Tout a sans doute été dit et écrit par mes confrères à propos de la future tour Montparnasse réinventée par Nouvelle AOM. La presse généraliste s’est montrée dithyrambique, c’est elle que lit et regarde la majorité des électeurs parisiens. La presse spécialisée s’est montrée plus réservée mais globalement contente quand même. Pour ma part, je n’ai que quelques remarques.
La première est quand même de se féliciter que ce soit une équipe française qui ait gagné ce concours prestigieux. Quelle que soit la valeur intrinsèque du projet de Nouvelle AOM (Franklin Azzi Architecture/Chartier-Dalix/Hardel‐Le Bihan architectes), l’image aurait été désastreuse que l’un des projets les plus emblématiques de Paris, dont on nous répète qu’il sera prêt pour les JO, soit confié à une équipe étrangère. Quoi, en France, ils n’ont même pas d’architectes pour refaire leur propre tour ?
Il n’y a que les Français pour se mettre dans de telles situations inconfortables. Ici, parmi les sept équipes finalistes, seulement trois sont françaises, Architecture Studio, Dominique Perrault et celle des petits jeunes qui montent. Pour le nouveau terminal de Shiphol, l’aéroport d’Amsterdam, le maître d’ouvrage avait retenu cinq agences, dont quatre néerlandaises. Et les vainqueurs sont ? KAAN Architects. Alors, oui, peut-être doit-on se réjouir que des Français gagnent parfois à domicile.
Cela écrit, ce qui est gênant est que cette tour reprenne jusqu’à l’écœurement tous les poncifs de la communication de la Ville de Paris dès qu’il s’agit d’architecture et d’urbanisme. Tout y est : la serre sur le toit, l’agriculture urbaine, la récupération des matériaux dans les remblais, l’efficacité énergétique (promise), un hôtel (of course), une boîte de nuit, etc. Ne manque que la champignonnière.
Paraît-il que ce projet était le seul à respecter le PLU parisien. Il est vrai que la serre de 18m qui ne compte pas comme étages construits, c’était rusé. La preuve, aucun des autres candidats n’a respecté le PLU. Ils sont sans doute partis du principe que, de toute façon, la ville a tout loisir de modifier le PLU pour un bâtiment exceptionnel – il s’agit bien d’un bâtiment exceptionnel non ? Bref, que le projet gagnant soit le seul conforme au PLU en dit certainement long sur ses bienséantes qualités d’insertion. Ménager le loup, la chèvre et le chou au nom d’intérêts bien compris est un art.
Cette prudence a pour but, dit-on, d’éviter moult recours et les galères rencontrées par exemple avec la tour Triangle d’Herzog et De Meuron, pourtant pas d’affreux radicaux. Dit autrement, 18 mètres de verdure c’est oui, 18 mètres d’étages courants, c’était non… Et tous ces autres architectes qui n’avaient pas compris l’astuce, ha ha ha…
Les architectes lauréats à Montparnasse avaient-ils le choix de faire autrement ? Eux seuls sans doute savaient sur le bout des doigts, Franklin Azzi notamment, chacune des recommandations chères à la communication de la ville de Paris et son credo urbain. Si le modèle économique avait pu inclure des logements sociaux, ils les auraient faits. De fait ce sont des agences qui chacune construit proprement. Sauf qu’ici il ne s’agit pas de 30 logements à Montreuil et que, sur un tel sujet, se montrer à ce point conforme aux desiderata du maître d’ouvrage, avec la certitude de ne pas se tromper, pose question dès lors qu’il est question d’architecture «innovante».
Déjà, le nom de marque Nouvelle AOM ressemble à un abus de langage. Au début des années 70, Beaudouin, Cassan et Hoÿm de Marien Saubot avaient choisi de s’appeler AOM pour Agence pour l’Opération Maine-Montparnasse. A l’époque, ficher en plein Paris une tour noire, ces architectes étaient audacieux. La preuve, quarante plus tard, leur tour fait encore l’actualité et passionne les Parisiens.
Or, d’audace, c’est justement ce dont manque cette tour retouchée comme un mannequin de magazine people. Au temps d’AOM, au risque de l’erreur certes, les architectes gagnaient sur des idées, du culot, de la prospective. En guise d’«une identité forte, innovante, dynamique et ambitieuse», nous est servi aujourd’hui un discours complaisant à la sauce écolo garanti sans gluten.
Il est ainsi vanté la transformation de cette «tour énergivore» en Bonanza environnementale. Très bien mais tous les architectes livrent aujourd’hui des bâtiments multi-certifiés. Il est encore heureux que la future tour consommera moins d’énergie demain qu’aujourd’hui, ce n’est pas un exploit même si c’est devenu le passage obligé de la communication institutionnelle. Les architectes lauréats parlent ainsi de «métamorphose bioclimatique» de la façade. C’est joliment dit mais de là à en faire «l’icône de la révolution énergétique du XXIe siècle», il y a de la marge. Comme ‘nouvelle’, révolution est un mot à employer avec précaution.
Pour qui s’intitule Nouvelle AOM, le nom lui-même est déjà une défaite. Quand une nouvelle rue est livrée, ses premiers habitants et le facteur la connaissent sous le nom de rue nouvelle jusqu’à ce qu’elle soit baptisée. La ‘nouvelle’ AOM est par définition déjà obsolète. Oui, de jeunes architectes français ambitieux pouvaient, et devaient, unir leurs forces et s’aligner sur ce concours et chacun comprend bien le rapport au contexte et la joie des ayants droit. Mais qu’est-ce que Nouvelle ‘AOM’ raconte de ce bâtiment censé être «du XXIe siècle» ?
Certes, il correspond tout à fait, jusqu’à la caricature, à l’air du temps façon Réinventer Paris. Peut-être ce pourquoi ces jeunes architectes parisiens, parmi 700 candidatures, ont décidément vu la bonne fortune leur sourire de bout en bout du concours.
Avaient-ils le choix ? Franklin Azzi, Frédéric Chartier et Pascale Dalix, Mathurin Hardel et Cyrille Le Bihan voulaient gagner, évidemment ; c’est bien le moins et c’est la règle du genre. Nul ne peut leur reprocher l’ambition. Ils ont pensé sans doute que cocher toutes les cases du projet politique parisien pourrait suffire. C’est le cas, ils ont gagné, tant mieux pour eux, bravo.
Mais, puisqu’ils évoquent la révolution, n’est-ce pourtant pas chez les jeunes architectes que devraient naître l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et les idées nouvelles, au travers de ces concours justement ? Quitte à perdre ? Ici le catalogue d’idées reçues vues et revues fait finalement peine à voir. D’autant plus que Nouvelle AOM va devoir bien s’entourer parce que pour rester dans le budget de 300 M€ annoncé par la maîtrise d’ouvrage il va falloir tenir fermement le projet. Il ne serait pas étonnant de voir quelques arbitrages brutaux durant les études car la communication est un piètre outil de construction.
Bizarrement, impossible de trouver la composition du jury qui a décidé du sort de Nouvelle AOM et de Jeanne Gang, finaliste malheureuse. Il n’est mentionné nulle part. Il y a bien un comité de sélection* de neuf personnes dans le dossier de presse. Il ne compte que deux architectes, dont Catherine Jacquot, présidente du CNOA, tandis que la maîtrise d’ouvrage, qui paye, dispose de moins de représentants (trois) que la ville de Paris (cinq si l’on compte Alexandre Labasse de l’Arsenal). Et pas un prestigieux invité extérieur ? Ce comité de sélection a-t-il tenu lieu de jury ? Apparemment.
Pour un projet international de cette envergure, un jury est habituellement constitué, connu et scruté. Sans doute que les copropriétaires de la tour, maître d’ouvrage, sont souverains dans leurs décisions – après tout, c’est déjà bien qu’ils organisent un concours – mais comme tout se passe à l’Arsenal, il est permis de penser que les habituels apparatchiks de la ville de Paris ne sont pas loin. C’est donc ainsi que se gagnent les projets à Paris. Pour l’emporter, Nouvelle AOM pouvait-elle faire autrement ?
Que cela dit-il de «l’architecture du XXIe siècle» promise ? Si, au moment du concours, les jeunes architectes n’ont pas plus d’audace que de faire la cour au prince, quand en auront-ils ? Au-delà des qualités esthétiques de chaque proposition – laissons à ce sujet les exégètes à leurs querelles – les projets les plus radicaux viennent justement d’architectes qui avaient pas loin de 30 ans de plus que les vainqueurs, ce qui ne rajeunit personne. Pour le coup, la déception est grande tant la question de l’architecture du XXIe siècle à Paris et la problématique des IGH que ce concours entendait explorer restent posées.
Le comble est que la rénovation de la tour n’est que le début de la réhabilitation urbaine du quartier, plusieurs concours à venir ayant été annoncés à cette occasion. Dit autrement, on fait la tour Montparnasse d’abord puis on met l’urbanisme autour. Comme la première fois.
Christophe Leray
* Le Comité de sélection était composé de :
Pour la maîtrise d’ouvrage : Frédéric Lemos, président du syndicat des copropriétaires de laTour Montparnasse ; Gilles Vuillemard président du syndicat des copropriétaires de la tour ; Patrick Abisseror, président du comité stratégique de la copropriété de l’Ensemble Immobilier Tour Montparnasse.
Pour la ville de Paris : Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité ; Michelle Zaoui, conseillère architecture cabinet de la mairie de Paris ; Marion Waller, Conseillère en urbanisme, Cabinet de Jean-Louis Missika ; Bruno Lambert, architecte voyer en chef.
Catherine Jacquot, présidente du CNOA
Alexandre Labasse, directeur général de l’Arsenal