Rares dans l’histoire de l’architecture sont les exemples d’une rue construite de part et d’autre par les mêmes architectes. C’est pourtant le cas depuis que l’agence parisienne Hamonic+Masson & Associés a livré fin 2017 un programme de 330 logements locatifs sociaux et libres (plus une crèche pour 24 000 m² SDP.) à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Communiqué.
De la diversité dans l’unité
A l’heure de «Ré-inventer Paris», «Inventons la Métropole» et plus si affinités, le projet Camille Claudel pose avant tout la question de l’échelle. Le traumatisme des Grands Ensembles, souvent réel, est aujourd’hui un frein historique à une approche “unitaire” de l’architecture. Il est fréquent et c’est même souvent la règle, de morceler un projet urbain en «tranche» de 50 à 60 logements, sous couvert de «diversité architecturale» et bien souvent au détriment d’une absence de pensée sur la ville.
Cet urbanisme «Batimat» fleurit sur les tombes du modernisme. Les outrances du Tabula Rasa ont ouvert des autoroutes aux bâtisseurs de ces nouveaux lieux du “bien-vivre ensemble”. Gagné sur concours en 2013, en proposant une stratégie globale et unitaire là où il était demandé une diversité d’écritures architecturales, ce projet revêt un caractère manifeste : la diversité est ici une question de formes et de typologies et non d’écriture ou de style.
Une démonstration
Le projet s’organise autour de sept bâtiments sur deux parcelles différentes reliées entre elles par une voie publique. Cette implantation découle à la fois des contraintes du site (zone PPRI, emprise au sol limitée, zone inconstructible, transparences imposées, PLU) ; et de ses atouts (vues sur Seine, parc, nouveau quartier, berges de Seine). Une identité forte du quartier, où chaque bâtiment a sa propre manière d’habiter tout en étant étroitement lié aux bâtiments voisins.
La morphologie des bâtiments se développe de manière à, pour chaque logement, multiplier les vues sur la Seine et favoriser un ensoleillement maximum. Les bâtiments vont également dialoguer entre eux de manière à créer des espaces collectifs donnant sur la voie nouvelle tout en offrant des percées visuelles sur la Seine.
Afin de laisser filer le regard, les vues et faire pénétrer la lumière naturelle, les corps des bâtiments sont ainsi soulevés au niveau de la rue. Ces rez-de-chaussée ouverts viennent se connecter entre eux par le biais de la rue. Cette «mise en réseau» physique et visuelle des accès devient le lien social et fédérateur de l’habitat. Les séquences d’accès aux logements sont mises en scène de manière à devenir de véritables prolongements intérieurs de l’espace public de la rue. Les halls deviennent des espaces transparents où les vues transversales sont privilégiées. Le vide entre les bâtiments est traité comme un grand jardin collectif très planté, dont la rue fait partie.
Les végétaux sont choisis en fonction de leur situation et de leur exposition. Il est donc ici question de l’espace public et de son prolongement au cœur du dispositif comme un préalable, une condition qui irradie les pratiques et permet un lien très fort entre l’espace partagé de la rue, et le projet.
Un des enjeux de la grande échelle dans le logement collectif est la question de la répétition. Comment éviter ce sentiment pour un programme de 330 logements (60% en accession, 40% sociaux). Les appartements se superposent, mais doivent proposer une qualité propre à chacun et un fort sentiment d’unicité. C’est en offrant ici des logements et des espaces extérieurs multiples et variés dans leurs typologies que nous répondons à la quête d’identité, d’appropriation et de différenciation dans le collectif.
Ainsi de nombreuses typologies sont développées, et la plupart des logements ont à la fois une orientation Sud/Ouest et des vues sur la Seine. Le front de Seine est travaillé de façon à pouvoir devenir un signal fort, à l’échelle Métropolitaine.
Chaque bâtiment développe alors un linéaire de balcon filant, qui permet à tous les logements de bénéficier d’un vaste espace extérieur. Ces lieux sont traités de différentes façons suivant leur situation :
– jardins d’hiver en front de Seine permettant la vue tout en se protégeant du bruit de la route départementale.
– serrurerie toute hauteur préservant l’intimité vis-à-vis de la rue ou des espaces collectifs.
– garde-corps à barreaudage.
Sculptés de manière à favoriser un ensoleillement maximum et multiplier les vues sur ce site naturel d’exception, les différents bâtiments sont habillés de dentelles métalliques aux motifs variés qui donnent son identité à ce nouveau quartier.
Ce travail sur les façades est l’occasion de lui donner son image. Dans le ciel de la Métropole, les panneaux de dentelles habillent les bâtiments selon les horaires de la journée, la météo et les saisons. Les différents éléments constitutifs du bâtiment vont entrer en résonance, certains lieux vont prendre la lumière, d’autres la réfléchir. C’est une donnée essentielle du projet. L’Architecture est condamnée à la statique, à la gravité, mais des dispositifs de mise en scène et de cinétique peuvent rendre les bâtiments dynamiques, les rendre vivants, provoquant ainsi des sensations multiples.
Jouant d’un travail subtil de trames et de motifs dans une unité de teinte claire et lumineuse, l’enveloppe renvoie ainsi l’image d’un grand raffinement, mais n’est pourtant que la mise en œuvre de matériaux simples qui, superposés et travaillés de manière précise et graphique, engendrent cette dimension qualitative et poétique. Sur l’ensemble de ses faces le bâtiment scintille, ses façades jouent avec la lumière et toutes les orientations. Ce nouveau quartier rayonne ainsi de jour comme de nuit, offrant à la ville un nouveau lieu, un nouveau repère vivant et dynamique.
Photos : Takuji Shimmura, Frédéric Achdou