Le problème avec le concept d’ agriculture urbaine, ce n’est pas le concept lui-même, c’est le fait qu’il soit galvaudé. Il n’y a pourtant pas de fatalité. Parmi les lauréats mastodontes et tropicaux habituels aux réponses convenues et attendues du concours Inventons la Métropole, un petit projet signé Po&Po démontre que tout n’est pas à désespérer.
Sur le site de l’Armée Leclerc, à Morangis, en Essonne, le concours commandait bien évidemment, avec la poésie habituelle, «de réimplanter une agriculture urbaine et maraîchère qui constituera une formidable opportunité nourricière pour le territoire et contribuera à la réduction de son empreinte écologique». Alors oui, évidemment, sur ce projet à Morangis, il y a des serres sur des toits.
Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro, associés fondateurs de Po&PO, confrontés à diverses problématiques périurbaines dans le cadre de leur exercice, ont entamé depuis une quinzaine d’années pour ces territoires aux contours flous une réflexion sur le logement intermédiaire comme outil de couture entre la densité urbaine nécessaire, le paysage et l’exploitation agricoles à préserver et le désir légitime des habitants d’un ‘home sweet home’. Ils ont ainsi développé une approche de conception qui laisse la place à l’architecture dans des terroirs qui en manquent cruellement.
Pour le coup, c’est Willem Pauwels, directeur de Paris Sud Aménagement, ici mandataire inspiré et éclairé, qui est venu les chercher pour concourir sur cette parcelle impossible aux confins de la métropole. Le fond du programme était de rendre à l’agriculture un terrain bétonné et d’y construire une cinquantaine de logements, dont la moitié sociaux. Le site était certes occupé par des associations, dont le Secours Catholique, le Secours Populaire et la Croix-Rouge, mais leur départ était induit dans l’intitulé de la compétition.
Les deux secours ensemble nourrissent environ 170 familles (sur une population de 12 500 habitants en 2014, la population ayant doublé en quarante ans), la Croix-Rouge les habille. Bref, même si elles n’étaient pas prévues dans le programme, Paris Sud Aménagement*, l’aménageur qui se veut ‘créateur de territoires urbains’, le contraire d’un ensemblier donc, et les architectes décidèrent d’intégrer ces associations au projet. Bien leur en prit !
Nexity pour le logement privé, Efidis pour le logement social et Toits Vivants, l’association dont le fondateur Sébastien Goelzer est un architecte et urbaniste spécialisé en agriculture, complètent l’équipe. «Nous avons un exploitant agricole avec son montage financier, nous insérons des logements au sein de l’exploitation et, sur cette ancienne friche industrielle, seront également logés le secours populaire, le secours catholique et La Croix rouge», explique Bruno Palisson. Le programme combine donc en synergie une exploitation agricole de 7 780 m², un programme immobilier de 3 667 m² et 49 logements, une partie du bâtiment dédiée aux associations, et encore une épicerie, des espaces de formations, etc.
Agriculture urbaine donc ! Oui mais les serres ? «Il ne s’agit pas d’un poncif. Les serres sur le toit correspondent aux m² supplémentaires dont l’exploitant agricole a besoin pour équilibrer son projet, équilibre qu’il espère atteindre dans cinq ans», poursuit Bruno Palisson. Alors oui il y aura des ruchers et des circuits courts et un poulailler mais pour l’essentiel, la production se fera en pleine terre. Garder à l’esprit qu’une ferme ‘innovante’, ce n’est plus un coq tout fier sur un tas de fumier. L’équilibre financier de l’exploitant agricole était une contrainte du projet. L’agriculture, même urbaine, ce n’est pas un gimmick ou une fantaisie de citadin faisant son compost dans sa cuisine. Le projet correspond donc à un engagement fort des parties.
Puisqu’il est question d’innovation, noter aussi le programme d’insertion très social lui aussi non prévu au départ mais faisant désormais partie du projet avec les associations caritatives. De fait, à la ferme, il y a toujours du travail. L’innovation architecturale n’est jamais dans une réalisation tape-à-l’œil car ce serait considérer sinon que l’innovation fait le projet, ce qui, les architectes le savent, n’est jamais le cas. En revanche, ici, le projet architectural est en lui-même source d’innovation sociale, urbaine, paysagère ET agricole.
Pour Po&Po, il ne s’agit pas en l’occurrence de construire la ville à la campagne ou d’inventer une campagne à la ville mais, depuis le temps que l’agence travaille sur la limite périurbaine, elle parvient ici, en construisant la ville, à y faire pénétrer la campagne : une agriculture non fantasmée mais dotée d’une taille critique permettant à la production de dépasser l’anecdotique et une densité suffisante – tant en habitants que programmatique – pour en permettre le fonctionnement dans un cadre urbain. «C’est la rencontre de plusieurs mondes différents qui ne se côtoient pas d’habitude», souligne Bruno Palisson. Circuit court ? Agriculture de subsistance ? Développement durable ? En ville ?
Pour la densité, dans ces lieux souvent indéterminés, le logement intermédiaire se révèle particulièrement efficace. Sauf qu’ici, chacun n’a pas un bout de jardin délimité par une clôture mais un accès direct à la campagne, à la nature, au grand jardin.
«Ce projet fait progresser la ville vers son cœur d’îlot, jusqu’à se laisser influencer par son exploitation agricole dans laquelle il s’inscrit. Ce n’est pas un patchwork ou un catalogue mais la rencontre progressive entre la ville et une exploitation agricole, chacune bénéficiant de la présence de l’autre. Dans ce quartier pavillonnaire qui au fur et à mesure des années se renouvelle sur lui-même par un travail de sédimentation parfois un peu hétéroclite, le logement intermédiaire permet d’afficher l’affectif de l’éternelle maison iconique que les gens portent en eux tout en permettant la spontanéité d’interventions collectives et partagées. C’est dans cette continuité tant spatiale que temporelle que nous installons le projet», poursuit Bruno Palisson. C’est l’architecte qui parle, pas l’agriculteur et il est heureux que l’homme de l’art évite la confusion.
Les difficultés qui attendent l’équipe sont nombreuses, à commencer par la dépollution du site ; il y avait là une usine textile ! Noter que la gestion des terres polluées est, de plus en plus, une contrainte à prendre en considération dans les budgets et un vrai sujet pour les maîtres d’ouvrage et les architectes.
Rendre agricole une friche industrielle était, dans le cadre d’Inventons la Métropole, un véritable appel à innovation, un challenge. En fait, Po&Po avec Paris Sud Aménagement furent les seuls à répondre sur cette parcelle. Les grandes agences et les grands investisseurs étaient trop occupés sans doute à végétaliser les toits de Paris. Il est sans conteste plus aisé et plus valorisant de vendre du rêve en ville plutôt que des bottes en caoutchouc et de l’huile de coude à la campagne.
Le vrai sujet de l’agriculture urbaine est pourtant là, sur les centaines de kilomètres de frontière périurbaine de la métropole. Généralement, l’expansion de la ville repousse toujours plus loin les producteurs. Po&Po démontre qu’il est possible, voire nécessaire, d’inverser la tendance, que la production agricole peut s’immiscer en ville et donner un avenir à ces lieux de grande solitude qui n’intéressent pas grand monde.
Alors, peut-être, tous ces bienfaits écologiques dont les communicants nous rabâchent les oreilles pourront-ils être réellement mis en œuvre, à une échelle, celle de l’Ile-de-France, propre à faire une différence sur la qualité de l’air à Paris puisqu’au fond c’est de cela qu’il s’agit. Plus en tout cas que mille arbres sur une terrasse.
Christophe Leray
*Dans le cadre du concours Inventons la Métropole, Paris Sud Aménagement est également lauréat en tant que conseiller pour l’aménagement et le montage opérationnel du projet du fort de Romainville aux Lilas. Un projet pour lequel Cibex est mandataire, accompagné par Shahinda Lane, urbaniste, et les agences d’architecture : Gare du Nord, Muoto et Mootz & Pelé.