comme autant d’opportunités de libérer son imagination. Pas étonnant donc que l’agence ait accepté et apprécié ce pari, qui a abouti sur l’élaboration d’un procédé novateur, permettant de métamorphoser un bois manquant de maturité en un ensemble de 24 pièces de mobilier, toutes plus surprenantes les unes que les autres.
Pureté et unité pour un ensemble au design inédit
Fil conducteur de cet ensemble de mobilier, la pureté des lignes s’inscrit dans le plus pur respect des formes traditionnelles, ainsi que des coutumes nippones et des usages quotidiens de l’occupant, tout en s’enrichissant d’une touche high-tech et des dernières évolutions en matière d’ergonomie fonctionnelle.

Summum du luxe, comme cela se pratique chez les tailleurs les plus chics, chaque élément a été façonné selon la morphologie du propriétaire, afin d’en optimiser le confort, tout en décuplant le plaisir que procure un mobilier entièrement adapté à son mode de vie. Sans oublier les petites habitudes de ce collectionneur de vases émérite et grand amateur de saké, qui ont elles aussi inspiré la conception de ce mobilier totalement personnalisé.
Là où certains verraient une somme de détails, l’on découvre le souci de la précision poussé à l’extrême et soulignant la singularité d’une série « très limitée » : chaque pièce est unique de par sa fonction, sa forme, son ergonomie, tandis que l’ensemble se décrypte autour d’un concept, d’une ligne, d’une unité de ton et de matériau.
Petite incursion dans un univers onirique
Dès l’entrée, le tempo est donné et tout a été pensé pour respecter les coutumes nippones ancestrales : se déchausser, procéder au rite des ablutions, s’adonner au cérémonial d’une cave à sakés, joyau de technologie et raffinement libertin par excellence… Ici, tout n’est que luxe, calme et volupté…
Pièce centrale de ce penthouse, le séjour décline des éléments de bois ornés de notes de verre, comme cette table au profil élancé, autour de laquelle on prend place à la japonaise, au niveau du sol, tandis que de petites consoles viennent parfaire le tout pour poser son verre, son livre…
Véritable jeu de construction, la chaise longue repose sur une savante combinaison de pièces de bois, qui suit la courbe du dos, épouse – ici le creux d’un rein – là le galbe d’une hanche – pour mieux se lover au niveau de l’assise.

Le must de cet ensemble : la table à manger, avec pas moins de 512 pièces de bois formant une vague inversée. Un subtil assemblage aux rondeurs callipyges, que l’on découvre uniquement lorsque l’on est assis au ras du sol, tel un paysage minéral aux courbes parfaites. Disposée sur la terrasse, comme ondulant au centre de cet espace auréolé du ciel tokyoïte, elle est entourée de chaises sculptées selon la morphologie de l’hôte, mais toujours prêtes à recevoir des convives venus humer les effluves d’un barbecue version yakitori.
Des formes tout en souplesse pour un matériau conjuguant noblesse et robustesse : dans cette ambiance, rien n’a été laissé au hasard. Partout où il se pose, le regard reste comme suspendu à l’harmonie des lignes, à la rythmique composée par les fines baguettes de bois qui constituent cet ensemble de mobilier, mikado fonctionnel spécialement imaginé pour le plaisir des yeux.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 9 juillet 2008