L’unité de traitement des pollutions azotées de Seine aval, à Achères (78) est sans conteste une prouesse architecturale et technologique au service de l’environnement. Mais plus que les aspects techniques, ce sont les aspects humains – dans un bâtiment pourtant quasiment vide – qui sont au cœur de la conception de ce bâtiment exceptionnel signé Luc Weizmann.
Une anecdote. Lors de la visite de presse de l’immense – la plus grande d’Europe – usine de nitrification/dénitrification, un photographe soudain demande à des journalistes de s’arrêter quelques secondes. Il a besoin d’un être humain dans son cadrage, «une question d’échelle,» dit-il. Il est vrai que la taille de l’ensemble impressionne : sur une emprise de 23.000m², le bâtiment de nitrification, de trois niveaux, fait 300m de long et 170m de large tandis que le seul bâtiment de dénitrification mesure lui 90m de long sur 50 m de large Le tout pour une capacité d’accueil de 1.700.000 m3 d’eau par jour par temps sec, 30 % de plus par temps de pluie (et jusqu’à 52 m3/s lors de pluies exceptionnelles). Soit «le plus gros affluent de la Seine avec un débit supérieur à celui de l’Oise,» explique, pas peu fier, Stanislas Wawrzyniak, qui dirige l’exploitation de l’usine pour le SIAAP (Syndicat Interdépartemental d’Assainissement de l’Agglomération Parisienne) maître d’ouvrage.
Plus impressionnant encore est de parcourir ces longues travées vides de toute activité ou présence humaine. Un architecte, habituellement, explique qu’il travaille pour les gens, qu’ils soient clients, usagers ou habitants des édifices qu’il conçoit et que cet usage détermine des choix. Or, ici, il n’y a jamais plus de 20 personnes ensemble travaillant sur le site. Luc Weizmann, un architecte spécialisé dans l’étude et la réalisation des nouvelles «architectures de l’environnement» (il compte notamment quatre usines de traitement d’eau en cours de réalisation et est l’auteur des nouveaux barrages de Chatou et du Mont Saint-Michel) et lauréat du concours (2002) en association avec un groupement d’entreprises, a visiblement réfléchi, beaucoup, au fait de construire un bâtiment non habité.
«Ce bâtiment est un équipement public industriel traitant du vivant, conçu non pas pour l’homme mais pour les besoins de l’homme,» dit-il. Il offre encore qu’il s’agit là d’un «hôpital à bactéries dans lequel le malade est l’eau, en quantités phénoménales».
Luc Weizmann parle encore de «travail plastique avec des contraintes d’exploitation exceptionnelles», de «macro design», d’un «objet dont on a du mal à comprendre la nature quand on commence à l’étudier». Bien sûr qu’il considère ces usines comme «des ouvrages lourds, pérennes, caractérisés par l’importance de leur génie civil et par une échelle hors du commun». Il admet par ailleurs que, lors de ce chantier pharaonique – 1.000 ouvriers, 23 grues, entre autres chiffres démesurés – il a parfois, avec la douzaine d’architectes qui travaillaient avec lui, ressenti une «appréhension». «C’est un projet passionnant mais il était important de ne pas se faire dominer par le bazar,» dit-il.
Il parle de colonnes d’eau demesurées, de gestion complexe des flux, de turbines, de pompes énormes, de tuyaux gigantesques (900 tonnes de tuyauterie), de normes de rejet fixées par les directives européennes, d’un projet dont la difficulté est d’être caractérisée par la grande échelle, d’un canal de rejet des eaux dépolluées dont l’énergie produite par la chute d’eau alimente l’usine en électricité, etc. Il a fallu aussi inventer un prototype de toile tendue pour protéger les bassins des U.V.. Mais il précise surtout que le plus important peut-être était de «n’être pas débordé par les dimensions techniques, que l’homme doit garder le dessus sur la machine».
C’est en pensant aux hommes qu’il ne fut pas débordé et que cette usine n’est en rien un espace aliénant car ils furent au cœur de la conception de cet immense paquebot destiné à resté vide, ou presque, à jamais. «Dans les dimensions de l’usine, la dimension première est celle de l’homme,» dit-il. Ainsi, symboliquement, le plan de l’usine induit la séparation de l’eau et de la boue. Ainsi un plan de référence simple a permis la création d’une rue centrale et de rues adjacentes que les agents du SIAAP peuvent emprunter en vélo. Ainsi toutes les salles, tous les couloirs, mêmes les niches sous les canalisations ont été conçues pour que «les humains puissent aller partout avec des engins de maintenance et assurer la maintenance dans des conditions de travail optimales». Ainsi, les trous dans la toiture dont la fonctionnalité première est de permettre le changement des cuves contribuent à apporter partout (ou presque) de la lumière naturelle et créent cette esthétique particulière (et particulièrement novatrice si l’on considère les volumes habituels des stations d’épuration) de la façade sud.
Ainsi un effort important d’aménagement paysager a été entrepris, avec le soutien du maître d’ouvrage ; ce que l’architecte nomme «l’expression architecturale du projet dans l’environnement». Ainsi tout le fonctionnement de cette usine automatisée peut être contrôlé d’un simple ordinateur, plusieurs ayant été disséminés sur le site pour, là encore, faciliter l’intervention des équipes. Ainsi, au milieu de tonnes de béton (150.000m3), Luc Weizmann a mis du bois «partout où c’était possible» (les charpentes sont en lamellé-collé) et du verre. Ainsi également, l’architecte s’est-il attaché, là encore avec le soutien du maître d’ouvrage, à confier à des artistes (le sculpteur Jean-Paul Philippe notamment) des interventions plastiques afin de susciter la curiosité, par l’architecture même, dans le cadre d’un ‘parcours de visite’ dont la scénographie a été réalisée par Brigitte Bouillot et Benoît Millot.
De fait, s’il est courant d’évoquer à propos de ce type d’équipement les termes «cathédrale de l’eau», nulle part dans ce bâtiment gigantesque, l’homme n’est écrasé par l’échelle et les volumes ou intimidé par l’impact d’un design de pointe. «La technique en soi ne se suffit pas à elle-même ; le rapport à l’eau, la culture, le travail de synthèse avec des ingénieurs spécialisés, entre autres, c’est ce qui est intéressant,» dit Luc Weizmann, ajoutant, pour conclure que «la dimension artistique est le parfait contrepoint de l’aspect technique».
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 14 janvier 2009