Rue Bisson, dans le XXe arrondissement de Paris, Charles-Henri Tachon architecte, lauréat des Naja en 2002, accueille Chroniques d’architecture dans une agence où maquettes et détails de construction abondent. Son bâtiment de huit logements et quatre ateliers d’artistes rue du Nord à Paris a été nommé à l’Equerre d’argent 2010. Du béton brut au bois, bois et béton brut… Questions de matérialité ? Entretien.
Chroniques : L’architecte doit-il se spécialiser dans une matérialité ou bien doit-il expérimenter et toujours se renouveler?
Charles-Henri Tachon : C’est le choix de chacun mais il faut savoir que cela prend du temps de comprendre un matériau. Chaque mode de mise en œuvre a ses propres problématiques. Par exemple nous venons de réaliser un bâtiment 54 Logement à Lille, Gare d’eau, avec de la maçonnerie porteuse en béton, une isolation extérieure et un parement de brique massive avec une lame d’air? Dans ce cas précis nous nous sommes confrontés à des sujets que nous n’avions pas anticipés… Comment maintenir la lame d’air en façade? Cela suppose de détacher la brique du reste et donc de la porter. Cette situation crée des singularités au niveau des linteaux, des appuis au sol, des embrasures… Et comment mettre en relation le parement de brique et les menuiseries?
Autant de questions que nous avions essayé d’anticiper sachant qu’il y a toujours une grande partie du projet qui nous échappe. Il faut réaliser un premier bâtiment pour comprendre la mise en œuvre d’un matériau, les bâtiments qui suivront seront mieux maîtrisés.
Donc oui, il y a un certain temps d’expérimentation avant de maîtriser un mode constructif. Et sur le béton brut en particulier, au fur et à mesure des réalisations, l’agence a acquis une vraie expérience de la mise en œuvre afin que tout le coffrage reste lisible. La manière de caler les banches les unes par rapport aux autres, de positionner les banches sur les dalles, tout cela se lit en façade. Ces sujets arrivent au moment du chantier et il est complexe de les anticiper avant. L’entreprise ne prévoit pas toujours et ne se rend souvent pas plus compte que l’architecte de ces problématiques.
Après l’expérience de la mise en œuvre influe sur la matérialité, comme le temps de séchage par exemple. Plus vous laissez votre coffrage fermé longtemps, plus votre béton sera foncé. Il y a la question du climat également qui entre dans l’équation. Si vous coulez votre béton un jour de pluie ou un jour de beau temps, à 2 degrés ou à 28 degrés, vous n’obtiendrez pas le même résultat. Un bâtiment se construit généralement durant un hiver et un été, donc il y a inévitablement une partie du bâtiment qui sera coulée dans des conditions différentes de l’autre partie du bâtiment. Il est impossible d’y échapper, ou alors il faudrait avoir des temps de chantier que l’on pourrait maîtriser et ne travailler qu’à l’automne et au printemps avec des températures tempérées, c’est presque impossible mais c’est intéressant de le savoir….
Quelle part donner au hasard dans la mise en œuvre d’un matériau ?
Une grande part…[rire]. Nous essayons de maîtriser un maximum mais il y a toujours une part de mise en œuvre qui nous échappe. Pour une raison toute simple : c’est qu’un bâtiment est une machine d’une complexité hallucinante! Ce sont des milliers et des milliers de détails à régler et forcément il y a des choses qui nous échappent. Pourquoi y a-t-il un bullage sur cette banche ? Pourquoi tel aspect particulier ? Il est souvent impossible de le savoir.
Travailler le bois est un peu différent. L’exigence de la préfabrication et de l’assemblage permet d’envisager pas mal de choses. Malgré tout, il y aura toujours sur le chantier quelque problème à régler. Néanmoins, ce hasard permet de rebondir et je pense qu’il faut savoir se réapproprier ces parts qui nous ont échappé initialement pour les maîtriser et faire en sorte qu’elles ne soient pas subies.
Vous avez reçu la reconnaissance assez tôt dans votre carrière, avec la construction en béton brut. La matérialité des premières œuvres détermine-t-elle la matérialité des productions suivantes ?
Si nous parlons d’autres architectes, nous pouvons considérer qu’il y en a qui font d’une certaine mise en œuvre leur écriture. Pour prendre l’exemple de Tadao Ando, son identité est portée par son rapport au béton brut et à son calepinage très spécifique. A l’opposé vous avez des agences comme Herzog et De Meuron dont les mises en œuvre et l’écriture architecturale varient selon les projets.
Le rapport à la reconnaissance n’est pas forcément lié à l’intérêt d’un matériau en particulier, je pense que chacun le développe à sa manière. En ce qui me concerne, il n’y a pas tant une volonté de soutenir un matériau que le désir d’exprimer la structure.
Dans l’économie dans laquelle l’agence travaille, le béton et le bois sont des éléments assez faciles à utiliser et qui correspondent à cette recherche d’expression de la structure. C’est pourquoi nous travaillons particulièrement avec ces deux matérialités, mais c’est vrai que malgré nous, cela nous colle un peu à la peau….Lorsqu’on fait deux bâtiments colorés à la suite, on devient facilement «l’architecte qui fait du béton coloré». Cela ne veut pas dire que je le referai ou pas, cela dépend vraiment du projet.
Êtes-vous en quête d’une «vérité structurelle» ?
C’est l’expression de la structure qui m’intéresse plus que le dogme de la «vérité structurelle».
Pour le projet de résidence et le centre de formation et de distribution des Restos du Cœur à Paris (XIVe arrondissement) en béton teinté bleu, ce qui est remarquable est que tous les éléments en béton sont structurels, ce qui n’était pas notre volonté de base.
Le programme incluait des studios pour des jeunes apprentis et donc de nombreux recoupements à l’intérieur des plans des niveaux. Afin de proposer une plus grande évolutivité de la construction, nous avons cherché à limiter les séparatifs en béton qui contraignent l’usage final et la flexibilité du plan. Toute une partie des cloisons sont en SAD (plaques de plâtre) et donc évolutives. A partir du premier étage tout le béton est structurel et nous avons réussi à limiter l’emploi de la matière à l’effort qu’elle reprend.
Expérimenter, cela veut-il dire être moins cohérent et pouvoir se perdre ?
Non. Je pense que l’on peut explorer et être cohérent justement dans la manière dont sont dirigées ces explorations. Par exemple entre le projet en structure bois pour le collège de Saulieu et nos réalisations en béton brut, il est évident que l’expression de la matière n’est pas la même mais je pense que la recherche structurelle est très similaire. Pour la résidence sociale située dans le XIVe arrondissement de Paris, le béton est structurel, et, dans l’extension du collège François Pompon de Saulieu, le bois l’est également, il n’y a pas un seul élément qui ne soit pas porteur dans la charpente! Cela participe d’une même recherche, très proche et donc cohérente.
Quelles matières ont l’avenir le plus prometteur selon vous ?
Voici un sujet difficile à traiter. Nous voyons aujourd’hui, suivant le bilan carbone de chaque matériau, qu’il existe des différences manifestes entre les matériaux mais, cela dit, j’ai du mal à obtenir une vision précise pour chaque type de matériau parce que lorsque vous vous référez aux fabricants chacun d’eux tente de mettre en valeur sa production. Cependant, nous pouvons constater que le béton est assez consommateur et énergivore comparé à un matériau comme la terre crue qui serait déjà disponible sur un site.
Clairement le bois est une ressource qui se renouvelle facilement et qui a un bilan assez raisonnable, encore faut-il l’utiliser avec le moins de transformation possible et nous nous apercevons que ce n’est pas si simple…Construire en bois, cela engendre une certaine complexité de mise en œuvre qui n’est pas si évidente, en particulier sur des questions acoustiques, d’étanchéité à l’air et à l’eau. Aujourd’hui, c’est une des réflexions de l’agence: comment nous orienter vers des matériaux plus économes et plus attentifs à la planète et comment arriver à faire de l’architecture avec tout ça ?
L’expérimentation de la structure est une recherche qui peut prolonger cette réflexion sur la matérialité. La terre crue est par exemple un sujet très intéressant mais construire un bâtiment en terre crue dans Paris intra-muros aujourd’hui, n’est-ce pas un peu anachronique ou forcé ? En revanche, nous pourrions imaginer d’expérimenter en trouvant un moyen de l’utiliser sans que soit absolument démonstratif… Il y a peut-être des solutions intermédiaires… Nous travaillons sur le sujet à l’agence et engageons une réelle réflexion sur ces expérimentations.
Propos recueillis par Antoine Basile