Dernier épisode de la saison 1 – L’architecte est dans de beaux draps, ce qui lui apprendra à vitupérer. Docteur Ethel Hazel n’en mène pas large. Rapport policier.
«Je ne fais que mon métier et mes collègues sont sur le même modèle». Lieutenant Columbo
***
La porte blindée du cabinet du Docteur Hazel n’a résisté que quelques secondes à l’officier spécialisé. «Voilà Doc, vous êtes chez vous», fit-il en ouvrant la porte à l’inspecteur. «Merci», fit l’inspecteur. Il avait bien un mandat de perquisition mais le chef avait dit de ne pas mettre le bazar, que la docteur en garde à vue n’était pas encore suspectée de quoi que ce soit mais qu’il fallait mieux vérifier. Son collègue parti, il était maintenant seul dans le cabinet.
L’inspecteur n’était pas étonné que ce soit lui qu’on ait envoyé. Dans le service, il est connu sous le nom de Docteur Nut, docteur parce qu’il a fait deux ans de psychologie à la fac de Rennes – dont il se souvient à peine puisqu’il vivait rue de la soif – et Nut parce que son vrai nom de famille est Nutello et qu’il préfère finalement que les collègues l’appellent Docteur Nut ou Nut plutôt qu’inspecteur Nutello. Bref, dès qu’il faut perquisitionner chez un Doc, ou un véto ou un pharmacien, même une dentiste une fois, c’est toujours sur lui que ça tombe. Et à force, bien avant les ‘profilers’ des séries américaines, il a fini par se passionner par cet aspect de son métier.
Docteur Nut est à l’œuvre. D’un regard il fait le tour du bureau. Il note un diplôme encadré d’Ethel Hazel – diplômée à Paris – et une phrase encadrée de Zhuang Zhau : cette nuit j’ai rêvé que j’étais un papillon mais comment savoir si je suis un homme qui rêve qu’il est un papillon ou un papillon qui rêve qu’il est un homme ? Docteur Nut lui rêve peu. La sobre décoration de l’espace ne lui dit pas grand-chose du Docteur Hazel, sinon qu’elle ne roulait pas sur l’or. Avant de venir, il est allé l’observer dans les bureaux du service où elle est accueillie par une collègue, et il a noté ses onéreuses chaussures de marque, ce qui ne colle guère avec l’ambiance austère du cabinet.
Avant de commencer à fouiller, il se remémore l’étrange concours de circonstances qui l’a amené là. Son équipe enquête actuellement sur la disparition inquiétante d’une riche héritière, une comtesse en plus, au 14 rue Guynemer à Paris. L’enquête de voisinage n’a rien donné et la comtesse semble s’être volatilisée.
Ils parlaient de cette affaire entre collègues autour d’un apéro au Poulet Rôti quand un gars des Voies de faits les a interpelés :
«14 rue Guynemer, vous dites ?»
«Oui pourquoi ?»
«C’est marrant mais on a croisé un type à cette adresse. Un architecte. Dubois je crois qu’il s’appelle».
«Qu’est-ce que vous avez à voir avec ce gars-là ?»
«Au départ, il n’y avait qu’un simple accident de la circulation, entre un scooter et une trottinette qui aurait pu vraiment mal tourner. Sauf que la victime affirme depuis le début qu’elle est sûre d’avoir vu ce type, Dubois, accélérer pour le renverser. C’est toujours le cas, ne serait-ce que pour des questions d’assurance mais là le type était véhément. Et on a retrouvé un témoin qui semble corroborer l’assertion. Alors nous sommes allés réinterroger le gars, à son agence cette fois, au prétexte de jeter un coup d’œil à son scooter. Le type nous a paru bizarre, énervé et tendu, ce qui ne collait pas avec un simple accident. L’ambiance semblait bien lourde à l’agence. Mais à part ça, on n’a rien vu d’anormal et on n’avait vraiment rien contre le gars alors on a conclu à un accident. Mais là, c’est juste curieux que ce soit la même adresse».
Tout le monde autour de la table en a volontiers convenu. Dans la maison poulaga on a des intuitions et on n’aime pas beaucoup ce genre de coïncidence. Surtout dès qu’il y a un soupçon de meurtre en série. Pas question d’une nouvelle affaire Guy Georges ! Alors c’est le service du Docteur Nut qui a repris l’affaire.
L’inspecteur Nutello se souvient de la première question de l’équipe : qu’est-ce que Dubois faisait dans le quartier au moment de l’accident ? C’est comme ça qu’il a fini par trouver ces rendez-vous réguliers chez le docteur Hazel. Rendez-vous d’autant plus louches que Dubois n’en laissait absolument aucune trace, à tel point qu’il a fallu ramer pour découvrir où il allait ainsi clandestinement. Même sa femme ne semblait pas au courant, encore moins ses enfants. Aussi quand l’agence a pris un aller simple pour une personne au nom de Dubois à destination de Buenos Aires en Argentine, comme par hasard l’un des dix pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec la France, il a fallu passer à l’action.
Maintenant que Dubois est au frais et Hazel en garde à vue, Docteur Nut se dit qu’il est temps de se mettre au boulot pour voir ce qu’il peut trouver ici, au moins déterminer si Ethel Hazel, sa consœur en somme, est complice ou pas.
Il ne lui fallut que quelques minutes pour trouver les dossiers du docteur Hazel et parmi eux, celui de l’architecte Dubois – il nota qu’elle avait décidément beaucoup d’architectes parmi ses clients. Qu’est-ce qui ne va pas avec ces gens-là ? se demanda-t-il. Le seul qu’il avait rencontré était celui qui était venu un jour faire un tour dans leurs bureaux sous les soupentes. Il a dit bonjour, il a regardé la charpente d’un air intelligent et il est reparti. Le toit fuit toujours mais bon, l’inspecteur Nutello avait alors plutôt mis ça sur le compte de l’administration.
Ayant retrouvé les notes du Docteur Hazel, l’homme de loi fut d’abord décontenancé tant elles paraissaient, surtout au début, disparates et sans lien. «Il va me falloir tout reconstituer», se dit-il avec gourmandise tant il aimait cet exercice ; il avait alors l’impression d’être un éditeur de la pensée humaine.
Il s’allongea donc confortablement sur le divan et entreprit sa lecture, depuis la première rencontre entre les deux protagonistes jusqu’à la dernière, peu de temps après la disparition de la riche comtesse.
Comme le policier dispose de l’enquête déjà effectuée par les services, il comprend parfois beaucoup plus vite qu’Hazel ce qu’essayait de lui dire l’architecte. Les collègues avaient fait le tour des comptes, perso et professionnels. L’agence avait des problèmes de trésorerie depuis un moment, surtout avec des dépenses – beaucoup de voyages à l’étranger notamment – qui ne semblaient correspondre à aucune production précise. Les comptes de la famille, qui semblait vivre au-dessus de ses moyens, n’étaient pas beaucoup mieux. Rien d’étonnant ou de répréhensible en l’occurrence mais ce qui avait intrigué les enquêteurs financiers était un compte ouvert en son nom propre abondé par l’architecte sous les mentions comptables ‘frais de représentation’ et ‘droit à l’image’. Ca faisait des sommes. Pourquoi ce compte ? Et cette thérapeute qui semble aussi pouvoir s’accommoder d’un supplément de ressources. La cupidité, plus vieux pousse-au-crime ? A ce stade de ses réflexions, l’inspecteur ne parvient pas à se faire une opinion.
Pourtant, au fil de sa lecture, il ne peut s’empêcher de s’apercevoir avec intérêt et surprise à quel point l’architecte était passionné par son métier. Il en avait vu de ces mecs, tellement bouffés de l’intérieur par leur métier, qui s’isolaient, devenaient asociaux et, parfois, passaient à l’acte. Le policier en lui se méfie d’instinct des passions mal maîtrisées ou qui ne mènent qu’à la frustration. Il n’y a rien de plus dangereux que quelqu’un de passionné par une matière à laquelle il ne comprend rien. Ou, plus dangereux encore selon les cas, le type persuadé d’être le seul à tout comprendre, d’être en tout le chef d’orchestre, de tout savoir mieux que les autres, de tout vouloir contrôler, les mêmes qui explosent un jour quand ça ne marche pas comme ils veulent et que l’on retrouve perdus dans une infinie solitude. Le docteur Nut en éclate de rire, pensant à son chef, et au chef de son chef, et au chef du chef de son chef, jusqu’au ministre, et à lui tout seul dans ce bureau.
Sauf, qu’en l’occurrence, l’inspecteur finit par découvrir avec curiosité les bonheurs et difficultés du métier d’architecte – il est même allé voir les bâtiments sur son téléphone – et, à découvrir ses déboires alors qu’il semble tout bien faire comme il faut, il ressent même à l’occasion de l’empathie pour l’architecte Dubois. Sauf que l’inspecteur n’en perçoit pas moins chez lui, de plus en plus clairement, un caractère déroutant et obsessionnel qui semble s’exprimer au travers d’un sens de l’humour un peu morbide.
Toujours est-il, qu’en quelques heures, l’inspecteur Nut a sans peine rétabli la chronologie des rencontres entre l’architecte et Docteur Hazel. Il se lève alors du divan, allume la lumière dans le bureau et prend son téléphone.
«Chef ?»
«Nut ! Des nouvelles ?»
«Oui. La bonne c’est que je pense que la Doc n’y est pour rien. Je crois qu’elle a même songé à nous prévenir sans oser le faire, pour des raisons d’éthique je crois».
«On la garde pour non-dénonciation ?».
«Non, même pas. Elle n’a rien à voir avec tout ça».
«On la libère ?»
«Gardez-la jusqu’à la fin de la garde à vue et faites la parler de Dubois, il a souvent été tout près de lui confesser quelque chose. Et ça me laissera le temps de faire le ménage ici, elle ne saura même pas que je suis venu».
«Parfait. Et la mauvaise ?»
«Je crains qu’il n’y ait un nouveau cas lié à Dubois. Il faut chercher une certaine Géraldine, ingénieur à Villeubanne».
«Complice ?»
«Non, victime».
«Une autre ? Merde ! On a un serial ?»
«Peut-être, c’est encore un peu tôt pour être sûr».
«Certes mais on ne doit prendre aucun risque. Pas de nom de famille pour cette Géraldine ?»
«Non mais elle a été la maîtresse de Dubois et semble n’avoir plus donné de nouvelles depuis un moment selon la Doc. J’ai déjà alerté les gars de Lyon».
«Parfait. Il n’y a pas de temps à perdre».
«Oui».
Clic.
L’inspecteur Nutello prend son temps pour ranger le bureau. Il est sûr que son passage ne laissera aucune trace. Avant de partir, il s’approche de la fenêtre. La nuit tombe, les décorations de Noël sont déjà allumées et son regard se perd au bout de l’avenue.
Dr. Nut (d’après les notes d’Ethel Hazel)
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