Malgré une campagne de presse d’une insolite violence, l’agence Petitdidier-Prioux, adossée à un maître d’ouvrage «éclairé», a livré à l’été 2009 à Villefranche-sur-Saône (69) 17 logements collectifs et 13 maisons «imbriquées» de part et d’autre d’une venelle créée ex nihilo. Le programme commandait seulement 30 logements PLSA. Les architectes ont imaginé le reste. Frappant !
«On y a cru de bout en bout, contre vents et marées». Ce n’est pas un (ou des) architecte (s) qui s’exprime(nt) ainsi mais un… maître d’ouvrage – HBVS (Habitat Beaujolais Val de Saône)* -, ou, plutôt, Luc Beauvallet, son directeur commercial. Il fallait en effet avoir foi en ce projet et une vraie confiance envers les jeunes (31 ans chacun) architectes Cédric Petitdidier et Vincent Prioux pour résister au courroux de nombre d’habitants de Villefranche/Saône (69), lequel s’est exprimé notamment dans un article du quotidien local sous le titre sans nuance Le projet qui défigure Villefranche. Et il fallait pouvoir s’appuyer sur de solides convictions pour se permettre, comme l’a fait HBVS, d’acheter, dans le même journal, une pleine page de pub consacrée à ce projet sous le titre Osez la différence. Luc Beauvallet en sourit aujourd’hui mais l’alerte fut chaude.
En fait, tout est parti d’une idée déterminante qui s’est imposée comme une évidence aux architectes. C’est-à-dire que c’est par elle qu’a été conçu tout le projet, qu’ils ont d’ailleurs eu le courage de défendre jusqu’au bout. A posteriori (c’est plus facile), une fois donc le projet réalisé, cette idée s’avère lumineuse et nul ne la conteste plus. En attendant, les architectes se sont bien compliqué la vie – mais n’est-ce pas là leur métier ? -, le maître d’ouvrage a connu sueurs froides et chaudes et les ‘antis’ se sont époumonés tant qu’ils le pouvaient.
Situé à proximité du centre-ville de cette commune du Beaujolais près de Lyon, le programme d’une trentaine de logements en PSLA** ainsi que d’un parking devait s’inscrire sur une parcelle longue et étroite entre un boulevard urbain sans style déterminé et un jardin public jusqu’ici enclavé dont le seul accès se trouvait dans une ruelle sans lien avec le boulevard. Or, d’emblée, Cédric Petitdidier et Vincent Prioux ont pris le parti de créer une venelle traversant toute la parcelle, en son centre sur toute la longueur, afin de relier ce jardin public au boulevard.
Ce qui, en langage d’architecte, donne : «le projet endosse le double rôle de mettre en valeur un tissu urbain hétérogène et de proposer une connexion avec le cœur de Ville». C’est désormais vrai à tel point que le maire de la ville a finalement transformé cette venelle en voie urbaine avec un nom et un numérotage. Sauf qu’en amont cette option était une «possibilité que le règlement urbain ne suggérait pas explicitement,» comme en sourient encore, sous forme d’euphémisme, les architectes. Lesquels se sont retrouvés alors avec deux petites parcelles de part et d’autre de la venelle et un lot de questions et problématiques imprévues à gérer.
Comme celle des concessions par exemple, dont les solutions trouvées sont invisibles dans un projet construit mais un casse-tête, propre à décourager les meilleurs volontés, quand l’option retenue a le don de multiplier les maîtres d’ouvrage (privé pour le parking et public pour la nouvelle voirie en sus de HBVS). Autre problématique : à partir du moment où la venelle devient un passage/espace public, quid de l’intimité des logements ? Il a fallu par ailleurs négocier une rétrocession de terrain à un propriétaire dont la parcelle, en prise sur le site, a dû être redessinée pour permettre aux architectes de faire le projet qu’ils entendaient. Détails sans doute mais qui, chacun à sa manière, se sont révélés importants dans la conception du projet.
En conséquence, le projet est passé «par une approche complexe de la forme urbaine». «Nous avons tenté de nous affranchir des typologies traditionnelles – les notions de collectif et d’individuel sont ici très nuancées et nourrissent l’approche architecturale des éléments du site,» expliquent Cédric Petitdidier et Vincent Prioux. En clair, ce sont deux typologies distinctes de logements qui ont été édifiées de part et d’autre de cette venelle : au nord, une ‘barrette’ traversante de deux étages, au sud des maisons imbriquées. «Elles développent toutes deux des principes de ‘transition douce’ de la sphère publique à la sphère du logement et offrent une habitabilité supérieure aux normes courantes du logement social, tout en étant dans des surfaces contraintes,» assurent les architectes.
L’opération est assise sur un parking souterrain d’un seul tenant occupant la partie nord au droit de la barrette. La décision d’enterrer le parking n’est pas anodine car elle a plusieurs conséquences. D’une part, puisque 60% de la barrette est construite sur dalle, les architectes ont choisi, pour la trame des logements, de s’appuyer sur la trame du parking. Simple et efficace. D’autre part, comme il fallait respecter l’alignement sur le boulevard, pourtant déjà mis à mal avec la venelle, l’entrée du parking, surmonté d’un local de services a permis la création opportune d’un alignement «fictif» mais réglementaire. Enfin, ce choix d’enterrer ce parking a permis de «dé-densifier» au niveau de la venelle tout en créant de l’habitat dense de part et d’autre, l’une des raisons pour lesquelles les maisons sont ‘imbriquées’.
«Le fait que le programme n’était pas trop plein comme un œuf nous a servi,» convient Cédric Petitdidier. De fait, rien ne s’opposait à ce que les architectes ajoutent un étage supplémentaire à la ‘barrette’ sinon qu’un bâtiment de 100 m de long sur quatre niveaux aurait, dans ce contexte, modifié l’échelle, et donc le «ressenti» du projet. «Un étage de plus et nous n’étions plus dans du logement intermédiaire,» expliquent-ils. Pour rappel, ces logements sont destinés à être vendu et, à ce titre, qu’elle fût justifiée au non, la perception d’une ‘barre’ en lieu de ‘barrette’ aurait sans doute été contre-productive à sa commercialisation.
Les architectes résument ainsi les deux typologies retenues :
– Les logements collectifs sont répartis en deux bâtiments implantés sur toute la longueur du site. Un balcon filant (plein sud) abrité d’une peau de bois modulable à claire-voie préserve l’intimité des habitants et crée la transition entre logements et espace public ; à l’intérieur, espaces de circulation minimum et surfaces maxima pour les séjours permettent d’augmenter la surface totale de 25% par rapport à une opération standard.
– Les maisons individuelles sont quant à elles réparties autour de deux placettes publiques donnant sur la venelle et disposent d’un espace extérieur ; ‘jardin-patio’ pour celles du rez-de-chaussée, ‘terrasse-enclos’ pour celles à l’étage. Leurs accès, soit par jardinet soit par escalier, permettent une interaction entre espace public et espace privé, c’est-à-dire un sentiment d’espace accru et des lieux d’échanges possibles entre voisins.
Quelques précisions sont nécessaires. Il est difficile de l’extérieur d’imaginer à quel point la peau de bois s’avère confortable vécue de l’intérieur. Non seulement les balcons sont larges et grands, mais la vêture en permet tous les usages, qu’il s’agisse d’y étendre le linge ou d’y déjeuner en famille, sans incommoder d’aucune sorte les voisins ni d’être incommodé soi-même, sans pour autant être isolé des autres. Des ‘volets’ ainsi qu’une fenêtre-façade accordéon permettent d’en modifier tant le volume (le salon-terrasse d’un seul tenant devient immense) que de modifier à loisirs son rapport à l’extérieur. Une étagère toute longueur, outre qu’elle maintient une distance avec l’extérieur, est autant un élément de décoration que de rangement.
Quand les architectes parlent d’espaces de «circulation minimum», ce n’est pas un vain mot. Si l’intérieur de quelques logements peut surprendre – il n’y a pas de couloirs – le fait est que la plupart des logements – maisons et appartements – ont gagné un espace de 7 à 8m² utiles, sous forme de bureau, de salle de jeux, de coin ordinateur, etc. Qui plus est, et cela démontre qu’il ne s’agit pas ici d’un espace anecdotique, chacune de ces ‘pièces’ gagnées sur le programme dispose d’une fenêtre.
Par ailleurs, la volumétrie des maisons emprunte au vocabulaire découpé des maisons alentour ou des anciens ateliers à proximité et utilise la tuile imposée par la réglementation urbaine comme un élément de définition d’un «paysage des toitures». «Les pentes en sont soulignées, traitées par une simple arête nette sans détail perturbateur, presque exagérées volontairement pour permettre de donner à voir le surplus de volume que proposent les maisons : duplex, salons double hauteur, etc. Chaque maison est dotée d’un atelier, installé soit en limite de jardin, soit à l’intérieur et mis en scène par une couleur spécifique foncée sur la venelle,» expliquent les architectes.
Ah cette couleur rouge saturée. Elle est, selon les architectes, «dérivée des enduits traditionnels du centre ville ; elle est un des éléments de l’identité du site, symbole de son intériorité, mais aussi un signal urbain depuis le boulevard, accompagnant la végétation grimpante mise en place le long de la façade bois». Dit autrement : «Nous voulions unifier le projet avec une couleur qui devait être forte en façades et forte derrière les claustras,» expliquent-ils encore.
C’est cette couleur, aussi, qui a servi d’alibi aux opposants au projet. En effet, voila des logements et/ou maisons, neufs, grands, quasiment en centre-ville dont les prix de vente s’échelonnent entre 160 et 260.000 euros et dont, par exemple, le paiement mensuel d’un T4 sera de 900 euros assorti de charges plafonnées de 74 euros/mois. De fait, explique le maître d’ouvrage, au mois de juillet dernier, la moitié des logements étaient déjà vendus à des publics très diversifiés : jeunes couples primo-accédants, personnes seules, personnes âgées…Le tout sans apport personnel. Rageant sans doute.
D’ailleurs, HBVS, tant qu’à faire, est allé au bout de la logique. Sur un grand panneau à l’entrée de la venelle, une pub 4x3m invite à découvrir ‘Une nouvelle façon d’être propriétaire…. dans un environnement d’architecte’. Que Cédric Petitdidier et Vincent Prioux parlent de «maître d’ouvrage éclairé» est bien le moins.
Christophe Leray
* HBVS propose depuis plus d’un siècle, selon les sites, des logements locatifs sociaux, locatifs intermédiaires ou encore en accession à la propriété, afin de « favoriser délibérément la diversité sociale et le développement équilibré » dans la région.
** Le prêt social location-accession (PSLA) est un dispositif d’accession à la propriété mis en place par les pouvoirs publics en 2004. Il s’adresse à des ménages sous plafonds de ressources qui achètent leur logement neuf situé dans une opération agréée par l’Etat pour être éligible aux financements PSLA.
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 23 septembre 2009