Te voici une carte, ma ville. C’est par ces mots que Jorge Luis Borges entame un de ses contes ou commentaires, préfaces ou fictions, voulant ainsi signifier la perplexité qu’inspire la traduction sur papier de ce qui fait le charme et le bonheur de ses pérégrinations urbaines dans la belle cité de l’hémisphère sud.
L’auteur exprime en ces quelques mots la fascinante relation entre la carte et le territoire, la réalité urbaine et sa représentation symbolique à travers les modes variés d’expressions issus de l’évolution de la discipline cartographique.
La recherche de la symbolique signifiante a été l’objectif des géographes pendant des siècles pour que la carte serve avant tout de support aux voyages et aux disciplines savantes qui nécessitaient une représentation des terres et des mers la plus proche de la réalité possible.
La carte devient héroïne de bande dessinée dans Philémon et le naufragé du A de Fred. Le héros visite les lettres de l’océan Atlantiques, autant de lettres – 11, autant d’îles, et le A comptera pour deux iles différentes !
Mais, loin du côté utilitaire de la traduction sur papier d’un territoire, la carte procure aussi des effluves d’émotions par la matière du papier, le jeu graphique des couleurs et la beauté des symboles. La cartographie est une passion dévorante !
On raconte que Lord Byron (poète anglais du XIXe siècle grand collectionneur de cartes et de papillons) n’a jamais réussi à parfaire sa collection qu’il rêvait complète. Il souhaitait réunir en son sein toutes les cartes imprimées depuis la première projection de Mercator (né le 5 mars 1512 à Rupelmonde et mort le 2 décembre 1594 à Duisbourg, mathématicien, géographe et cartographe, inventeur de la projection cartographique qui porte son nom), jusqu’à la non moins célèbre «Orbis Bibliis Sacris Cognitus Seu Geographia Sacra», mythique carte de la Géographie Sacrée pour l’Ancien Testament qui contient les noms des descendants de Noé depuis leur sortie de l’Arche en 1657, et qu’il n’a jamais possédée.
Il y a une rue Lord Byron à Paris, petite rue insignifiante du VIIIe arrondissement où il ne se passe pas grand-chose hormis un curieux face-à-face entre l’ambassade du Pakistan et l’église danoise qui dépend de l’Église évangélique-luthérienne du Danemark, et dispose d’un orgue Frobenius créé par Frobenius Orgelbyggeri, facteur d’orgue danois dont le siège est à Lyngby. Fondée en 1909 par Theodor Frobenius, la société a construit plus d’un millier d’orgues à tuyaux, dont celui de la cathédrale d’Århus, le plus grand dans une église danoise.
Passé ce propos liminaire sur le hiatus entre l’objet urbain et sa représentation graphique, qu’en sera-t-il de la carte du génome urbain que nous commençons à peine à déchiffrer en ce début de millénaire. Sera-t-elle succession de chiffres, ou aquarelle naïve du niveau de celles d’écoquartiers en zone rurale.
Science débutante, la génétique urbaine n’a pas su encore définir sa symbolique en dehors de la représentation urbaine usuelle qui n’a ni rapport avec le sujet ni utilité autre qu’égayer et distraire pendant les concours d’architecture au Plessis-Robinson, à Courbevoie ou à Marne la Coquette.
Non la carte du génome urbain ne sera pas une carte, au sens cartographique du mot, mais un ensemble d’interaction et de formules qui mettront en évidence les mutations des espèces urbaines selon les influences des caractéristiques écologiques à laquelle elles seront soumises.
Chaque barrette du dessin ci-dessous étant, pour la gentrification, l’état des interactions entre le quartier (en blanc) et les éléments de la mode ou de l’évolution sociétale en noir ou en gris (selon qu’ils sont endogènes ou exogènes) et/ou de leurs représentations sur les réseaux sociaux.
L’écueil étant que la réalisation de cette carte est beaucoup moins rapide que l’évolution des photographies des plats proposés par les restaurants de la rue des Martyrs (par exemple) sur Facebook – on en déduira une réelle complexité dans la mise à jour des éléments mutants d’un quartier en fonction du coût du quinoa ou du tahin bio.
A défaut de représentation de l’intégralité du séquençage (vraisemblablement un travail de titan), il serait possible de greffer sur une carte urbaine insipide comme le PLU de Puteaux, les manifestations singulières liées à la modification des chromosomes de certains corps urbains et des effets de celle-ci sur les tissus, comme sont par exemple les hybridations, l’agriculture urbaine ou la gentrification de certaines parties du IXe arrondissement de Paris.
L’objectif de cette représentation balbutiante serait notamment d’établir les frontières entre l’urbanisme réglementaire et l’autoconstruction telle qu’elle est notamment définie par l’architecte Jean Soum* dans les mêmes termes que sont les différences entre le Casoar à casque d’Indonésie qui vit dans les arbres et se nourrit de termites et le Tamanoir, animal terrestre qui se nourrit de fourmis.
Le tamanoir, volontiers solitaire et craintif est un grand mammifère insectivore natif de l’Amérique du Sud. Il est l’une des quatre espèces vivantes de fourmilier classé parmi les paresseux dans l’ordre Pilosa.
Sa région de prédilection, où les conditions de son développement harmonieux sont les plus favorables pour échapper aux Ranavirus qui contraindraient son espèce à se reproduire plus tôt pour éviter l’extinction (comme la pathogénie de certaines espèces de grenouilles en Flandre occidentale), est la rive gauche du fleuve Salado qui se jette dans l’Atlantique par le Rio de la Plata à la latitude de Buenos Aires, ce qui nous ramène au propos liminaire sur Borges, la carte et l’émotion urbaine…
François Scali
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*Jean Soum, à qui l’on doit le fameux festival Festizome organisé dans la station de Guzet-Neige en Haut-Couserans. Jean Soum montrait à ce festival la construction en Champagne d’un zome de 22 mètres de diamètre, de 10 mètres de haut et disposant d’environ 250 facettes ; ce qui en ferait le plus grand zome du Monde. Lire également notre article L’architecture libre, ou l’autoconstruction, contre l’architecture de consommation