Puisque nous avons eu l’occasion dans ces colonnes de nous exprimer à propos du projet de l’architecte Rudy Ricciotti porté par le Groupe Duval au-dessus de la Maison du Peuple à Clichy* (Hauts-de-Seine), il nous faut évidemment nous intéresser à ses développements et au pavé lancé dans la mare par Le Parisien le 20 septembre 2019.
Le titre de l’article est d’une clarté absolue : Maison du Peuple de Clichy : le ministre de la Culture met son veto. Son veto ?
Le chapô dit tout ensuite en deux lignes. «A la veille des Journées du patrimoine, le ministre de la Culture Franck Riester annonce que le projet du groupe Duval ne pourra pas être validé par l’Etat. Le promoteur doit revoir sa copie». Stupeur dans le Landerneau ! Pour Ricciotti et consorts, c’est râpé !
Et nous qui enjoignions en mars dernier le ministre de mouiller la chemise**, nous voilà servis ! Et juste la veille des journées du patrimoine. Quelle autorité !
Pour rappel, en octobre 2017, dans le cadre de l’appel à projet Inventons la Métropole, celui porté par une équipe composée du groupe immobilier Duval, des architectes Rudy Ricciotti, Laurent Becker (LBA), Holzweg ainsi que Jacques Moulin (ACMH), a été déclaré lauréat de la consultation sur le site de la Maison du Peuple. Des associations*** se sont aussitôt insurgées. Le ministre semble donc leur donner raison.
Il est permis de penser que son choix va contre le bon sens mais il peut se comprendre. Franck Riester n’est après tout ministre de la Culture que par la grâce du groupuscule Agir, un supplétif de la majorité dont il est président, formé d’anciens députés et sénateurs LR ayant rejoint la Macronie. Bref, pas vraiment des progressistes et, dans la bataille entre les anciens et les modernes, plutôt les anciens. Qui plus est, nous savons tous de la passion d’un président de la République rétrograde pour le patrimoine dont le héraut, Stéphane Bern, ne cesse de célébrer les prouesses. Alors, avec ce veto plein d’assurance, Franck Riester ne prend pas beaucoup de risques.
Encore que… Ce projet est quand même issu d’un concours organisé par la Métropole de Paris, sur un site proposé par un maître d’ouvrage qui compte quand même un petit peu dans le Grand Paris. Le préfet de Paris avait donné son imprimatur. Ces respectables institutions, qui n’ont jamais rien caché de ce projet – ça fait quand même des années que ça dure – et qui, l’Etat y compris, avaient en somme donné leur parole, voient soudain leurs efforts et leurs investissements stoppés net ? Elles n’auraient donc pas suffisamment de légitimité ? Ou alors, de la mairie de Clichy à la préfecture en passant par la métropole, tous ces gens-là ont besoin d’aide s’ils ne savent pas, à ce point, ce qu’ils font.
Cela vaut d’ailleurs pour les architectes. Rudy Ricciotti, cité dans l’article, a beau jeu de se sentir visé. Sauf que les deux autres finalistes du concours, Dominique Perrault et Shigeru Ban, avaient tout pareil construit sur la Maison du Peuple. Il n’y a peut-être pas le choix ? A moins qu’ils ne soient tous des nazes ces architectes, pas un pour sauver l’autre et la Maison du Peuple ! Il était temps, deux ans plus tard, pour les conseillers du ministère de s’en apercevoir. Bref, pour asséner un tel veto bien-pensant comme ceux de la France au Conseil de sécurité de l’ONU, il faut en avoir.
L’un des soucis d’une telle décision est que les associations de bienfaisance à l’origine du ramdam vont se sentir pousser des ailes et bientôt valseront les recours contre les projets pour un oui, pour un non, pour un peut-être. Si l’objectif de la loi Elan était de construire plus vite et moins cher, avec Franck Riester, c’est bien parti ! Il n’y a qu’à voir à la Maison du Peuple comme ça avance !
Qui sait si, croyant fermer un dossier, le ministre ne fait qu’ouvrir une nouvelle boîte de Pandore ? C’est qu’en France le patrimoine ne manque pas. Imaginez des promoteurs par centaines faisant la queue avec leurs millions à la porte du ministère, attendant chacun son autorisation ou son passe-droit ! Il va faire des envieux le ministre !
A moins qu’il ne faille jamais sous-estimer le machiavélisme des hommes et femmes politiques ambitieux. Peut-être qu’une faveur ici à la Maison du Peuple va calmer ailleurs les ardeurs de ces mêmes associations cacochymes, pour le dossier de la Butte Rouge**** par exemple à l’autre bout de Paris, un donné pour un rendu en somme entre gens de bonne compagnie. Et la Butte rouge pourra être démolie sans coup férir.
Toujours est-il que le veto du ministre ne semble pas trop émouvoir Rémi Muzeau, le maire de Clichy, qui précise que le ministre lui a dit ne pas vouloir du projet «en l’état». Nuance. Il y a donc toute la place pour discuter et les associations de défense impliquées auraient tort de se réjouir trop bruyamment. D’ailleurs le maire d’expliquer qu’il ne s’agit que d’un quiproquo. C’est simple, le ministre devait venir à Clichy visiter la Maison du Peuple, le maire avait en conséquence prévu ce lundi 23 septembre l’ordre du jour du conseil municipal permettant d’acter la vente du terrain au Groupe Duval et de lancer le projet. Mais le ministre n’est pas venu, a demandé le report de l’ordre du jour du conseil municipal, le maire ne put s’y résoudre, Le Parisien a voulu en savoir plus et voilà le pataquès. Un mouvement d’humeur en somme.
A l’heure d’écrire ces lignes, le ministre n’a pas démenti Le Parisien. Sans doute a-t-il un meilleur projet pour ce bâtiment. Coût de la rénovation 20M€, et comme le ministère de la Culture est une corne d’abondance, il y en aura encore pour le fonctionnement d’un futur programme à inventer. Parce qu’évidemment, le ministère va financer la réhabilitation d’un bâtiment dont il ne sait pas quoi faire !
Il ne faut pas non plus sous-estimer la détermination d’un maire qui croit en son projet. D’ailleurs, puisque ce n’est pas la tour en elle-même qui pose question mais sa localisation, Rudy Ricciotti peut au fond assez aisément la déplacer juste ce qu’il faut afin que, face au TGI et aux tours de la Défense qui font son paysage, elle conserve sa capacité à symboliser le dynamisme de la ville et à véhiculer une image contemporaine de Clichy. Sinon, comme l’imagine Rémi Muzeau, mi-figue mi-raisin, carrément démonter «ce tas de ferraille» et le reconstruire ailleurs, dans un «lieu emblématique» de sa commune. Puisque cela se fait à Chicago, pourquoi pas à Clichy en effet ? En voilà de l’innovation. Il n’y a pas de problème, que des solutions.
En attendant, si l’Etat et les associations veulent conserver leur Maison du Peuple, comme depuis trente ans qu’ils n’en font rien et qu’elle risque à court terme la fermeture – ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, physique pour les Clichois, juridique pour le maire – qu’ils s’en dépatouillent après tout. «Si l’Etat veut financer la rénovation, j’en serai ravi !», ironise Rémi Muzeau. «L’idée est de trouver une restauration respectueuse de l’intérêt architectural majeur de la Maison du Peuple», a répliqué le ministre à l’AFP. Il est temps d’y penser. En tout cas, il n’y a apparemment rue de Valois pas encore de plan B.
Pourtant, tous les éléments sont sur le bureau du ministre depuis belle lurette, Le Parisien, soulignant que «d’un point de vue administratif, les services de l’Etat avaient donné leur feu vert au déclassement et au projet de vente, comme le stipule un courrier daté du 7 juin [2019]. Et l’avis des Domaines – à savoir le prix fixé par la direction générale des finances publiques – était connu depuis le printemps dernier, soit 2,1 millions d’euros».
Sinon, selon l’étude réalisée par l’Institut BVA par téléphone du 25 mai au 6 juin 2018 auprès de 603 habitants de la ville de Clichy-la-Garenne pour la mairie, il s’avère que 71% de la population interrogée considère le projet Ricciotti/Duval de la Maison du Peuple «de manière favorable». Après les municipales, que Rémi Muzeau semble aborder en confiance, si le maire est réélu haut la main, il fait comment le ministre ? Il passe en force avec son plan B ?
La politique est l’art de ne pas injurier l’avenir. Malgré le veto médiatique, miracle, rien n’est encore écrit dans le marbre, c’est la beauté de notre système démocratique français. Pour sa visite, Rémi Muzeau attend donc Franck Riester en octobre.
Quant à la délibération en conseil municipal permettant d’acter la vente du terrain et de lancer l’affaire, elle est reportée sine die, après les élections municipales. Une façon élégante d’offrir au ministre un long répit pour procrastiner encore.
Christophe Leray
*Voir notre article Contre le maléfice des momies, il n’y a qu’un vent de fraîcheur
**voir notre article Querelle : pourquoi Franck Riester doit mouiller la chemise
*** DoCoMoMo, pour la DOcumentation et la COnservation des édifices et sites du MOuvement Moderne et SPPEF. Société pour la Protection des Paysages et de l’Esthétique de la France
****Voir notre article La Butte Rouge : d’un grand Paris social au grand Paris immobilier