En alternative à un programme prévoyant un bâtiment d’angle sur rue pour la construction de 26 logements sociaux à Gennevilliers (92), Atelier du Pont (une agence membre du collectif PLAN01) a proposé un «îlot de ville» inspiré. Le maître d’ouvrage – Immobilière 3 F – a soutenu l’expérience. Découverte.
«Il a fallu tricoter,» s’amuse Stéphane Pertusier de Atelier du Pont (Anne-Cécile Comar, Philippe Croisier et Stéphane Pertusier). Au moment où il prononce cette phrase, lors de la visite des logements de Gennevilliers (livrés en octobre 2008) réalisés par l’agence, le journaliste comprend qu’il veut dire que parvenir à mener ce projet de 26 logements sociaux, tous différents les uns des autres, n’a pas été coton. D’autres auraient peut-être employé le cliché de la haute-couture pour expliquer que ce projet sur-mesure était cousu main. Car ici le mot ‘tricoter’ – une maille à l’endroit, une maille à l’envers, à l’envi – raconte exactement l’inverse de la réalité de ce projet singulier, étonnant, que le maître d’ouvrage lui-même, pourtant expérimenté, qualifie «d’expérience», puisque, de fait, il n’y a pas deux mailles similaires.
Ce quartier de Gennevilliers est lui-même un vaste chantier (ce n’est rien de l’écrire). En lieu de l’ancien site des usines ETG-Chausson et autres entrepôts sortent de terre, sur neuf hectares, des programmes neufs de logements (1.200 logements dont la moitié sera proposée en location sociale), de bureaux et d’équipement. Le lycée est tout neuf ainsi que l’église, une mosquée est en construction. Dans ce décor au final sans surprise, la petite opération (au regard de l’échelle du nouvel aménagement urbain de la ville) de Atelier du Pont, dont le rouge vif apparaît soudain dans la rue, offre un contraste bienvenu. Contraste qui devient une vraie (bonne) surprise une fois passée la grille de l’entrée.
Sur une parcelle rectangulaire à l’angle des avenues Chandon et Couturier, le programme prévoyait un bâtiment d’angle sur rue de 12 m d’épaisseur à R+3 que les architectes n’auraient sans doute eu aucun mal à réaliser. Sauf que Atelier du Pont a proposé une alternative inspirée : occuper toute la parcelle mais monter moins haut (R+2) avec du logement intermédiaire, soit «une forme urbaine qui synthétise une transition agréable entre centre-ville et zone périurbaine». Et c’est un autre travail qui a commencé.
Si, au premier regard, l’aspect extérieur apparaît assez fermé, c’est seulement que, dans le contexte urbain neuf tel qu’aujourd’hui construit, les façades sur rue créent la surprise et intriguent en ne permettant pas d’identifier d’emblée la fonction de ce bâti. De fait un soubassement insuffle du dynamisme à l’ensemble et des transparences et ouvertures «donnent une idée» de ce qui se passe à l’intérieur. Mais rien ne hurle, ni ne murmure, ‘Logement social’. Il faut donc s’approcher puis entrer dans l’une des deux venelles pour comprendre l’intention des architectes qui fonde la réussite de l’ouvrage.
Le projet est composé de petits groupes de 1 à 6 logements conçus à la manière de maisons de villes accolées, sans hall, avec des parties communes à l’air libre. Sans parcours classique – il n’y a pas de couloir – «l’îlot dessine un quadrillage de venelles colorées menant aux logements et de percées perpendiculaires ménageant les accès aux jardins et terrasses. Il est ouvert sur la ville et facilement perméable. Le rouge clair qui illumine les passages intérieurs est soutenu et chatoyant. Cette couleur caractérise et distingue clairement les espaces collectifs. Le projet crée un paysage intérieur agréable, gai, vif, tranchant avec le contexte périurbain dans lequel il se situe,» écrivent les architectes. «C’est un univers à part, comme une copropriété,» souligne Anne-Cécile Comar
Les volumes, découpés en retrait, offrent des espaces extérieurs de qualité et des vues multiples. Cette composition générale permet d’offrir à tous les appartements de grandes terrasses, une multitude de vues, du soleil et l’éclairage naturel des pièces secondaires (salles de bains éclairées naturellement, circulations larges et lumineuses pour servir de petit bureau, de ‘coin ordinateur’, etc.). Des paravents ou pergolas en clins de bois brut suppriment les vues plongeantes et directes sur les espaces privatifs des logements. Les garde-corps pleins de terrasses assurent la même fonction.
De fait si, en fonction du budget et des contraintes de prospect issues du parti pris architectural, une grande partie des moyens ont été investis dans le gros-œuvre et la «découpe» des appartements, les architectes ont travaillé l’économie du projet afin de maintenir pour tous un grand nombre de fenêtres et d’offrir aux locataires nombre d’ouvertures vers l’extérieur (tant d’ailleurs vers la rue que vers l’intérieur en patio de l’îlot) ménageant ainsi une grande profondeur de champ.
Au final, alors même que la densité du projet est importante et que les appartements sont en réalité très proches les uns des autres, chaque logement fonctionne réellement de façon autonome en étant parfaitement ou presque protégé des vis-à-vis (un peu moins en rez-de-chaussée en attendant que poussent les haies). Impression renforcée par l’accès privatif (ou presque) de chaque logement, permettant d’ailleurs aux locataires de s’approprier les paliers. Sur l’un d’eux par exemple, une famille a installé un meuble à chaussures puisque personne d’autres n’utilisera cet accès. Là encore l’illusion d’espace est saisissante – les ‘cages’ d’escalier aériennes, protégées mais en plein air en sont une parfaite illustration. Tous les appartements sont différents, tous disposent de deux voire trois grandes terrasses, ceux situés au rez-de-chaussée bénéficient d’un jardin privatif et les accès qui y mènent sont diversifiés.
Ces cages d’escalier aériennes sont par ailleurs un symbole de ce qui s’est joué entre Atelier du Pont et I3F, le maître d’ouvrage. Il est aisé de comprendre la surprise première d’I3F : sur un projet qui ne posait pas de problèmes particuliers au départ, le maître d’ouvrage se retrouvait avec une proposition originale qui, outre d’être compliquée (soucis avec le POS et le PLU, prospects, etc.) imposait quelques petits aménagements au règlement de ZAC. Ceux-ci ont été menés en concertation avec les services d’urbanisme de la Ville. «Le maître d’ouvrage a compris le projet et nous l’avons mené en concertation avec lui,» se souviennent Anne-Cécile Comar et Stéphane Pertusier. Lesquels soulignent qu’une fois I3F convaincu, le maître d’ouvrage les a soutenus jusqu’au bout.
En contrepartie, Atelier du Pont n’a pas ménagé ses efforts, au point que les pochoirs utilisés pour la signalétique ont été réalisés par l’agence. «Nous sommes heureux d’avoir pu réaliser ce projet avec I 3F. Nous nous sommes appliqués, avec le souci du détail, afin de rentrer dans le budget sans trop toucher au projet,» concluent-ils.
Ce sont les locataires qui ont toutes les raisons de s’en féliciter.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 25 février 2009