Bon, pour Europacity, c’est mort depuis le 7 novembre 2019 et l’annonce d’Emmanuel Macron qu’il s’agissait d’un projet «daté et dépassé». Dit autrement, le gouvernement vient de changer d’avis : de ce BIG projet, subito presto, il ne veut plus.
Cela fait dix ans que le projet d’Europacity est lancé, des millions ont été investis ainsi que des espoirs sans doute insensés mais qui avaient tous l’imprimatur de tous les gouvernements les uns après les autres, François Hollande recevant même à l’Elysée le patron de Wanda, l’investisseur allié à Auchan pour ce projet et accessoirement homme le plus riche de Chine dit-on. Pour celui-ci, mieux que le tapis rouge, une piste de ski à portée de taxi de l’aéroport de Roissy.
Soudain, à cause des résultats d’une élection européenne et d’un score inespéré des Ecolos, changement de cap : oups, on s’est gouré les gars, on arrête tout, remballez votre bazar et adieu Europacity. Ca c’est de la politique durable ! Le maire PS de Gonnesse, Jean-Pierre Blazy, ne s’y est pas trompé : «Le gouvernement sacrifie notre territoire au nom d’une vision uniquement symbolique de l’écologie», a-t-il réagi dès le lendemain (Franceinfo 8/11/19). Mauvaise langue.
A Chroniques, nous nous sommes à plusieurs reprises inquiétés de ce projet démesuré – de toute façon BIG est meilleur quand il fait des petits musées au Danemark – mais il faut se mettre à la place du maire et de tous les interlocuteurs du projet…. Si le silence est d’or, la parole de l’Etat français, c’est quoi ? C’est pour cela que l’on met des coqs sur les girouettes de nos églises ?
Pour le coup, d’un coup d’un seul, Emmanuel Macron semble avoir tout compris. Ce projet «ne correspond plus aux aspirations de nos concitoyens», a-t-il donc expliqué le 7 novembre.
Attendez une minute !
Le président veut-il dire que le projet Europacity fut pensé, et mené jusqu’à ce terme malheureux, parce qu’il correspondait aux «aspirations des concitoyens» ? Lesquels sans doute n’avaient de cesse de voir se développer les centres commerciaux géants. Sachant que c’est l’Etat qui est allé chercher les investisseurs, car il fallait «développer», Auchan et Wanda agissaient donc par œcuménisme !
D’ailleurs, il y a moins d’un an encore, le 20 décembre 2018, le préfet du Val-d’Oise déclarait d’utilité publique le projet d’aménagement du Triangle de Gonesse, ouvrant la voie aux travaux d’Europacity. Il a pris sa décision tout seul le préfet ? Un homme courageux ! Dans un autre pays, maintenant que le président a dit que le projet était «daté et dépassé», ce fonctionnaire serait heureux d’aller compter les pingouins à Saint-Pierre-et-Miquelon plutôt que de casser des pierres au Goulag.
Les partisans du projet admettent un problème de communication, surtout au début. Il est vrai que la piste de ski, pour faire comme au Qatar, ce n’était pas top. Mais, justement, c’est cette communication défaillante qui témoigne de la faillite de l’Etat. Gouverner, c’est prévoir. Le président actuel n’y est pour rien, même s’il a soutenu le projet de bout en bout, mais il y a dix ans, il n’y avait donc personne auprès des ministres et présidents successifs pour leur expliquer que ce projet était folie et voué à l’échec ?
Sans même parler de la désaffection croissante des centres commerciaux, des problématiques de commerce en centre-ville, etc., nul n’a osé dire au chef «Hey Chef, vous ne croyez pas que la piste de ski à Gonesse, c’est un peu fort de café ?» Qui, sinon ceux qui aiment les fables, pouvait croire au bénéfice de bétonner 80 hectares de terres agricoles pour en récupérer sept en «agriculture urbaine» ?
Il y a dix ans, les enjeux environnementaux étaient déjà connus et largement documentés. Ce n’était pas encore la panique comme aujourd’hui mais tout ce qui advient aujourd’hui était alors déjà peu ou prou prévisible, au moins envisageable. Sauf que les Ecolos français, dans leur version politique d’une nullité quasi absolue, étaient aux fraises et comptaient pour quantité négligeable.
La voie était donc ouverte pour, afin de répondre «aux aspirations des concitoyens», faire du business avec ces 80 hectares d’opportunités immobilières. Comme le disait déjà en 2002 Pierre Richard – l’ancien patron de Dexia, pas le comique – à propos du développement durable : «Pour nous, il s’agit avant tout de répondre aux attentes du marché et des investisseurs».* Autant d’aspirations citoyennes sans doute. La spécialité de Dexia est le financement du secteur public. Et en voiture Simone ! On a vu alors le résultat pour Dexia, au bord de la faillite en 2011.
Aveuglés par le trésor, les investisseurs et l’Etat se sont montrés incapables d’anticiper quoi que ce soit à Europacity malgré les signes avant-coureurs qui ne manquaient déjà pas. Se souvenir que le principe du ‘pollueur-payeur’, visant à préserver la qualité de l’eau, a été instauré par une loi datant de … 1964. Par contre, pour brûler pour rien les millions déjà investis, les mêmes ont fait fort ! La preuve, BIG s’en fout, il est payé, et plutôt deux fois qu’une.
La même chose s’est passée à Notre-Dame-des-Landes : un modèle de développement dont le gigantisme commence à dater et une résistance locale qui finit par emporter l’adhésion du plus grand nombre, les Français étant semble-t-il plus au fait des urgences climatiques que les énarques dans leurs bureaux climatisés qui rêvent encore d’une croissance à deux chiffres !
Cela écrit, que l’on soit pour ou contre ces grands projets, un dommage collatéral de la pagaille est que la parole de l’Etat en sort à chaque fois diminuée, à l’étranger comme en Chine, à domicile comme à Nantes. Désormais, le moindre projet d’infrastructure souffre de contestations multiples et l’Etat ne parvient plus, faute de vision, à proposer des projets sur lesquels un consensus suffisamment fort permettrait leur mise en oeuvre, un projet d’intérêt général en somme.
Dans une situation de blocage qu’il a déjà eu bien du mal à anticiper, si en plus l’Etat ne sait pas trancher en temps et en heure… Dans l’hypothèse où les écolos se font rétamer aux prochaines élections, Greta Thunberg ou pas, ça repart pour Europacity comme si de rien n’était ?
Parce que la question demeure : sanctuariser ces «meilleures terres fertiles» de l’Ile-de-France, comme le réclament les Ecolos (pour simplifier), de façon à répondre en circuit court aux demandes d’approvisionnement des 12 millions de Franciliens, ou urbaniser et développer ce secteur ‘stratégique’ entre deux aéroports à 15 km de Paris comme le réclament les élus du secteur et une forme de cohérence du Grand Paris ?
Dit autrement, est-ce qu’on remplace la pleine terre par des toitures végétalisées ? Est-ce qu’on construit la nouvelle gare quand même au milieu des champs ? Et construire la gare, n’est-ce pas dire adieu aux terres fertiles aussi bien qu’avec Europacity ?
On aura compris à quel point Emmanuel Macron est déterminé puisqu’il attend désormais «un projet alternatif», pour lequel il a mandaté une mission ad hoc, encore une, confiée à Francis Rol-Tanguy, ancien directeur de l’Atelier parisien d’urbanisme. Roland Castro avait-il oublié d’aborder le sujet dans son rapport sur le Grand Paris rédigé en 2018 à la demande du Président ? En tout cas, cela signifie que, quant à lui, de projet, le président n’en a pas encore à cette heure. Pourtant, si Europacity est «daté et dépassé», c’est qu’il avait le temps de réfléchir.
Ce que le président entend sans doute en termes de projet alternatif à Europacity est certainement un projet moins moche et moins clivant mais qui n’empêche pas le business, c’est-à-dire, avec ses mots, un projet «plus mixte, plus moderne, sans créer un pôle démesuré de consommation, de loisirs et d’objets».
En d’autres mots, le coup de la réserve foncière agricole, ce n’est pas trop sa tasse de thé. Un écoquartier peut-être ? En tout cas, les écolos et les agriculteurs locaux n’en ont donc pas fini de se défendre comme les hydres venues de la ville qui veulent urbaniser et développer leurs terres si fertiles…
Pour finir, si dans sa vision à moyen terme l’Etat se montre aussi pertinent aujourd’hui qu’hier, alors à l’aune de ses grands projets, il y a peut-être de quoi s’inquiéter.
Un exemple parmi d’autres.
EDF chiffre à 45Md€ le coût des six futurs réacteurs EPR (Les Echos 11/11/19). Quarante-cinq milliards ! Et le budget du premier EPR, celui de Flamanville, qui devait coûter environ 3,5Md€ et être connecté au réseau en 2012, atteint aujourd’hui 12,4 milliards (Le Figaro 8/10/19). Pour un projet qui ne démarrera pas avant 2023, au mieux ! Pour simplifier, voilà un budget de 60Md€ distribué à quelques rares sociétés et consacré à une technologie dont nul n’a encore vu depuis vingt ans le premier kilowatt/heure.
Il y a en France environ sept millions de passoires thermiques. On ricane des Qataris qui climatisent les rues mais nous, en France, on réchauffe le ciel en hiver. Or, avec les mêmes 60 milliards – le calcul est vite fait – l’Etat pourrait en moyenne consacrer à chaque passoire environ 8 500 €, de quoi régler efficacement et en quelques années ce problème-là. Sans même parler des conséquences heureuses sur l’emploi local, sept millions d’immeubles qui ne sont plus des passoires thermiques, multipliés par la durée de vie de l’immeuble, c’est combien d’économie de centrale nucléaire au bout de 50 ans ? Comme quoi, l’investissement pour répondre aux «aspirations des concitoyens», c’est un choix.
Ce qui souligne encore que si Europacity est un projet daté et dépassé, c’est que la France, et ça fait un moment que ça dure, doit faire avec des présidents, ministres et capitaines d’industrie qui sont eux-mêmes datés et dépassés, voire «fatigués, vieillis».
Alors pour BIG, d’ici une autre élection, rien n’est perdu !
Christophe Leray
* In Développement durable 21 patrons s’engagent, de Pierre Laporte et Teddy Follenfant