Le 20 avril 2024 s’est tenu à l’école d’architecture de Belleville, 60 boulevard de la Villette, à Paris (XIXe) un Forum des métiers de l’architecture ayant pour thème : Pratiquer, s’engager… De quelles façons être architecte aujourd’hui ?
Tout au long de l’après-midi plein de promesses de ce samedi d’avril, une dizaine d’ateliers permettaient aux étudiants de 3ème année de licence et de master ainsi qu’aux jeunes diplômés de découvrir « les différents métiers de la filière ». C’est vrai quoi, foin de vocation, l’architecture est devenue « une filière »…
La journée découverte des nouveaux métiers de l’architecture – c’est-à-dire tous ceux où il n’est nul besoin de se coltiner un maître d’ouvrage et un budget et de faire preuve de créativité architecturale – s’achevait avec une conférence plénière à laquelle participait notamment Christine Leconte, alors encore présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA).
Quelle est donc la valeur de ces nouveaux métiers ? Elle est désormais connue puisque redéfinie par un décret – passé discrètement durant l’entre-deux tours des élections législatives – concernant justement l’enseignement de l’architecture. D’apprendre ainsi que, à compter du 1er septembre 2024, le taux horaire appliqué aux cours magistraux sera de 62,09 €, contre un tarif de 82,23 € / heure appliqué précédemment par l’ENSA Paris-Malaquais par exemple. Le taux horaire des travaux dirigés passe, lui, à 41,41 €, au lieu de 53,34 € / heure auparavant. Byzance et l’architecture au Panthéon !
Ce n’est rien de l’écrire, Rachida Dati, ministre de la Culture et tutelle évanescente de l’architecture, ne s’est pas foulée pour cet arbitrage au centime près. Mais c’est en tout cas Leconte Christine qui doit être contente puisque, par arrêté du 4 juillet 2024 signé Dati Rachida, la présidente non réélue du CNOA a été nommée directrice de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville (ENSA-PB) et qu’elle prendra ses fonctions dès le 2 septembre. Un nouveau tarif s’applique-t-il à son traitement ?
Bref, pour les étudiants futurs architectes qui ne veulent pas construire tout en étant payé au lance-pierre,* l’ENSA-PB « is the place to be ». Enfin une école d’architecture qui va former des pseudo-architectes en leur apprenant à ne pas construire !
D’ailleurs, pourquoi devraient-ils ces jeunes impétrant(e)s avoir à se casser la nénette ? À supposer qu’ils investissent leur temps, leur talent, leur détermination pour obtenir un diplôme d’architecte ayant une quelconque signification, quel est leur horizon ?
Nous en avons parlé déjà mais les choix des élus parfois ne laissent pas d’étonner. Ainsi en est-il de cette énième décision datée du 12 juillet 2024 et signée de la Métropole Rouen Normandie. L’objet du concours restreint est la construction d’un centre des congrès de 11 000 m² sur le site de « l’îlot Lapeyre », comme son nom l’indique, situé rive droite au pied du pont Gustave Flaubert à Rouen. Un projet qui n’a rien de mystérieux. L’objectif de la maîtrise d’ouvrage est cependant impérieux : « La ligne directrice de ce secteur réhabilité consiste à proposer une architecture audacieuse, inscrite dans la modernité mais préservant l’histoire des lieux. Celle-ci complétée par une démarche environnementale forte ». Budget : 80 M€. Ouverture prévue : 2030.
C’est clair : gare à l’idiot ou l’idiote qui propose une architecture banale, inscrite dans l’histoire mais sans préserver celle des lieux, surtout avec une faible démarche environnementale.
Ils se relisent ces gens-là qui rédigent les attendus de concours où ont-ils pour habitude d’être payés pour écrire n’importe quoi ? Un flou qui en tout cas autorise toutes les audaces.
La preuve avec les trois groupements sélectionnés pour remettre une offre à la phase « projet » :
– Renzo Piano Building Workshop et AIA Ingenierie
– BIG – Bjarke Ingels Group A/S et BLP & Associés
– Zaha Hadid Architects et ARTEFACT
L’aveuglement, au mieux, l’irresponsabilité, au pire, des élus, surtout en ces temps troublés, laissent pantois !
Dit autrement, si n’importe lequel des représentants de la crème de la crème architecturale française, qui ne s’est pas privée de tenter sa chance, ne finit même pas sur le podium d’un tel appel à concourir sans difficulté particulière à Rouen, c’est-à-dire en cambrousse – ce n’est pas la pyramide du Louvre ! – quel est le message ? Que les architectes français sont des branquignols ? Certes le contrat du nouveau Centre de congrès s’inscrit dans un projet/programme financé par des fonds de l’Union européenne. Ceci expliquant peut-être cela, à condition of course que les élus de la Métropole de Rouen n’aient toujours pas entendu parler du Brexit. Sinon que fait là l’agence de Zaha Hadid basée à Londres puisque le Royaume-Uni a quitté l’union européenne depuis quelques années déjà ?
Trois sur trois donc pour les élus rouennais qui n’ont pas fini de s’ébaubir et de se féliciter de leur « audace » ! Si vraiment ces édiles voulaient de l’audace dont on parle dans 100 ans, ils pouvaient le confier à Frédéric Borel leur centre des congrès et ils étaient sûrs de ne pas se tromper !
Bref, si le gratin des architectes français peut rendre ses diplômes, pourquoi les nouveaux étudiants des nouveaux métiers de l’architecture de Belleville devraient-ils s’enquiquiner à l’acquérir ? Sans doute auront-ils bien raison, à l’instar de leur nouvelle directrice, sans jamais rien construire, de faire carrière d’architecte dans la fonction publique où la soupe est bonne et l’huile de coude pas au menu. Aller à l’école d’architecture pour ne pas apprendre à construire, un paradoxe bien français ! Et un discours efficace avec ça si la question est posée à l’élite normande !
Mais foin de calembredaines…
L’imprévisibilité des éléments est aujourd’hui une donnée que même les architectes, i.e. praticiens, ont du mal à prendre en compte : comment prévoir l’imprévisible ? Sécheresses, inondations, éboulements de terrain, rétraction des argiles, tornades, tempêtes de dimensions inconnues de mémoire d’homme, hausse du niveau de la mer, disparition des neiges en montagne, etc. Personne n’est plus à l’abri nulle part. Pourtant, comment pour les architectes tenter d’anticiper ?
D’autant que, dans ce domaine, tout est calme sur le front politique, l’écologie une espèce d’impensé, comme si l’humanité en général, la France en particulier, était désormais dans l’œil du cyclone, aveugle et insouciante. Pourtant la guerre hurle de partout ! Et cela ne va pas arranger le climat. Une période qui n’est pas sans rappeler celle des années folles, ces quelques années de bonheur et de tolérance et d’avancées sociales conséquentes, entre deux catastrophes, celle de 1929 et celle de 1939. Encore qu’à l’époque, les banquiers se jetaient par la fenêtre, aujourd’hui ils construisent des fondations dédiées au culte de leur personnalité.
Pour les maîtres d’ouvrage, le temps est cependant venu du moindre risque et de s’appuyer sur des agences qui auront les ressources financières pour mener les projets à bien. Mais eux-mêmes, au-delà du manque de visibilité politique, que peuvent-ils anticiper pour leurs projets sinon se couvrir au mieux d’une assurance qui prévoit les météorites, au cas où, les dinosaures, tout ça… ?
Dans le désordre politique et intellectuel ambiant, seuls les architectes semblent garder leur calme, aussi longtemps il est vrai qu’ils ont du travail. Or, en ce moment, pour les agences avec des références diverses et mal calibrées, les temps sont durs. Pour autant, chaque architecte qui livre un bâtiment vous explique que son bâtiment est là pour 100 ans, 50 ans au moins. C’est le cas. D’ailleurs, ces hommes et femmes de l’art mettent en œuvre, souvent avec intelligence, tout un tas de dispositifs destinés à anticiper le réchauffement et les canicules futurs.
Une école, un immeuble tertiaire, une usine, des logements… Les architectes consciencieux et engagés, nous l’avons vu, auraient de nombreuses et bonnes raisons de s’énerver mais à découvrir quelques-unes de leurs œuvres livrées récemment, pour le visiteur de se projeter à 50 ans de distance et se dire enfin que, peut-être, finalement, tout ne va pas si mal. Ces bâtiments en tout cas donnent le droit d’espérer qu’il y aura encore en 2075 des habitants et des usagers pour les habiter et les utiliser au mieux.
Alors quoi ? Se souvenir toujours qu’il est dangereux de vivre sur une planète ? Au moins les architectes sont-ils les premiers à tenter de la rendre plus sûre.
Bref, voici venu le temps de l’été imprévisible mais, bon, l’été quand même.
Avant donc que nous ne soyons tous dispersés façon puzzle dans l’immensité de l’univers, se faire du mouron ne peut que provoquer des affections urticantes. Aussi, en cet été 2024 empli de promesses – ne le sont-ils pas tous ? – nous vous proposons une sélection de chroniques de cette saison 2023-2024 comme autant de parasols colorés plantés dans un cocktail glacé.
Entre bulles chaudes ou froides, bel été à tous.
Merci de votre fidélité
Christophe Leray
Rédacteur en chef
Retrouver notre Edition spéciale Eté 2023
*Lire notre article Pour le CNOA, les « vrais » architectes ont vécu, vive les « nouveaux » architectes