Mme B. est une jeune architecte, pourtant il fut un temps où elle était plus jeune encore. Etudiante à Séoul, elle s’était liée d’amitié avec M. Lee et M. Han, devenus d’illustres représentants de l’architecture contemporaine coréenne. Parcourant les rues de la capitale française avec ses anciens acolytes, Mme B. médite du voyage, du passé et du contexte.
Mme B. remonte le temps. Elle est entrée à l’école d’architecture à Séoul en quatrième année. Dans son studio, elle a rencontré M. Lee, un jeune architecte qui débutait sa carrière de professeur après des études à Paris. Puis, elle a rencontré M. Han, un autre jeune architecte qui lui a proposé de travailler, à l’occasion un concours, dans son agence, un petit atelier qu’il avait ouvert seul, après des études à Paris.
Quinze ans plus tard, Mme B. est jeune architecte à Panam. M. Lee et M. Han, devenus parmi les incontournables représentants de l’architecture contemporaine de Corée, sont revenus à Paris pour inaugurer une exposition* sur leur travail. Après une première soirée émouvante, Mme B. les rejoint un dimanche en balade pour partager leurs retrouvailles avec Paris et leurs souvenirs.
Selon elle, le concept de voyage est l’occasion de nouvelles découvertes qui, dans le même temps, conduisent à réfléchir sur soi-même. Pour un architecte, la visite d’un nouvel environnement lui permet de passer outre ses habitudes et de prendre conscience de l’environnement historique, social et culturel dans lequel il vit. Dans son travail, cette compréhension de son propre contexte est primordiale car elle seule peut ainsi d’apporter un regard pertinent et réfléchi à travers son architecture, que ce soit pour le refléter, le détourner, le refuser ou le changer.
M. Lee et M. Han ont grandi pendant la période de transition du régime militaire coréen d’après-guerre vers une société démocratique. Suite à l’autorisation donnée à tous les Coréens de voyager librement à l’étranger à l’occasion des Jeux Olympique de Séoul en 1988, plutôt qu’afin de valider un diplôme, ces architectes sont venus à Paris, dans un vaste monde inconnu, pour procéder à cette recherche de soi-même, comprend Mme. B.
«Je sais que Paris ne change jamais mais cette ville n’a vraiment pas changé ! Tout est resté identique depuis quinze ans. Nous avons l’impression d’être partis hier», s’étonne M. Han.
Mme B. sourit en mémoire de son propre étonnement lors de sa dernière visite à Séoul ; «La ville a encore changé partout en deux ans!»
Venant de Séoul, une capitale qui se transforme constamment depuis qu’elle fut détruite pendant la guerre de Corée (1950 – 1953), M. Lee et M. Han sont marqués par le paysage de Paris où les tissus urbains, les monuments et les traces du passé sont fortement présents. Ils parcourent les rues parisiennes pétris d’un enseignement composé de questions urbaines autant que de projets d’architecture. Ayant vécu à Paris, ils ont ainsi développé une sensibilité à la compréhension du contexte urbain.
De retour à Séoul, cette expérience a aiguisé leur regard sur leur ville, perçue non pas comme un désordre à contrôler, en important une pensée occidentale dominée par la recherche du perfectionnement, mais comme un ordre sans cesse changeant, tant en matière d’usage que d’environnement, auquel leur architecture doit s’adapter.
Leur engagement urbain propre à la situation coréenne se manifeste à travers une architecture flexible sans schéma idéal : la simplicité de plans et de façades, l’attention portée aux usages quotidiens et la liberté en matière d’utilisation de formes, de matériaux, de couleurs, etc., le tout agrémenté d’humour.
M. Lee et M. Han mènent cette approche contextuelle avec une sensibilité particulière portée aux moindres traces présentes dans un site donné. Contrairement à Paris, riche de mémoires bâties, les traces du passé sont rares à Séoul où moins de 3% des logements remontent à une période antérieure à la guerre de Corée. Même les bâtiments ordinaires des années 1980 en mauvais état sont à protéger, racontent-ils. Pour Mme B., ces architectes coréens à la recherche de toute trace du passé sont presque animés d’une vocation d’archéologue.
La balade prit fin en début de soirée dans un restaurant vietnamien sur l’avenue de Choisy. M. Lee et M. Han sont enfin attablés devant les nouilles sautées et le canard laqué au riz qu’ils ont rêvé, depuis quinze ans, de retrouver à Paris. Ils admirent leurs plats autant que le dynamisme et la richesse que les quartiers des communautés étrangères offrent à Paris.
Au retour, dans le métro, chacun est plongé dans ses pensées. M. Lee pense à la puissance urbaine de Paris qui semble vivre hors du temps. M. Han pense aux terrasses des cafés parisiens où il aimerait bien se détendre loin de la vie chargée de Séoul.
Quant à Mme B., elle pense aux politiques urbaines en cours de changement dans son pays. Le mode de développement urbain d’autrefois, massif, spéculatif, rigide, répétitif et destructif quant à l’écologie, se voit remplacé aujourd’hui par un urbanisme qualitatif.
C’est-à-dire : le retour à l’intériorité de la ville avec des projets de requalification d’anciens quartiers résidentiels, des projets urbains de taille modérée favorisant la diversité et la mixité avec la participation de divers architectes, la reconstitution des espaces verts dans la ville, l’intégration de questions issues de la topographie et du paysage dans les projets de construction de nouveaux quartiers, la mise en place de lignes directrices souples favorisant le processus de changement et d’évolution plutôt que d’un schéma arrêté, l’attribution de la valeur patrimoniale aux anciens bâtiments, etc.
Sa rêverie s’interrompt à la station de métro de destination de ses hôtes. Sans force effusions, chacun sait avoir passé une bonne journée.
Le métro repart et Mme. B. pense alors aux politiques urbaines en cours à Paris et en France.
Puis elle se dit que non, ce n’est le moment d’y penser. Demain matin au bureau sera bien temps.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun
* Du 20 février au 8 mars 2014, l’ENSA Paris-Malaquais a présenté l’exposition ‘Point / Contrepoint : Trajectoires de dix architectes coréens’.
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 5 mars 2014