Parfois les hasards de l’actualité offrent une surprenante vue en coupe sur l’état d’un bâtiment moins de 20 ans après sa livraison. En l’occurrence, voyons ce Stade de la Licorne dont la toiture présente de «graves dangers». Haro sur l’architecte ? Il faut ici se rendre à l’évidence et chercher un autre baudet. La surprise, de taille, est affligeante et triste pour les hommes de l’art. Explications.
Le vendredi 19 mai 2017, sur le coup de 23h, la valeureuse équipe de foot d’Amiens, au bout du suspense, marquait un but inespéré à la dernière seconde du dernier match de la saison et décrochait ainsi pour la première fois de sa longue histoire l’accession à la Ligue 1, l’élite du foot. Bravo ! Super ! La glorieuse incertitude du sport.
Pour l’occasion, coup de projecteur sur le stade où évolue l’équipe, le Stade de la Licorne, conçu par l’Atelier Chaix & Morel Associés et livré en 1999. Le programme était celui d’un stade de football de 12 000 places extensible à 20 000 places avec terrain annexe et terrains d’entraînement, des parkings, trois bassins de rétention, des vestiaires, l’administration, etc.
Le bâtiment, pour citer les architectes, «apparaît comme un volume léger, décollé du sol tel un dirigeable amarré». «Les couvertures concaves sont orientées vers le centre du stade, et focalisent l’attention sur l’action qui s’y déroule. Transparentes, elles laissent passer la lumière et la vue vers le ciel», explique l’agence. De fait, rares sont les stades transparents et qui portent encore un nom poétique. Bref, une réussite remarquée.
Dix-huit ans plus tard, au lendemain de la victoire des siens, Alain Gest, président d’Amiens-Métropole, maître de l’ouvrage, et député LR de la Somme, déclare à l’AFP que «des travaux vont commencer en juin et vont se faire tribune par tribune, à raison d’une tribune par trimestre». Chacun pense alors, passage en Ligue 1 oblige, à des travaux d’agrandissement pour faire passer la jauge à 20 000 spectateurs. Budget alloué : entre 7,5 et 9 M€. Beau projet.
En fait pas du tout. En vérité c’est toute la toiture qui doit être refaite, «tribune par tribune», car elle présente de «graves dangers». «Graves dangers» ???? Ah bon ? Même pas 20 ans plus tard et la toiture de Chaix & Morel et Associés présente déjà de «graves dangers» ?
Comment est-ce possible ? En tout cas, en 2017, le bâtiment est déjà profondément rongé par la rouille. Erreur de conception ? Une mini canopée parisienne dans la campagne picarde ?
Plus précisément, explique le site Constructalia, l´élément principal de la couverture est constitué de poutres cintrées en porte-à-faux d´une hauteur variable entre 400 mm et 1400 mm. Ces structures ceinturent le périmètre du stade et sont espacées de 8 mètres. Des tubes d´acier de diamètre 168 mm forment ensuite les pannes de support pour le vitrage, composé de près de 8 000 plaques de verres*.
C’est en fait cette structure qui s’érode à la vitesse grand V quasiment depuis sa livraison et, du coup, en 2016, les plaques de verre menacent de tomber, des désordres qui ont valu rien moins que la fermeture du stade cette saison 2016/2017, l’équipe devant jouer ailleurs ses matchs à domicile. Vous parlez d’une saison historique ! Qu’est-ce qu’ils ont donc bien pu bricoler chez Chaix & Morel et Associés ? Encore un truc d’architecte ? En réalité, c’est l’occasion de découvrir une histoire de bout de chandelle qui remonte avant même la livraison de l’ouvrage en 1999.
Le Stade de la Licorne n’a coûté à sa livraison que 15,2 M€ HT (coût des travaux). Tout bien considéré, une performance. C’est Quille, une filiale de Bouygues, qui a emporté le marché. C’était la moins-disante des propositions en lice. L’architecte Kai Jensen, qui travaillait déjà chez Chaix & Morel et Associés à l’époque se souvient. «Ils avaient fait une estimation assez basse car ils avaient prévu des variantes éloignées de la conception initiale. Ils n’ont pas fait un prix par rapport à notre projet mais à celui qu’ils avaient imaginé eux. Après ils nous ont dit que le nôtre était impossible à réaliser et il a fallu se battre pour prouver que c’était réalisable». De fait l’ouvrage a été construit et il répondait en tout point aux promesses du dessin.
Et aujourd’hui des panneaux de verre qui se cassent la figure ?
Très vite, deux ans à peine après la livraison, l’agence s’est rendu compte qu’il y avait un souci avec la peinture appliquée sur la charpente puisque des pointes de rouille apparaissaient déjà. Une expertise judiciaire découvrira finalement que la peinture utilisée n’était pas celle prescrite dans le CCTP, une peinture de très haute qualité garantie cinq ans. Tous les regards se sont alors tournés vers le sous-traitant, lequel, a fait valoir sa bonne foi en produisant des documents prouvant qu’il avait mis en garde Quille sur l’utilisation de ce produit-là sur ce bâtiment-là. Quille a passé outre et ordonné l’application de la mauvaise peinture. Volonté de se rattraper sur le budget ? Peu importe, ces économies de bout de chandelle furent finalement condamnées et Quille a dûment versé à Amiens-Métropole une somme correspondant au préjudice subi et largement suffisante pour remplacer la peinture et réaliser les travaux nécessaires. Tout le monde a perdu du temps et de l’énergie mais bon, normalement, c’est la fin de l’histoire.
Alors pourquoi ces panneaux de verre qui tombent en 2016 ?
Première source d’étonnement, le maître d’ouvrage, s’il a bien encaissé l’argent, se garde bien d’effectuer les travaux requis. D’autant que le stade fonctionne à merveille et que personne ne se plaint de rien. Certes il n’a jamais dépassé la jauge de 12 000 spectateurs mais il n’en a jamais eu besoin.
Arrive la saison 2006-2007 et l’équipe de foot montre des velléités de peut-être rejoindre l’élite. Dans cette perspective, le maître d’ouvrage aussi bien que le club ont bien conscience qu’il faudrait s’occuper du stade, qui n’a donc reçu aucune forme d’entretien depuis sept ans maintenant. Mais, les aléas du sport, il s’en faut de deux petits points et c’est encore raté pour le Stade Amiénois. Les travaux ne sont pas engagés et aucune espèce de maintenance entreprise.
Sauf qu’une procédure lancée à cette occasion aboutit en 2009 au tribunal administratif d’Amiens où un nouveau rapport judiciaire est présenté au juge quant aux raisons de la détérioration rapide du stade. Michel Verrier, l’auteur du rapport, était déjà celui qui avait démontré quelques années plus tôt l’usage d’une mauvaise peinture.
Dans ces circonstances de désordres avérés, chacun des acteurs tente comme il est d’usage de dégager sa responsabilité et lorgne très fort vers l’architecte pour lui faire porter le chapeau. C’est pourtant pour le maître d’ouvrage que le rapport de l’expert se montre accablant. En 2009 donc, aucune chute de panneaux de verre n’a été constatée. Par contre, des vitrages ont été détériorés par des consoles métalliques (hors marché) soutenant des banderoles publicitaires installées par le club.
«En dehors de ces éléments accidentels, le comportement des panneaux de verre est normal», indique l’expert. S’il ne dédouane pas totalement les architectes et dresse un «constat d’entretien difficile», pour autant il souligne qu’«aucune des deux solutions proposées par l’agence d’architecture qui rendaient l’entretien plus facile n’a été retenue par la maîtrise d’ouvrage». Nul ne peut demander à un architecte d’être plus royaliste que le roi. Dont acte.
L’expert constate surtout, comme tout le monde, que «l’aggravation des phénomènes de corrosion sur les pannes est manifeste et parfois très importante et les premières traces sont apparues sur les arcs en 2009 alors qu’ils n’étaient pas touchés auparavant [en 2005 lors de la première expertise]».
Il confirme en passant qu’Amiens-Métropole «a effectivement perçu des sommes qui auraient pu lui permettre l’entretien de l’ouvrage il y a cinq ans». Cinq ans de plus sans aucun entretien et les «phénomènes de corrosion» observés en 2005 sont devenus des «désordres» en 2009. Et puis, soudain, des infiltrations d’eau. «Les herbes folles dans les chenaux d’évacuation des eaux faisaient un mètre de haut», se souvient Kai Jensen, l’architecte de Chaix & Morel et Associés. A Amiens, ils n’ont donc pas un peintre et pas un jardinier pour le stade ? L’expert préconise «d’urgence» une remise en peinture.
Que se passe-t-il alors ? Bah rien, absolument rien et le bâtiment n’est toujours ni entretenu ni réparé ni repeint. Nada ! Michel Devaux, l’adjoint en charge des sports sous Gilles de Robien, interrogé en 2016 quand le stade sera finalement fermé, expliquera benoîtement dans un entretien à France Bleue «qu’il ne savait pas qu’un entretien régulier du stade était nécessaire». Kai Jensen d’ironiser. «Je lui ai donné l’image de sa voiture si, pendant 16 ans, elle n’était jamais ni nettoyée ni entretenue, dans quel état serait-elle ?».
Il n’est pas le seul à ironiser. Déjà, en 2009, Michel Verrier, l’expert, évoquant la «qualité exceptionnelle de cette réalisation» expliquait au juge avec malice que «la charpente métallique est très bien conçue et ne présente aucun risque d’effondrement si on n’attend pas une trentaine d’années pour traiter les pannes. Une telle situation ne pourrait avoir lieu que dans un très long terme avec une absence totale d’entretien, comme c’est le cas actuellement», écrivait-il. Il ne croyait pas si bien dire.
Effectués en 2009, les travaux auraient selon lui coûté un peu plus de 2M€ et tout aurait été réglé bien comme il faut. Après tout, ça ne faisait que sept ans que le problème original – une peinture défaillante – puis le problème subséquent du manque d’entretien avaient été identifiés. Ironie encore quand l’expert, s’adressant au juge, conclut sa démonstration : «le tribunal appréciera si un maître d’ouvrage, assisté des services techniques de la ville d’Amiens, peut être considéré comme incompétent par fonction et donc totalement irresponsable». Au fou ?
Un constat de négligence qui n’a pourtant effrayé personne puisque l’agglo a continué à ne rien faire jusqu’en… 2016 ! Jusqu’à ce que le risque de chute de panneaux soit désormais avéré et qu’il faille fermer l’ouvrage. A-t-on jamais entendu parler d’un stade insalubre ? Mais bon, les recettes d’une équipe en Ligue 1 devraient permettre aujourd’hui, pour 9 M€, le financement des travaux. La preuve, ils démarrent dès ce mois de juin 2017. Enfin !
Il demeure que celui-là même qui n’a pas maintenu son bâtiment pendant 15 ou 16 ans – ce n’est rien de l’écrire -, ouvrage qui lui a pourtant coûté 15 M€ et dont tout le monde dit qu’il est superbe, quand la bise est venue, a pour premier réflexe de mettre les désordres sur le compte des concepteurs.
Alain Jauny, précédent vice-président aux sports, explique en 2016 au Courrier Picard que «l’architecte, on ne l’a jamais vu, le carnet d’entretien du stade, on ne l’a jamais eu». Suivez son regard. Pour laver des vitres et donner un coup de propre tous les ans et un coup de peinture tous les cinq ans, il lui faut un manuel à l’adjoint ? Ca se passe comment chez lui ? Et il aura fallu l’intervention d’un expert judiciaire pour que l’agglo renonce à imputer tous les désordres à l’agence d’architecture ?
Et les carreaux dans tout ça, les écailles de la Licorne, ils tombent ou pas ? Une anecdote. Peu après l’inauguration, un hurluberlu avait tiré sur la façade avec une carabine, faisant des trous dans quelques carreaux. Ces carreaux n’ont jamais été remplacés et sont toujours là. Aucun n’est jamais tombé. Tous les panneaux de verre seront cependant démontés et remplacés par un matériau polymère, principe de précaution oblige.
Peut-être que, face à une telle incurie de la part des édiles successifs, Chaix et Morel et Associés et les fans et les joueurs et les contribuables auraient dû exiger que l’ouvrage retrouve sa vraie façade de verre, «transparente et ouverte vers le ciel».
Reste à espérer que le Stade Amiénois se maintienne dans l’élite lors de la saison 2017/2018 et peut-être son si joli petit stade de la Licorne atteindra enfin la jauge des 20 000 spectateurs promise par le projet. Il y aura peut-être même des loges modernes et il sera temps ensuite de trouver un sponsor pour le ‘naming’ de l’’Arena’. Sans doute qu’alors l’agglo fera un effort et passera le balai de temps en temps.
Si l’équipe ne se maintient pas, les paris sont ouverts.
Christophe Leray
* La verrière est en verre feuilleté et repose directement sur les pannes par l’intermédiaire d’un joint profilé EPDM fiant le long des pannes.