L’évolution sociétale est un des paramètres de la génétique urbaine. Chronique de François Scali.
Il faut imaginer les chats du Père Lachaise, les soldats de Vigipirate stationnés sur les Champs Elysées, ou les cyclistes de Deliveroo, avec leurs gros sacs verts et leurs clients affamés attendant leur venue, les péniches sur le canal de l’Ourcq et les marronniers du bois de Boulogne, les scooters, les taxis et les lombrics du jardin Richard Lenoir… Tous font partie d’un vaste ensemble hétéroclite dont la présence s’explique et se justifie par la relation qu’ils ont tous ensemble comme éléments constitutifs du tissu urbain parisien.
Dans son sens usuel, un écosystème concerne le vivant. S’il est transposé aux éléments mécaniques, la nature des relations change mais le principe logique reste le même, celui de considérer l’ensemble des échanges comme la base du fonctionnement du grand biotope qu’est Paris. Ce qui légitime la présence de l’homme au croisement du monde naturel dont il est issu et du monde mécanique dont il est l’auteur. Confrontation de deux mondes : le prédateur est automobile envers les chats et, simultanément, les termites attaquent les charpentes.
La vision simplifiée d’une chaîne trophique élémentaire (qui mange qui ?) et vaguement infantilisante se complique quand on y incorpore les données mécaniques qui infléchissent la dimension de l’écosystème à des paramètres non biologiques. Quand on y introduit la sphère administrative, corps onaniste mais hyperdynamique, on atteint des sommets dans la complexité et l’incohérence du système urbain
Ainsi définie, l’approche écosystémique de la ville est riche d’inventions, de surprises et de néologismes. Elle introduit notamment la dimension biomimétique de la ville, c’est-à-dire quand le mécanique, ou l’administratif, s’analyse à l’aide de comportements darwiniens.
Petit rappel : les principes de Darwin font appel à la sélection pour expliquer l’évolution. Les espèces mutent par sélection de celles d’entre elles qui peuvent survivre et celles qui ne sont plus adaptés et qui disparaissent : les ADN se modifient pour doter les chromosomes de caractéristiques plus performantes par rapport à un milieu.
Selon la transposition de cette règle, on comprend l’émergence du Crossover Renault par une évolution lente et simultanée des gênes des ingénieurs par bombardement successif des électrons issus des études de marché du comportement erratique des consommateurs dans leurs niches. Force est de constater que le Crossover a survécu et a largement contribué à la disparition de la 4L.
Les lavoirs des boucles de la Seine remplissaient de joie les écrivains de la fin de XIXe siècle et enivraient les bourgeois de rêves d’amour et de passion lavandière. Le lent passage aux laveries automatiques n’obéit pas à d’autres règles que celles qui firent évoluer les mammouths vers les éléphants par sélection de ceux qui, atteints d’allopathie, survécurent à la fin des périodes glaciaires.
L’évolution du mammouth à l’éléphant s’est faite par mutations cellulaires ou hybridation (deux cellules s’unissant pour en donner une nouvelle).
L’hybridation en architecture est de même nature, quand les opportunités de combinaisons entre deux fonctions donnent naissance à une nouvelle essence de bâtiment. C’est la lecture «organique» de la plurifonctionnalité (on dit aussi «mixité programmatique»). Friands de cette hybridation, nos édiles propagent de façon échevelée l’hypertrophie de l’agriculture urbaine, développée à toutes les sauces véganes sur les toits et sur les façades. L’agriculture urbaine est une piste passionnante de l’hybridation urbaine (si les modèles économiques permettent que le kilo de carottes ne soit pas à quarante euros) et il semble approprié d’utiliser des termes biomimétiques pour cette célébration du retour de la nature dans la ville !
La génétique architecturale devient nécessaire pour expliquer a posteriori les évolutions des lavoirs ou des mairies, et pour prévoir, a priori, quelles seraient les meilleures solutions pour le développement de ressources (énergétiques ou végétales) sur les toitures muettes et impuissantes de nos bâtiments administratifs.
L’objet architectural qui semble rétif à l’hybridation est le logement (mises à part les tartines de végétalisation), sans doute à cause d’un parasite de l’écosystème, lié aux logiques économiques. Le modèle du vivre ensemble évolue de façon sidérale au gré des évolutions sociétales incroyablement dynamiques et on continue et persiste à construire pour un modèle exclusivement familial composé de Maman et Papa et 1,93 enfants (moyenne nationale 2016).
François Scali