L’attractivité de Paris et sa région est telle qu’elle rend toute tentative de donner une forme multipolaire, polycentrique, et donc d’inverser la vraie nature de la ville, vaine et inefficace. Nous prenons encore le risque de perdre une décennie en amplifiant le chaos.
Paris, une des plus belles villes du monde, a un pouvoir d’attraction qu’il ne faut pas sous-estimer. Cette puissance, ce magnétisme sont à prendre en considération avant tout, bien avant d’avancer une hypothèse d’aménagement. Il faut canaliser cette force dans la perspective, toujours la même depuis cent ans, «de mettre de l’ordre dans la banlieue». Ce qui signifie réduire les temps de déplacement, résoudre la question du logement, assurer la sécurité de tous, apporter des services à chacun des habitants, donner un accès facile aux espaces naturels, etc.
Une ville multipolaire, ça ressemble à quoi ? Avec ses petits et ses grands pôles, la ville multipolaire ressemble à un vaste territoire dans lequel (merci le GPS !), on arrive tant bien que mal à se retrouver. C’est ce que nous avons aujourd’hui.
Il y a mille communes, autant de pôles plus ou moins importants avec leurs clochers, leurs mairies, leurs marchés… enfin, je veux dire des pôles commerciaux, des pôles culturels, des pôles administratifs, des pôles tertiaires, universitaires, sportifs, de loisirs. Saupoudré sur chaque territoire, un petit peu de ceci, un petit peu de cela, un petit quelque chose pour chacun.
Difficile de transformer la ville traditionnelle, celle qui regroupait tout en un seul centre, pour en faire une ville moderne, polycentrique, multipolaire dans un parfait équilibre sans étouffer le centre et. C’est l’utopie.
En y réfléchissant, la ville polycentrique pourrait ressembler à une «conurbation» façon Lille, Roubaix, Tourcoing. C’est cela qui serait nouveau ? Le vrai problème est de faire abstraction de l’attraction de Paris. Impossible !
Au Maroc, pour garantir la sécurité des villes existantes (toutes composées d’une médina et d’un mellah, un bipôle), le maréchal Lyautey leur avait juxtaposé une ville nouvelle rendant chaque ville multipolaire. Une manière d’aller vers un polycentrisme équivalent à du communautarisme. Or ce qui est recherché n’est-ce pas une ville ouverte à tous ?
Aujourd’hui, les «quartiers», souffrent prioritairement de l’auto-enfermement qui résulte à l’origine d’un vrai isolement. Mais ce n’est pas en leur affligeant une étiquette «d’espace de centralité» et en repeignant les façades que les choses vont changer. Il faut s’interroger sur la manière de réinscrire ces territoires dans un marché immobilier porteur, comprendre la perception des habitants mais aussi celle des personnes extérieures. Pour créer des lieux magiques il faut être un magicien, rêver, mais l’émotion ne se décrète pas. Le problème est complexe, les solutions sont diverses, c’est ce qui devrait faire la richesse de l’urbanité métropolitaine.
Ce n’est pas un bâtiment d’archives ou un ministère qui va changer quoi que ce soit, surtout lorsque l’on voit une gare sans train, comme à Chanteloup-les-Vignes, au Val Fourré, à Mantes … Proposer une «figure polycentrique» c’est avoir une posture idéologique, voire un faux pragmatisme. Au lieu de revoir les deux derniers siècles d’histoire de Paris, l’urbaniste continue de proposer de pseudo-innovations en opposition avec les lois de la nature. Comment faire pour que la ville et sa périphérie donnent l’image d’une unité, ne fassent qu’un avec les quartiers difficiles, ces quartiers qui en s’emmurant ont reconstitué le rempart disparu ?
Il faut rester simple et efficace : considérer Paris à l’intérieur du périphérique, comme le centre d’une agglomération de quinze millions d’habitants. Paris est et sera le centre d’une mégapole contemporaine, un attracteur international, qui devra être relié à son territoire par vingt avenues, qui devraient reprendre, pour l’essentiel, le tracé des routes nationales. Chaque avenue aura ses gares, ses lieux de vie puissants, vivants et actifs.
Il faut absolument s’interroger sur l’échec des villes nouvelles, et particulièrement sur celui qui s’annonce sur le plateau de Saclay. J’ai toujours suggéré de réaliser des radiales (avant la conception des liaisons périphériques collectives), je ne dirai donc rien sur le Grand Huit. Il est important que tous les Franciliens aient une représentation claire, «une vraie image de la ville». Louis XIV s’y est employé en faisant tomber les remparts et en créant l’unité du territoire national. C’est notre acquis, aujourd’hui le monde moderne nous impose cette représentation de la ville centrée.
Il est temps de nous projeter dans l’avenir pour sortir d’un projet hésitant sur le Grand Paris. En cinquante ans, le monde a changé et nous n’en sommes plus au «Paris et le désert français» de Jean François Gravier (publié en 1947). Les TGV ont fait de la France un pays centralisé et «multipolaire». Il est impossible de l’ignorer.
En revanche, ce qui n’a pas changé est notre façon de penser l’urbanisme, notre amnésie sur les erreurs : la ville se développe à l’ouest ? On va la rééquilibrer à l’est. Le centre est congestionné ? On va le décongestionner avec des villes nouvelles, on va aménager le territoire. Résultat ? Le centre de Paris a toujours un fort pouvoir d’attraction et il ne fait qu’augmenter.
La ville historique de Max Weber se définissait par son rempart, son marché, sa démocratie. La ville européenne a changé de forme depuis que les remparts ont disparu. Avec l’arrivée des chemins de fer et de l’automobile, la ville qui avait un centre a aujourd’hui une périphérie. Cette extension du territoire de la ville s’est faite au gré des opportunités, souvent de façon chaotique. C’est LE problème numéro un du Grand Paris et de ses différents schémas directeurs.
Toutes sortes de remèdes ont été envisagées sans grands succès, notamment la création des villes nouvelles qui devaient faire de Paris une ville multipolaire. Il faut se souvenir de la taille que devaient avoir les villes nouvelles du schéma directeur, SDAURIF : «cinq cent mille habitants pour pouvoir construire un opéra dans chaque ville».
Le facteur déterminant de ces bouleversements a été «la mobilité», les déplacements, la vitesse de déplacement, la vitesse de communication, qui ont poussé à construire des immeubles de grandes hauteurs ou des ensembles pavillonnaires loin de tout. Plus la vitesse est présente dans la ville, plus on attend de la nature qu’elle joue un rôle rassurant. L’envahissement de notre quotidien par l’univers technique s’est accompagné d’une demande de plus en plus importante de nature comme dimension compensatoire.
C’est ainsi que le baron Haussmann a créé des parcs, des jardins, des arbres d’alignements à l’arrivée des gares et du métro dans la ville. Aujourd’hui, Paris intra-muros se ferme aux déplacements des véhicules et de façon inéluctable on s’achemine vers l’idée d’une ville «lente», verte et piétonne. Paris, avec ses 100 km², est le centre d’une grande ville moderne qui ne pourra pas être autrement que radioconcentrique. La réalité est là : dans les années soixante, Paris se vidait le weekend, tout le monde partait en périphérie sur les bords de la Marne ou à la campagne. Aujourd’hui c’est l’inverse, les guinguettes, les dancings de Robinson, c’est Paris Plage, c’est la périphérie qui vient «à la ville». Pendant un siècle l’urbanisme a tout fait pour éviter le ‘radioconcentrisme’ mais aujourd’hui Paris est devenu un lieu d’accueil.
Il ne faut donc pas avoir peur du «radioconcentrisme», Paris est le centre de la France et la France entière rayonne grâce au polycentrisme de ses villes : Nantes, Bordeaux, Lyon, Lille, Marseille ou Toulouse…
Contre toutes les idées reçues, ce centre doit rayonner sur l’ensemble d’un territoire régional à partir d’une vingtaine d’avenues, du style des Champs-Elysées. Ces avenues doivent être équipées de transports en commun rapides, souterrains de type métro, en surface de type tramway, ou encore aériens comme à Wuppertal. Un centre dilaté, des radiales denses, des vies de quartiers autour de chaque gare, des espaces sanctuarisés pour l’écologie périurbaine, dans les territoires interstitiels.
Chaque radiale devrait faire l’objet d’une ZAD (zone d’aménagement différé), ce qui redonnerait du sens aux EPT (établissement public territorial). Reste à reconsidérer les périphériques quand on sait les difficultés que l’on a eues à réaliser la Francilienne et que la ville de Pékin en est déjà à son sixième contournement.
Nous sommes loin du compte, il ne faut pas l’oublier. C’est le schéma directeur d’Henri Prost (PADOG) qui reste le plus proche de ce que devrait être le Grand Paris avec ses radiales et ses contournements.
Le chantier du Grand Paris est en marche, tout devient un problème de priorité et de planification : Paris interdit la circulation automobile à partir du périphérique, vingt avenues exceptionnelles compléteront les Champs-Elysées, un troisième puis un quatrième périphérique viendront achever l’image d’une ville à vivre avec son histoire et sa diversité.
On peut démarrer demain le Grand Plan de Paris. Il n’y a pas d’obstacle de gouvernance, il y a un obstacle dogmatique, celui de la vision d’un urbanisme suranné.
A l’heure où le Président de la République s’intéresse à cette belle idée du Grand Paris, gageons que le rayonnement de la France trouvera, dans l’urbanisme contemporain, l’expression d’une dimension symbolique que «l’urbanisme» a trop longtemps occultée.
Alain Sarfati
Architecte et urbaniste
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