Les bâtiments se doivent désormais d’être connectés. Par exemple, parmi les critères de l’appel à projets EDF, dont les lauréats ont été dévoilés le 17 septembre 2018, noter les ‘Services d’accompagnement et maison connectée’. «Que cela concerne la sécurité, le bien-être ou encore les aménagements du quotidien, proposez-nous vos solutions connectées pour plus de sérénité !» proposait le concours.
Tout le monde semble d’évidence à la recherche de solutions de connexion tant les critères de connectivité sont désormais l’un des musts de ces programmes auxquels doivent se plier les hommes de l’art.
De fait, parmi les lauréats, dans la catégorie «services à la personne dans l’habitat», Zenpark, «le plus grand réseau de parkings partagés intelligents d’Europe». Le principe : «Zenpark optimise les places de parkings privées inoccupées en parking partagé et connecté à disposition de tous ceux qui cherchent des places en centre-ville à moindre coût». La société affiche plus de 550 parkings en France et en Europe. L’opérateur a été également récompensé du «coup de coeur du jury», qui a sans doute trouvé à se garer. Le AirB&B du parking en somme, cela semble utile.
Sauf que le bâtiment connecté est déjà ‘has been’ : bienvenue au bâtiment «hyper connecté» (sic) !
En effet, le 29 septembre 2018 (à 10h pour les historiens), un promoteur d’immobilier durable a ouvert les ventes d’une résidence haut de gamme en pierre de taille en plein cœur de ville d’une commune francilienne. «L’opération à l’architecture contemporaine d’inspiration Art déco sera livrée au 4ème trimestre 2020», indique la brochure.
Surtout cette résidence sera «hyper connectée». Plus connectée que connectée ? Qu’on en juge.
«Les résidents pourront gérer à distance la température de leur logement, suivre leurs consommations d’énergies ou recevoir l’alerte de leur détecteur de fumée depuis un smartphone, une tablette, un ordinateur ou pour certaines commandes par la voix avec les nouveaux assistants vocaux. Ainsi, ils pourront également commander leurs volets roulants ou éteindre les lumières en un instant, lorsqu’ils quittent leur logement ou à distance en cas d’oubli».
Whaow !
Suivre sa consommation d’énergie en direct, c’est comme regarder un compteur, une activité exaltante, voire hypnotique, dont nul ne pourra bientôt plus se passer. Et puis éteindre les lumières, dans l’ancien monde, prenait un temps fou. Dans le manuel des fabricants, parmi les questions les plus fréquemment posées : «Si je me fais voler mon smartphone, pourrais-je encore actionner les interrupteurs voire rentrer chez moi ?» «Non !» «Et si l’immeuble se fait hacker, je dors à l’hôtel ?». «Oui !»
Pour garantir la meilleure qualité, ce promoteur d’immobilier durable n’oublie pas de préciser dans son communiqué de presse qu’il fait appel à des marques aux technologies fiables et éprouvées (ici vos trois marques préférées). Un bâtiment hyperconnecté comme le poisson à l’hameçon en quelque sorte. D’ailleurs, à toutes fins utiles, le programme est certifié NF Habitat et répond à la RT 2012.
Ce n’est pas tout ! Car les résidents pourront également bénéficier des avantages de la boîte à colis «connectée». «Disposée à l’entrée de la résidence, cette boîte de grande taille sera en mesure d’envoyer un SMS au destinataire d’un colis dès qu’il vient d’être déposé. Accessible 24h/24h, ce système évitera de se rendre à la Poste ou dans un point de livraison pour récupérer un paquet».
Whaow !
A 7 600€HT le m², prix de vente moyen (boxe ou parking en sus), en seconde couronne de banlieue parisienne, si cela n’est pas le progrès pour ces 60 logements haut de gamme, que peut bien être le progrès dans le domaine de l’habitat ? Un progrès qui, n’en doutons pas, au vu de la qualité des industriels concernés, ne manquera pas de ruisseler. La preuve, dans les pays les plus pauvres, des gens crèvent la dalle leur smartphone à la main. Et bientôt des cercueils connectés pour vérifier que les morts restent bien morts et clients dociles.
Le promoteur d’immobilier durable prend soin cependant de préciser que le «pack logements connectés» est en option. On n’est jamais trop prudent, au moins pour les clients par ailleurs solvables mais un peu sourds au progrès. Mais l’argument est imparable : qui ne souhaite pas vivre dans un logement hyperconnecté ? D’ailleurs ce n’est plus qu’une question de temps que, grâce à la reconnaissance vocale du dernier chic, tous les «assistants vocaux» de ces équipements ne se mettent à deviser pour nous assister mieux encore.
Faut-il aux architectes imaginer des maisons qui vous parlent ou vous envoient des alertes toute la journée? Drin drin (c’est la maison) : «Cher Maître, j’ai baissé les volets du salon parce que l’exposition au sud a dépassé un seuil critique. C’est la raison pour laquelle les sirènes d’alerte à la surconsommation d’énergie se sont mises à hurler et ce pourquoi vous avez reçu tous ces sms alarmants dont je vous invite à ne pas tenir compte. J’ai pris sur moi d’envoyer des sms aux pompiers pour leur expliquer la situation, qu’ils ne se dérangent pas et n’inondent pas la maison pour rien. J’ai également fait part à votre avocat de ce non-incident dont j’ai également prévenu votre épouse, votre fils, votre fille et votre mère, qu’ils ne s’alarment pas inutilement non plus à réception des mails précédents. Si vous voulez je les appelle. Par qui commence-t-on ? Votre mère ?»
Avant vous quittiez votre logement pour la journée sans y pensez plus, bientôt il vous témoignera sa sollicitude à longueur de temps. « Cher Maître, as-tu trop froid ? Trop chaud ? Veux-tu que je te prépare une tisane ? Une aspirine ? Un fusil chargé ?»
Si les murs, en plus d’avoir des oreilles, deviennent bavards, c’est bien d’un nouveau paradigme architectural qu’il s’agit et chacun comprend bien que ces logements du futur ne soient d’abord, avant de ruisseler, réservés à une clientèle haut de gamme.
D’ailleurs ce n’est plus qu’une question de temps que la voiture, bien entendue connectée elle aussi, se mette à papoter à son tour. «Cher Maître, je tiens à vous signaler qu’il ne reste que 40 % d’essence dans le réservoir. La prochaine station-service est à 250 mètres. Si vous voulez vous y rendre, tournez à gauche à la prochaine avenue. Mais si vous conduisez 500 mètres de plus, une autre station-service vous propose de meilleurs prix. En ce cas tournez à droite. La différence des 250 mètres supplémentaires en carburant consommé est largement compensée par l’économie sur le prix de l’essence. Vous économiserez ainsi deux centimes et un litre cube de CO². Sinon, si vous préférez attendre, l’indice Petroleum de Chicago indique une baisse du prix du ‘crude’ dans une semaine. Je vous envoie dans un mail séparé les cours du pétrole de ces dernières heures. Considérant que vous ne faites que dix km par jour avec la voiture, je suggère que vous attendiez quelques jours avant de faire le plein. D’après mes calculs, si vous faites le plein dimanche, vous économiserez 4 centimes. Mais un ouragan menace les côtes du Texas et le baril augmentera peut-être entre-temps». Ha la puissance de calcul des équipements connectés… Quelle merveille !
Parce que regarder un compteur de vitesse ou un niveau d’essence, c’est devenu trop compliqué pour le commun des mortels ? «Cher Maître, vous avez raté le virage. Vous êtes apparemment mort. Dois-je quand même appeler des secours ?»
A ce rythme, notre logement autonome et notre voiture autonome n’auront un jour plus besoin de nous pour tailler le bout de gras, ils pourront discuter directement ensemble. «Hé la maison, j’arrive dans cinq minutes, tu ferais bien de me chauffer le garage car je n’ai pas envie de me les geler toute la nuit». «D’accord la voiture, mais par souci d’économie, pour chauffer ton garage, je vais devoir baisser la température dans les pièces de vie et papa ne va pas être content». «Oui mais bon, nous avons nos objectifs alors il n’a pas le choix».
Attendez encore que le compteur Linky acquiert la reconnaissance vocale, voire pire, l’intelligence artificielle : impossible de boire sa bière autrement qu’à 12 °. Et pour ceux qui l’aiment chaude, ce sera tant pis pour eux. Siri, dans la chambre nuptiale : «dites donc les gars, ou dites donc les filles, ou dites donc le gars et la fille, ou dites donc les autres» (rayer les mentions inutiles), bref Siri dans la chambre nuptiale : «dites donc, faudrait voir à se calmer, la température augmente et je vais devoir actionner la clim, ce qui n’est pas bon du tout pour la planète alors s’il vous plaît on se calme». Pour la sauvegarde de l’environnement, on dit merci qui ?
Et puis quoi bientôt, dans le ‘pack logement connecté’, les chiottes connectées à reconnaissance vocale ? «Monsieur/Madame/Autre (rayer la mention inutile), vos selles sont à 10% d’humidité, pensez à vous hydrater. D’ailleurs je viens d’envoyer automatiquement à votre docteur référant l’analyse en direct de votre défécation. Dans le cadre d’un contrat avec une grande chaîne de distribution, j’ai joint à ce courrier tout ce que, exactement, vous avez mangé depuis 24h. Votre docteur sait pertinemment ainsi que parfois vous vous laissez aller sur les croissants au beurre. Je vous le dis, à l’analyse de vos selles Monsieur/Madame/Autre, IL VA FALLOIR VOUS REPRENDRE. Ces gourmandises IL VA FALLOIR QUE CA CESSE».
Les toilettes des Japonais sont déjà douées de parole. Ne savent-elles pas déjà offrir toutes sortes d’analyses paramédicales ? Qui n’a pas envie de cabinets d’aisance connectés ? D’une nouvelle pièce à vivre où nul ne sera plus jamais tout seul ?
Vraiment, est-ce si important de savoir en temps réel que l’alarme incendie ne se met pas en marche ? Parce que c’est vrai quoi, on part tous de chez soi chaque matin la peur au ventre que le logement soit parti en fumée à notre retour. Pas étonnant que les citadins soient si stressés.
Donc il est sans doute très intéressant d’offrir une solution connectée pour savoir à tout moment si la maison brûle, sauf qu’elle ne sert à rien. La porte du garage qui s’ouvre en un clic, c’est utile. En revanche, recevoir un SMS toutes les 10 mn m’assurant que tout va bien mais que tout pourrait aller mal, non merci.
Le business de la peur, ‘hypermarketé’ lui, rattrape ainsi l’architecture. Si la déraison l’emporte, ce n’est plus qu’une question de temps que toutes ces options connectées ne s’imposent à tous sans discernement. Elles coûtent bonbon d’ailleurs, pour le bonheur des industriels fiables toujours en retard d’une révolution technologique avec, pour un appartement haut de gamme d’aujourd’hui, le risque que dans vingt ans, voitures et maisons ne se comprennent plus et réclament le divorce.
Christophe Leray