Elodie Nourrigat et Jacques Brion (NB architectes) ont conçu l’extension destinée à loger les services consulaires et culturels de l’ambassade de France en Bosnie-Herzégovine ; un « réel engagement » qui leur a permis surtout « d’éprouver un nouveau regard« . Un projet dont la portée ne se limite pas au nombre de mètres carrés.
« Il y a une légèreté dans cette ville« . Pour Elodie Nourrigat et Jacques Brion, 34 et 42 ans respectivement, la découverte de Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, fut un choc. Pas un choc culturel comme a pu l’être leur première découverte du Japon. Mais plutôt le choc d’un accident de parcours, soit la rencontre, par « mandat » d’architecture interposé, d’une vie somme toute douillette avec la guerre civile, au travers des marques concrètes qu’elle a laissée dans le bâti existant et tous les non-dits, non moins concrets, des interlocuteurs rencontrés.
Accident de parcours car l’intention première des deux architectes n’était pas de poursuivre une passion quelconque pour les Balkans mais le désir qu’ils avaient de travailler à l’étranger. Elodie est notamment lauréate de la Villa Kujoyama, rivale japonaise de la Villa Médicis, et tous deux avaient participé au concours, perdu, de rénovation de l’Institut Franco-Japonais du Kansai. Ils avaient ensuite répondu sur quelques ambassades – « pas très grosses » – et lycées français à l’étranger. Sans succès. « Nous avions vraiment envie de faire l’ambassade de Sarajevo, qui nous semblait être à une échelle que nous pouvions maîtriser dans un lieu symbolique« , expliquent-ils. Bingo.
« Construire une ambassade de France – plus exactement l’extension de l’ambassade en vue de loger les services consulaires et culturels – à Sarajevo relève du défi, car les symboles s’y mélangent et l’osmose devient parfois complexe. Le projet ici est de taille relativement modeste mais c’est bien un bâtiment représentant la France dont il est question. Bien souvent il est demandé de montrer les valeurs de la France, sa capacité à se positionner sur le plan international, l’architecture servant de fer de lance à une politique de valorisation d’un savoir-faire, d’un dynamisme… Ici le propos reste très modeste. Faisons et existons simplement. Les gesticulations architecturales n’ont pas lieu d’être« , disent-ils.
NB-Architectes
Il ne s’agit pas ici de la modestie affichée par des architectes qui n’en pensent pas moins mais d’une véritable humilité induite par le contexte. « Quand on voit les montagnes autour de la ville, on comprend qu’ici le siège de Sarajevo portait bien son nom. Quand nous suivions tranquillement nos études, ici les gens se battaient les armes à la main ; ça permet de remettre les choses à leur place« . Si ‘Sniper alley’ fait désormais partie de l’histoire de Sarajevo, Ratko Mladic, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, et Radovan Karadzic, le leader politique des Serbes de Bosnie, inculpés depuis 1995 de crimes de guerre et génocide par le Tribunal pénal international (TPI), pour leur rôle dans le siège de Sarajevo (1992-1995) et le massacre de quelque 8.000 Musulmans à Srebrenica (juillet 1995), courent toujours. De fait, notent Elodie Nourrigat et Jacques Brion, la ville a perdu un quart de ses habitants en dix ans (de 430.000 à 320.000 habitants) ; nombre d’exilés ne sont jamais revenus. « Sans prétendre tout comprendre en quelques semaines, nous avons cherché à capter des séquences de villes« , disent-ils. Ils ont ainsi découvert une ville meurtrie, sous tutelle internationale, complexe, jeune et baignée dans une espèce d’insouciance.
« Ce qui marque immédiatement lorsque l’on est à Sarajevo est que les traces de la guerre sont autant de stigmates que la population ne remarque plus… Nombres d’espaces restent encore complètement détruits, seul le centre ville fut entièrement réhabilité, mais dès que l’on s’en éloigne les murs restent avec des trous d’obus. Pourtant on ressent comme un appétit d’aller vers l’avant, une soif de vivre et une gaieté. Le cœur de la ville au printemps déborde de terrasses de café qui ne désemplissent pas le soir venu, les cultures s’y croisent. Comme si Sarajevo devenait une des villes les plus multiethnique d’Europe« , écrivent-ils, sans avoir, et pour cause, connu la ville multiethnique symbole de la Yougoslavie qui a enchanté le monde entier lors des Jeux Olympiques de 1984.
De fait, le bâtiment acquis par la France pour accueillir les services consulaires et culturels est lui aussi marqué de « stigmates » et la volonté de discrétion de la France s’exprime aussi à deux titres : nul n’a souvenir d’efforts insensés de sa part pour sauver la ville et quand les Bosniaques sollicitent des visas pour émigrer à l’étranger, l’Allemagne, l’Autriche, voire les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie ont leur préférence. France terre d’accueil ? Il lui sied sans doute que sa représentation culturelle et consulaire en ce pays ne dépasse pas les 300m². NB Architectes préfèrent s’appuyer sur une « France qui aidera le pays à rentrer dans l’Europe« . « Nous aimons véhiculer l’image de la France des cultures« , disent-ils.
Et si l’architecture fut pour les deux architectes l’occasion de s’approcher et de comprendre une situation particulière, il n’y en avait pas moins un programme auquel ils ont tenté – sans souci de rentabilité pour ce qui les concerne – de répondre avec toute la sensibilité dont ils sont capables en collaboration avec des architectes, jeunes, restés sur place. Le programme est classique pour un bâtiment de ce type – une librairie/bibliothèque, un espace de réception, des bureaux, dont celui du conseiller culturel, le tout dans le cadre de contraintes de circulation et de sécurité afférentes. La façade, criblée d’impact de balles doit être refaite ainsi que la toiture. Sauf que le programme étant plus grand que la superficie du bâtiment, une extension s’imposait en sus de la rénovation. « Cette rénovation est simplement issue d’un processus qui donne forme au projet, lequel est constitué d’une série d’actions : Ajouter, Enrouler, Déformer, Panser. La matérialité du projet se base sur un savoir-faire local, tout en l’inscrivant dans une écriture contemporaine. Le zinc, sera la matière du processus des actions menées pour donner forme au projet« , disent-ils.
Ils avaient dans un premier temps pensé utiliser un autre matériau, un très belle pierre blanche. Mais, symbole dramatique, c’est la pierre utilisée, ont-ils découvert, pour marquer les tombes. « Il y a des champs entiers de pierres tombales, les collines de Sarajevo en sont tapissées« , remarque Jacques. Le zinc fait aussi partie de la culture existante à Sarajevo et le toit, ainsi redessiné, offre un discret rappel des toits parisiens. « Au final, nous avons opté pour une réponse assez simple, avec une cohérence de la façade et du volume. L’extension permet de relier les services consulaires au jardin de l’ambassade proprement dite« . Maçonnerie classique habillée de zinc, toiture végétalisée et puits de lumière pour le confort, « nous n’allions pas chercher midi à 14h« , explique Elodie en riant.
« C’est un petit projet mais il est aussi important qu’un gros lycée. Nous avons dû nous poser des questions très symboliques : Qu’est-ce que la France ? Qu’est-ce que la France à l’étranger. Au final, ce fut surtout l’occasion d’en apprendre beaucoup sur nous-même« , conclut-elle. 300 petits m², mais un vrai projet donc.
Christophe Leray
NB-Architectes
Programme: Extension de l’Ambassade de France
Maîtrise d’ouvrage: Ministère des Affaires Etrangères
Surface: 150m² restructurés – 250m² d’extension
Coût: 400.000 €
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 10 mai 2006