Aujourd’hui, dans une crèche, il ne faut pas de plantes allergènes, voire pas de plantes du tout pour qu’il n’y ait pas de petites bêtes. Et puis il ne faut plus emmener les enfants se promener en forêt au risque qu’ils soient contaminés par un tique de la terrible maladie de lyme. «On veut de la nature sur le toit au nom de la biodiversité mais surtout qu’elle ne touche pas les enfants», soupire un architecte. Cynisme vert ?
Dit autrement, dans le cadre d’une idéologie libérale mal assumée, si la nature semble n’avoir jamais été aussi hostile, à l’heure où les programmes d’info donnent les taux de pollen des différentes essences en direct à la télé comme ils le font des chiffres de la bourse, à l’heure des alertes-pollution, le vernis écolo des bâtiments n’est-il là juste que pour faire passer les projets ?
En témoigne de façon étonnante l’annonce début mai 2017 par la Compagnie de Phalsbourg de la future construction d’un immeuble baptisé ‘Aurore’ (sic) conçu par Kengo Kuma & Associates avec Marchi architectes dans le quartier Paris Rive Gauche du XIIIe arrondissement. Dans cet espace au rez-de-chaussée boisé – dans une ville minérale, ces concepteurs n’ont visiblement peur de rien – faut-il imaginer des papillons et libellules mais pas de mouches, d’asticots ou de moustiques ? Pour chaque bâtiment, des spécialistes du biotope seront-ils bientôt obligatoires comme le sont devenus les paysagistes ? Et si la toiture devenue «support de biodiversité», envahie par des herbes folles et des plantes aromatiques, attire les abeilles et leur prédateur, le terrifiant frelon asiatique, et qu’il pique un enfant ? On reconstruit en béton ? De quoi cet immeuble est-il le nom ? Singapour ?
Ce dessein est d’autant plus surprenant que Kengo Kuma ne nous avait pas habitués à cette jungle verdoyante sur ses bâtiments. Toujours est-il que voilà un futur bâtiment parisien loin, très loin, de l’esprit minéral de la Place des victoires. La dernière fois qu’un bâtiment à Paris fut envahi à ce point par la végétation, c’était une ruine.
La compagnie de Phalsbourg a également annoncé dans le cadre du MIPIM 2017 la construction à Toulouse d’une tour de 150 mètres dessinée par Daniel Libeskind et Kardham Cardete Huet Architecture. Sur sa façade, une forêt verticale extérieure s’enroule en spirale du sol au sommet. Au regard de l’image, bonjour le dénivelé. Pour le biotope, des mouflons ? Certes, il y a déjà les faucons crécerelle. Le même promoteur avait déjà gagné durant ‘Réinventer Paris’ le site de Pershing dans le XVIIe à Paris avec le bâtiment aux mille arbres imaginé par Sou Fujimoto. Mille arbres !
Nul ne peut en vouloir à Kengo Kuma et à la Compagnie de Phalsbourg de faire le jeu de la commande quand TF1 elle-même devient maître d’ouvrage, peu ou prou, de la Cité musicale de l’Ile Seguin à Boulogne-Billancourt, inaugurée au printemps 2017, architecte Shigeru Ban.
De fait, la Compagnie de Phalsbourg n’est pas le seul promoteur, loin s’en faut, à fonctionner ainsi. Sur l’Ile Seguin justement, Emerige a fait appel aux Catalans de RCR Arquitectes et l’agence autrichienne Baumshlager Eberle, à David Chipperfield pour ‘Réinventer Paris’ sur le site de Morland et encore à l’agence chinoise M.A.D. pour le projet ‘Unic’ (sic) dans le XVIIe arrondissement. Profusion de verdure là aussi…
Visiblement des promoteurs ont compris que si le maire et la doxa populaire réclament des arbres, alors il faut mettre des arbres et si possible sans insectes, sauf s’ils sont destinés à consommation humaine bien sûr. Des maîtres d’ouvrage l’avouent sans ambages : il suffit de mettre du vert pour être tranquille du côté des associations écolos. Et tout le monde se posera des questions plus tard quand au fonctionnement de ces tours-forêts comme il est prévu d’en construire en Chine. A ce jour, qui a vu un projet «qui pousse» probant ? Ils en pensent quoi au Groenland ?
Pourtant, à Nice, la Compagnie de Phalsbourg et Libeskind n’ont pas de Batavia aux murs d’‘Iconic’ (sic), un projet immobilier de 19 000m², seulement des palmiers, au sol, en pleine terre. Salade à Toulouse et pas à Nice, avec les mêmes ? Pourquoi une telle différence de traitement ? La communication du maire ?
Les édiles semblent en tout cas sensibles aux grands noms de stars étrangères, japonaises si possible. Bref, ce n’est plus de l’architecture, c’est du spectacle. Est-ce l’idée que se font les élus de la sophistication architecturale ? Quant aux architectes français, ils sentent mauvais ou quoi ?
Le fait est que sans doute aucun architecte français n’aurait osé proposer un bâtiment tel celui de Kengo Kuma dans le XVIIe à Paris. Bien sûr que tous les architectes français ont compris qu’il fallait réfléchir aux économies d’énergie dans leurs bâtiments et pris conscience du réchauffement climatique planétaire mais il s’agit là de deux sujets différents. Il est indécent, sous prétexte de communication à deux balles, de faire porter aux architectes la responsabilité de ‘rafraîchir’ la ville du futur à coups de façades végétalisées.
Certes les petits ruisseaux font les grandes rivières mais depuis dix ou quinze ans que sont nés les murs végétaux, dont les promoteurs promettent monts et merveilles, quel est leur impact sur l’environnement ? Sérieusement… En attendant, les architectes ne peuvent plus mettre de pissenlits dans le jardin de la crèche de peur que les petits enfants ne les mangent par la racine. Alors la jungle à Paris ou Toulouse…
Peut-être est-ce justement parce qu’ils sont étrangers que des architectes parviennent à mieux comprendre les intentions des donneurs d’ordres. Ces hommes de l’art ne savent rien du principe de précaution et s’en fichent comme de leur premier crayon-feutre. De toute façon, c’est chez nous que ça se passe. Le plus triste est sans doute que ce genre de ‘grand geste architectural’ (sic) est une insulte à l’écologie et aux enjeux du réchauffement planétaire.
L’écologie est ailleurs, dans les émissions de carbone, la croissance incontrôlée, les effets de seuil, il s’agit en tout cas d’enjeux plus compliqués et d’une autre échelle que ceux qui laissent à penser que nous serons sauvés parce que nous aurons planté mille arbres sur un bâtiment à Paris. Si les pouvoirs en place souhaitent faire le compte des mètres carrés ‘végétalisés’, se souvenir que les sols imperméabilisés progressent de 60.000 hectares en moyenne chaque année, soit l’équivalent d’un département tous les 11 ans. Ces espaces artificiels recouvrent aujourd’hui 9,3% du territoire français. Les quelques kilos de miel récoltés sur les toits de Paris ne peuvent pas – ne doivent pas – faire oublier les désastres environnementaux qui menacent ces insectes, justement.
Ce qui renvoie au cœur du sujet. Pour les concours de charges foncières, chacun a bien compris qu’une proposition sans investisseurs, aussi bonne soit-elle, sera une proposition perdante, du moins lorsque les enjeux financiers sont conséquents ; une tour à Toulouse, c’est entre 150 et 200 millions.
Mais, cela écrit, que doivent faire les architectes français pour gagner ces projets ? Se mettre à leur tour à tartiner les immeubles de végétalisation cynique ? Même s’ils savent que ça ne sert pas à grand-chose et n’ont aucune idée de la durabilité des systèmes ? Surtout que les enfants n’aient pas peur…
Christophe Leray