
Peut-on imaginer de construire un projet sur une colline sacrée depuis le Moyen-âge, qui plus est à côté d’un des chefs-œuvre de l’architecture moderne ? «Oui, si c’est pour réhabiliter et pérenniser l’esprit d’origine du site en minimisant sa transformation». Après maintes polémiques et pétitions, tel fut l’argument permettant de confier à l’architecte Renzo Piano un projet sur le site de l’église Notre-Dame-du-Haut de Ronchamp. Découverte.
Dans un respect absolu du site, Renzo Piano a conçu trois entités : une maison d’accueil et un parking paysager remplaçant des structures indignes d’accueillir plus de 100.000 visiteurs et pèlerins venus du monde entier chaque année, ainsi que le monastère des sœurs clarisses dans l’objectif de revaloriser la dimension spirituelle d’un site qui devenait, au fur et à mesure du temps, un ‘spot’ touristique.
La mission semblait complexe. Comment intégrer un nouveau projet dans ce paysage naturel exceptionnel ? Comment assurer la présence du projet sans entrer en compétition avec l’église de Le Corbusier ? Comment conférer une dimension sacrée et spirituelle au projet ?

Livré en septembre 2011 après trois ans de travaux, le projet de l’architecte italien répond à ces questions à travers une architecture dont la sobriété formelle, maîtrisée de part en part, doit sa charge émotive à son interaction avec l’environnement.
La visite du site commence par l’ascension de la colline Bourlémont, comme le font les pèlerins depuis plus de dix siècles. Les visiteurs passionnés ont ainsi l’impression de suivre un parcours spirituel afin d’aller célébrer Le Corbusier et sa chapelle.
Cent-cinquante mètres plus haut, le sommet de la colline est ouvert aux quatre vents et offre une vue imprenable sur les Vosges, le Jura et les plaines étendues de la Saône. C’est ici, sur ce lieu de sérénité et de silence, que Le Corbusier construisit, en 1955, dix ans après la destruction de l’ancienne chapelle, un de ses chefs-œuvre. A l’époque, il n’avait plus toute confiance en la Machine et son potentiel progressiste. Le purisme du dessin évoluait vers un univers plus brut, plus archaïque, plus organique.

Ce qui frappe à la découverte du lieu est le mariage entre la chapelle et son environnement, un «évènement plastique», selon l’architecte. Une masse brute flamboie sous le soleil au milieu de la colline. Sa forme primitive entre parfaitement en résonance avec les silhouettes des montagnes environnantes ; le grand paysage semble ainsi se composer autour de la chapelle.
Ayant à cœur de garder intact cet ensemble composé de la colline, de la chapelle et des vues, l’efficace parti-pris de Renzo Piano consiste à soulever la pente de la colline en y faisant des entailles afin d’y enfouir les nouveaux bâtiments. Ainsi, depuis la colline, rien n’émerge, alors que, au sein des nouveaux espaces, des façades entièrement vitrées offrent une vue imprenable sur le paysage.
Ce principe d’escamotage des bâtiments dans le paysage trouve son écho dans une architecture dépouillée témoignant à la fois d’une maîtrise technique et d’une sensibilité. La moindre œuvre rapportée est chassée et l’ensemble des ouvrages construits s’accomplit en deux éléments essentiels : la surface de béton apparent et la ligne d’aluminium blanche.
Grâce à un travail comparable à l’art culinaire, Renzo Piano a mis en œuvre un béton si fin et lumineux, laissé apparent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, qu’il n’y a plus ni murs, sols ou plafonds mais uniquement des surfaces pour délimiter les espaces.
Les montants des menuiseries en aluminium toute hauteur sont réalisés en profil laqué blanc soigneusement finis. Ils se répètent rigoureusement selon une trame de 50 centimètres environ. Grâce à un verre extra blanc, le remplissage disparaît et la façade ressemble à un tableau abstrait composé de lignes blanches verticales ou encore à une partition de musique.

Cet après-midi là, en descendant de la chapelle par un petit chemin, la porte de l’oratoire du monastère est ouverte. Au travers du jardin d’hiver, une douce lumière y pénètre, éclairant la voûte et les murs en béton brut. La teinte orangée du sol se reflète sur la voûte en de multiples nuances créées grâce à une surface courbe. A travers la façade vitrée, la vue donne sur le jardin en premier plan, puis sur la forêt et enfin l’horizon lointain. Les reflets de la végétation caressent les murs et le sol.
Au contact des éléments immatériels, tels la lumière, les couleurs ou la végétation, les espaces dénués de tout superflu sont ainsi chargés en richesse spatiale et émotive. Sans recours à des typologies religieuses, Renzo Piano parvient ainsi à installer une atmosphère spirituelle.
Dans un communiqué, l’architecte italien a confié que le projet de Ronchamp est la plus petite mais aussi la plus complexe de toutes ses réalisations. Malgré de nombreuses contraintes – trois maîtres d’ouvrages, des bâtiments enterrés, un chantier contrôlé afin de maintenir la chapelle ouverte pendant les travaux, etc. – il est parvenu à réaliser une architecture à la fois délicate et puissante.
A presque soixante ans d’écart, une grande figure de l’architecture moderne et un grand représentant de l’architecture contemporaine se côtoient in fine sur la colline de Ronchamp. Deux sensibilités magnifiées suggèrent le dialogue entre une œuvre organique et brute et une autre rectiligne et raffinée.
Pour le visiteur, une expérience hors du commun.
Hyojin BYUN
Le blog de Hyojin Byun

Cette chronique est parue en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 12 décembre 2012