Le 57 Métal, le bâtiment industriel de Claude Vasconi construit pour Renault à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) en 1984, pour lequel j’avais une affection particulière, est en cours de démolition. Considéré comme un chef-d’œuvre à sa livraison, il sera remplacé par un immeuble de bureaux conçu par Dominique Perrault. Architecture éphémère ? Bonjour Tristesse.
Comme je l’ai expliqué dans un hommage posthume*, il se trouve que, pendant des années, ce bâtiment était juste sous la fenêtre de ma cuisine. Dans le paysage désolé de l’époque de ce quartier de Billancourt, cet ouvrage semblait porter en lui une foi en l’avenir tout à fait anachronique. Si j’avais habité ailleurs, ce bâtiment n’aurait jamais eu la même signification pour moi. Bref.
Au début des années 80, Renault imagine sur son site historique de Billancourt et de l’Ile Seguin une nouvelle cité industrielle : le plan Billancourt 2000. Le 57 Métal, premier bâtiment construit, en sera la figure étendard. A cet ambitieux objectif, Claude Vasconi répond par une œuvre sublime, qui lui vaudra cette année-là, deux ans après avoir reçu le grand prix d’architecture, une mention à l’Equerre d’argent, à une époque où elle valait encore quelque chose. La poste éditera même un timbre 57 Métal (avis aux collectionneurs).
En réalité, l’architecte était l’acteur inspiré d’une idée folle. De fait, Renault a finalement prudemment choisi de s’installer à Guyancourt, dans les Yvelines, et la vocation industrielle du site de Billancourt a disparu au fur et à mesure de la démolition de l’usine de l’île Seguin. Mais, au moment de la commande, l’architecte se fait encore une telle idée de l’industrie préservée en ville et de l’ouvrier du futur que Renault utilisera pendant des années son 57 Métal comme centre de communication. Un bâtiment alors tellement contemporain et en avance sur son temps qu’il n’a pas survécu au changement de paradigme industriel et urbain.
Alors Renault a vendu son bien immobilier – pour 75 M€ quand même – à un fonds d’investissement chinois, Europa Wanda, dont le projet s’est sans surprise révélé vouloir raser le bâtiment pour développer une parcelle idéalement située à Boulogne-Billancourt, en rive de Seine aux portes de Paris et à proximité de tous les grands axes routiers et de transports en commun.
L’annonce de cette décision a fait réagir toute la profession et, de Jean Nouvel à Christian de Portzamparc, plus de 140 personnalités ont demandé d’urgence le classement de l’ouvrage. Leur initiative, un bel hommage de ses pairs à Claude Vasconi, a suscité tant d’émoi que Jean-Christophe Baguet, maire de Boulogne-Billancourt, a par deux fois refusé le permis de démolir, sans parler des points de détails du PLU. Tout le monde semblait s’accorder pour sauvegarder 57 Métal et d’aucuns pensaient le bâtiment sauvé.
De fait, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture d’un gouvernement de droite était plutôt enclin au classement de ce bâtiment symbolique du mouvement ouvrier. Un symbole désormais largement romantique sans doute mais une solution qui aurait, en partie, réglé le problème. Aurélie Filippetti, quant à elle ministre de la Culture d’un gouvernement de gauche, n’avait en revanche rien contre la démolition de ce bâtiment symbolique du mouvement ouvrier. Dont acte. C’est Fleur Pellerin, ministre de la Culture d’un gouvernement de compromis ayant hérité du bébé, qui nomma un médiateur. Vous imaginez la tête des investisseurs chinois !
Ces derniers, dans le cadre d’un compromis donc, furent finalement heureux de céder le bâtiment et sa parcelle maudite puisque, problématique contemporaine, une dépollution du terrain s’imposait. Plus qu’une épine dans le projet, cette dépollution ne pouvait apparemment se faire sans la démolition du bâtiment au-dessus. Voire.
Toujours est-il qu’à l’issue de cette médiation, pour une telle parcelle si idéalement située, un accord fut évidemment trouvé. Selon les minutes d’un rocambolesque Conseil municipal de Boulogne-Billancourt de février 2016**, «BNP Paribas Real Estate reprenait le site [une vente actée dès juillet 2015. NdE] et, moyennant le déblocage de la constructibilité sur une partie de la parcelle, préserverait ‘la partie la plus intéressante du bâtiment’ [dixit Gauthier Mougin, premier adjoint, qui présidait la séance en l’absence du maire], c’est-à-dire sa silhouette». Le reste était alors condamné à être démoli, permettant l’édification d’un immeuble de bureaux «d’une hauteur équivalente à celle de l’immeuble de Norman Foster, de l’autre côté du Pont Renault». Pour le coup, le maire de Boulogne-Billancourt s’est montré accommodant pour le PLU et la ville devrait récupérer un espace vert.
«L’enjeu de cette opération est d’adapter le bâtiment existant à ses nouvelles fonctions – 37 000m² de bureaux et de services – tout en ajoutant une extension et de préserver la qualité urbaine et l’héritage patrimonial de l’immeuble d’origine, témoin de l’architecture industrielle de la fin du XXe siècle», précisait Thierry Laroue-Pont, président du Directoire de BNP Paribas Real Estate lors de l’acquisition.
Chacun s’accorde à préciser que «la veuve de Claude Vasconi a fait savoir qu’elle n’irait pas contre ce projet». Elégance ! Toujours est-il que BNP Paribas Real Estate a confié le projet à Dominique Perrault, les mêmes ayant récemment livré la réhabilitation des tours du Pont-de-Sèvres voisines.
Dès le 14 mars 2016, Dominique Perrault présentait son projet au public. «Claude Vasconi, que je connaissais bien et que j’admirais, avait réalisé un chef-d’œuvre. Nous allons conserver la partie la plus significative de son œuvre, la façade bordant la Seine et un pan du bâtiment avec sa cascade de sheds», expliquait-il aux Echos**.
Pour la dépollution, à la BNP et Renault de s’arranger ensemble.
Ce fut sans doute le cas puisque le bâtiment est aujourd’hui détruit au trois-quarts sauf pour la ‘cascade de sheds’. Encore que, dans ce qu’est entre-temps devenu le trapèze de Billancourt (qui s’est bien remis de son assassinat), il n’est pas certain que ces sheds évoquent à tous un quelconque passé industriel, plutôt un centre aquatique ou un lieu branché d’une forme originale.
Renault et Billancourt dans une même phrase, cela commence en effet à faire loin, y compris pour les exégètes de Jean Nouvel dont la tour Horizon borde le site. D’ailleurs, Shigeru Ban et Jean de Gastines pour la cité musicale de l’île Seguin juste en face ne s’y sont pas risqués, au clin d’œil industriel. Comme Claude Vasconi, seul Tadao Ando, auteur ensuite du premier projet de fondation Pinault sur l’Ile Seguin, avait apparemment cette délicatesse.
Nonobstant la question de la dépollution du site – on peut mettre Tchernobyl sous un coffre de béton mais on ne sait pas à Paris isoler un bâtiment de son sous-sol pollué ? – il convient peut-être de remarquer que ce qui, à la fin, a condamné le 57 Métal est que personne ne savait au fond qu’en faire.
D’évidence, dans ce nouveau quartier de logements et de bureaux, personne n’avait une meilleure idée pour ce terrain et ce nouveau bâtiment qu’un immeuble de bureaux. Bonjour l’imagination. Bureaux ? Logements ? Logements ? Bureaux ? BNP Paribas Real Estate et DPA, ils ont tiré au sort ? C’est sûr que, dans ce cas, démolir est sans doute la plus simple et la plus rentable des solutions, sinon la moins imaginative. Tout ça pour ça. Billancourt 2000 !
Le plus paradoxal est que la signature de l’incroyable acte manqué d’un grand projet de ville où l’industrie avait encore sa place en est son bâtiment le plus récent, qui ne fut d’ailleurs jamais réellement exploité. A Billancourt, le symbole du passé ouvrier du lieu sera donc ce qu’il restera d’un bâtiment construit quand les ouvriers étaient déjà partis. C’est dire la force qui émanait de cet ouvrage.
Encore peut-être ne s’agit-il que d’une question de temps qu’il ne disparaisse totalement. Le site est longé par la rue du Vieux-Pont-de-Sèvres et, de vieux pont, il n’y a plus trace. Dans la même rue, à quelques centaines de mètres, il y a encore une place de l’église sans que rien ne subsiste d’un quelconque lieu de culte, l’endroit même où cette église fut sise un jour introuvable.
Peut-être alors aurait-il été plus simple pour tout le monde, et plus durable, de simplement nommer une rue du quartier : rue Claude Vasconi, architecte (1940 – 2009).
Christophe Leray
*Voir notre article Le hussard et l’architecte
** Résumé complet de cette séance un peu surréaliste Quel avenir pour le 57 Métal ?
*** Boulogne-Billancourt : la deuxième vie du 57 Métal, par Laurence Albert – Les Echos (04/2016)