Vingt ans après la fermeture des usines Renault, Pierre-Christophe Baguet, maire actuel de Boulogne-Billancourt (92), assure qu’un «projet d’aménagement est enfin sur le point d’aboutir». A cet effet, les Boulonnais sont invités à voter jusqu’au 16 décembre afin de choisir parmi les trois projets conçus par Jean Nouvel. En clair, choisir entre oui, oui et oui. Le maire s’engage, par écrit, à respecter le choix de ses administrés. C’est bien le moins.
«Chère Madame, Cher Monsieur,
Nous avons la chance de vivre dans un environnement exceptionnel mais qui reste malgré tout fragile.
Particulièrement attentif, depuis mon enfance, à l’identité et au cadre de vie de Boulogne-Billancourt, je sais combien vous y êtes attachés. […]».
Etc. etc.
Ainsi s’exprime par courrier auprès de ses administrés, Pierre-Christophe Baguet, maire UMP de la seconde ville d’Ile-de-France, à l’occasion de son referendum – le choix entre trois projets d’un même architecte – quant au devenir de l’Ile Seguin.
D’aucuns ne voient ici qu’un Nouvel épisode d’une politique-réalité comme il en est des ‘novellas’ de république bananière.
Certes, entre des tours – appelées ici «points hauts» (sic) – et un grand jardin ou pas de tour et un petit jardin, voici un referendum d’importance, sinon pour l’Ile Seguin, au moins pour l’avenir de Pierre-Christophe Baguet, homme si généreux qu’il offrit sa circonscription – comme ça, cadeau ! – à Claude Guéant, l’ancien ministre de l’intérieur, avec le succès que l’on sait.
Que l’architecte apprécie l’exercice de style – je fais comment avec tant de m² ? – pourquoi pas ? Plus irritant peut-être, le fait que Nouvel soit en sus l’architecte du projet R4* (tiens, l’info n’était pas sur le document fourni par le maire). Pour l’hôtel 5 étoiles, si ça se trouve, il y a de la place… Et Nouvel devrait candidater, pendant qu’il y est, pour tous les autres équipements tant l’Ile Seguin lui porte chance.
Mais bon, voilà qui n’est pas le plus gênant.
En matière de constructibilité totale, il est cocasse que le plus économe des trois projets «soumis à la préférence» des Boulonnais compte 232.000m². Pierre-Christophe Baguet est celui-là même qui avait gagné la mairie en fustigeant comme «trop dense» le projet de 170.000m² de Jean-Pierre Fourcade, son prédécesseur, qui avait remis à flots les finances de la ville. Et dire que c’est l’ancien premier adjoint du maire actuel qui, pour avoir dénoncé cette contradiction fondamentale, est aujourd’hui député à la place du vizir.
Ce n’est pourtant pas là le plus gênant.
Que ce referendum soit une insulte au sens commun, il va sans dire. Un referendum, c’est fait pour dire oui ou non. Ici, il n’y a pas d’alternative. Quand le choix est entre ‘oui certes’, ‘oui mais’ et ‘oui sans doute’, cela s’appelle un plébiscite. «Cette opération de démocratie locale» – la démocratitude ? – «est une première pour un projet d’une telle dimension», assure Pierre-Christophe Baguet. Nul ne le lui fait dire !
Certes, il est vrai, qu’en France, les élections au sein des partis conquérants ont un goût de banane.
Mais ce n’est pas ce qui est le plus gênant.
Très bien, voici un projet siglé Grand Paris. De fait, Pierre-Christophe Baguet est un poulain élevé au grain dans les Hauts-de-Seine. Le Grand Paris jusqu’au Havre ? La preuve, à ce jour, sur l’Ile Seguin, des containers ! Alors, pourquoi ce referendum ne s’adresse-t-il qu’aux seuls Boulonnais ? Pourquoi ne pas faire voter tous les Franciliens puisqu’il s’agit du Grand Paris ? Ah ça, d’Antony à Neuilly, de Créteil à Pantin, ce serait une opération formidable ! Faire voter par exemple les habitants de Meudon, juste de l’autre côté de la Seine, face à l’Ile Seguin. Ces derniers, apparemment, ont un avis sur les tours de Nouvel et le futur de l’Ile.
Sauf qu’en guise de Grand Paris, la seconde ville de l’Ile-de-France est bien calée en ses frontières. Pourquoi pas ?
Ce n’est encore pas le plus gênant.
Reprenons. «Nous avons la chance de vivre dans un environnement exceptionnel mais qui reste malgré tout fragile», indique Pierre-Christophe Baguet. C’est vrai, la fragilité de l’environnement exceptionnel de la ville échappait aux observateurs. L’Ile Seguin sera donc une île «durable et exemplaire». Ouf !
Continuons. «Particulièrement attentif, depuis mon enfance, à l’identité et au cadre de vie de Boulogne-Billancourt […]». Voilà un cri du coeur ! Le très jeune Pierre-Christophe Baguet voulait être paysagiste quand il serait grand.
L’Ile Seguin ou le rêve absolu d’un petit garçon ! Et par referendum en plus ! Il faut rendre ici grâce à la détermination précoce de l’édile.
Et ce n’est même pas le plus gênant.
En effet, la novella de Boulogne del Billancourt n’est qu’un exemple de la déliquescence ici de l’autorité publique en cette année 2012. Puisque nous parlons d’architecture et du fait des princes et baronnets, si telle est la situation aux portes de la Ville-lumière, là même où les caméras sont braquées et les medias attentifs, que se passe-t-il donc dans les endroits sombres de France et Navarre ?
Voilà qui est source d’inquiétude.
Une chose est sûre : au moins, les bananes sont contrôlées «par huissier tout au long de la procédure».
En gras dans le texte, pour les mal-entendants.
Christophe Leray
* Le pôle des arts plastiques et visuels R4 est un espace qui s’inscrit au coeur du projet culturel et urbain de l’Ile Seguin (Boulogne-Billancourt, Paris). Le R4 est un projet qui regroupera, sous une forme nouvelle et sur un même site, les acteurs du monde de l’art dans leur diversité et leurs complémentarités, afin d’offrir un cadre propice à l’émulation et à la création. De manière pionnière et inédite, le R4 mettra en relation artistes et galeristes, collectionneurs, amateurs et institutions culturelles, logisticiens et curateurs d’exposition, afin de créer une «communauté vivante de l’art». Un projet signé Nouvel. (communiqué de presse).
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 12 décembre 2012