La RE2020 est le nom de la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE), qui vient en remplacement de la réglementation thermique 2012 (RT 2012). Notez la différence sémantique : nous sommes passés en huit ans de la thermie à l’environnement, il doit s’agir d’un sujet d’importance.
Passons sur le fait que la nouvelle RE2020 est moins contraignante que la RT 2012. Jusqu’à maintenant, en effet, BEPOS signifiait ‘bâtiment à énergie positive’ et avait le mérite de la clarté : l’édifice produisait plus d’énergie qu’il n’en consommait. Aujourd’hui, comme ça, de tête, qui peut dire à quoi correspond la performance E3C2, sinon que ce bâtiment N’EST PAS à énergie positive ? Mais passons.
Par rapport à la RT2012, quel peut bien être l’objectif de performance, comme on dit dans la finance, et donc d’économie d’énergie et donc de bienfait pour la planète, de cette innovante RE2020 ? Un gain de 10% ? 15% ? 20% ? Sauf à imaginer que les architectes aient soudain découvert une sorte de martingale, il est permis de penser que, depuis 2012 au moins, les mêmes font attention aux performances thermiques et environnementales de leurs bâtiments. Ce n’est donc pas comme s’il y avait beaucoup de marge, d’autant qu’ils y ont déjà ajouté des murs végétaux et des toitures végétalisées, c’est dire si les architectes n’étaient pas les derniers à faire des efforts.
Dit autrement, tout bien considéré, la pièce à 19° plutôt que 20° en hiver, quel est avec la RE2020 le véritable coût global de ce degré âprement gagné ? Et est-ce à dire que tous les ouvrages certifiés RT 2012 sont devenus obsolètes ? Faut-il déjà les remplacer ? L’obsolescence des bâtiments est-elle également programmée?
Notons cependant que cette nouvelle réglementation française si sensationnelle pour la planète ne s’applique qu’aux bâtiments neufs, ceux dont le permis de construire n’a même pas encore été déposé. Or, de la grotte Chauvet à la pyramide du Louvre, des tours de La Défense aux cités jardins, quelle est chaque année la part de la construction neuve comparée à l’ensemble du patrimoine construit français ? De l’ordre de 5% ? 2% ? 1% ? Les spécialistes le préciseront mais elle est en tout cas infime.
Donc, si l’on comprend bien, pour ce qui concerne la consommation annuelle des logements, le gain attendu de la RE2020 par rapport à la RT2012, correspond à environ 10 ou 15% de 5%, voire moins. C’est beaucoup d’efforts pour 0,5% ! Surtout lorsque les recettes non éprouvées mises en œuvre se montrent défaillantes.
Maintenant, à y réfléchir, cela valait-il vraiment le coup pour les têtes d’œuf de s’exciter, pour les députés de se mobiliser, pour les politiciens de nous expliquer doctement que cette nouvelle réglementation – comme si on en manquait – est évidemment pour le bien de la planète, sinon le nôtre, etc. Tout ça pour 10% de 5% ? Au mieux ! Voilà objectif bien dérisoire.
Mais bon, admettons que le solde de la RE2020 soit à long terme, sinon positif, au moins inoffensif. Voyons maintenant une journée de grève des transports en commun à Paris, 600 km de bouchon le matin, 600 km de bouchon encore le soir. Ajouter les jours de grèves qui s’accumulent et, en quelques semaines, tous les bénéfices environnementaux pluriannuels attendus de cette ambitieuse RE2020, n’en déplaisent aux technocrates, sont déjà partis en fumée, c’est le cas de le dire.
Pour le dire gentiment, était-il vraiment utile de faire suer tant de monde – au tarif des hauts fonctionnaires de la République – pour, après tout ce jus de crâne ayant coûté du temps et de l’argent aux contribuables, finalement inventer un nouveau label moins clair et moins efficace que le précédent ? Au point d’ailleurs d’éveiller des soupçons d’incompétence, ou pire ? C’est cela la croissance bas carbone ?
Maintenant imaginez que ce soient les architectes qui, lors d’une action éclair contre la loi ELAN, aient provoqué ces mêmes 600 km de bouchons… Il aurait falloir rouvrir le goulag rien que pour eux, affreux coupables de pollution phénoménale et inconsidérée. Ici, comme par magie, cette pollution collatérale n’est pas un sujet et n’est évoquée par personne.
La grève justement, sans les embouteillages, ne serait-elle pas bas carbone ? L’air dans le métro n’a jamais été meilleur et il s’avère, un mois plus tard, que si vous privez les Parisiens de transports en commun, oh miracle, ils marchent ! Bon ils roulent aussi en tous sens mais ils marchent, beaucoup.
C’est le paradoxe dont s’émerveillent les Américains qui s’étonnent sur CNN de la ligne svelte des Parisiens et Parisiennes qui pourtant mangent de tout, du beurre, de la viande, des frites, des croissants, le tout arrosé d’un vin généreux. Ce n’est pourtant pas compliqué : les Parisiens marchent beaucoup et, s’ils prennent le métro, ils montent des escaliers du soir au matin. N’importe quel usager du métro parisien, à la fin de sa journée, a grimpé entre 10 et 15 étages, ce qui est toujours mieux que de ramper de son canapé à sa limousine. Alors s’il n’y a plus de métro, le Parisien, comme quiconque confronté à la même situation, marche. Ce qui est étonnant est que d’aucuns trouvent cela mystérieux.
D’ailleurs, au bout d’un mois de grève, de nouvelles habitudes naissent et, malgré de nouveaux parcours, plus longs et plus contraignants, les gens continuent d’aller bosser. Dire que d’aucuns vilipendent le Français fainéant ! Du coup, cette grève est rassurante dans un sens ; dans la ville bas carbone, même s’il n’y a plus une seule voiture qui roule, les Parisiens, à pied, n’iront pas se pendre.
A l’heure des élections municipales, cela permet d’envisager des perspectives optimistes pour l’avenir. Par exemple, pour faire un bâtiment bas carbone de six ou sept étages, commencer par ne pas lui mettre d’ascenseur. C’est déjà, rien que là, autant d’économies réalisées dès la construction, sans compter que plus tard, sur la durée de vie de l’immeuble, tous les frais de maintenance, les gens qui râlent quand il est en panne, etc. tous ces problèmes-là disparaissent.
Ce serait un immeuble intergénérationnel. Tout en haut, les studios en colocation pour les jeunes, qui peuvent à 20 ans se coltiner les six étages et pourront à nouveau se loger en ville pour pas trop cher. Plus tard, une fois en couple, ils descendraient d’un étage, dans leur propre studio. Puis encore un étage plus bas à partir du premier enfant dans un logement plus grand, puis encore plus bas et plus grand avec le deuxième enfant, etc. pour finir, âgé ou handicapé, au rez-de-chaussée. De toute façon, dans la vie, il n’y a qu’une seule direction.
Il y aurait évidemment des exceptions pour les familles nombreuses parce qu’avec cinq ou six enfants, porter les bouteilles d’eau minérale au sixième étage, cela devient vite compliqué. Pas impossible mais compliqué. Nonobstant, ce bâtiment bas carbone serait bon pour la santé de ses habitants, le tout pour une société de marcheurs bas diabète et donc bas médicament. Byzance ! Vous imaginez la tête des industriels des secteurs concernés ?
D’ailleurs la santé de ses habitants ne devrait-elle pas compter dans le bilan carbone d’un immeuble ? Ou les monceaux d’ordures, dont on ne sait d’ailleurs plus que faire, qu’ils produisent ? Par exemple, utiliser un sac en plastique qui va tuer des tortues pour ramasser la crotte organique d’un minuscule toutou castré, c’est bon pour le bilan carbone ?
Une famille qui utilise la même voiture depuis vingt ans n’a-t-elle pas un meilleur bilan carbone que celle qui change de voiture tous les deux ans, même si la dernière en date est hybride ? Faites le calcul en kilos de matière de bagnole économisés à l’échelle mondiale ! C’est simple, interdisez toutes les voitures de moins de vingt ans à Paris – sauf taxis, bus et ambulances – et la circulation devient fluide, surtout pour les banlieusards, les embouteillages disparaissent, la qualité de l’air s’en trouve grandement améliorée. Comme à Cuba !
Tout cela, à l’heure où l’on nous vend que même le béton est bas carbone, pour poser la question : qu’est-ce qu’un bâtiment bas carbone ? Que veut dire le maître d’ouvrage quand il exige un bâtiment «très bas carbone» et un fonctionnement très «low impact» (véridique) ?
Quel est par exemple le bilan carbone du Colisée de Rome ? Voyons : il a été construit avec de la pierre délivrée en circuit court et le chantier n’a utilisé que de l’énergie animale, y compris celle de milliers d’esclaves qui ne mangeaient de la viande qu’une fois par semaine, et encore, et s’éclairaient à la bougie. Zéro déchet ou presque pour ceux-là ! Deux milles ans plus tard, c’est quoi le bilan carbone du Colisée ?
Où commence et où finit donc le bilan carbone d’un bâtiment ? Sur la table à dessin ? Au bout de 50 ans ? 100 ans ?
En attendant, pendant qu’en France, les pouvoirs en place et leurs obligés coupent en quatre les écheveaux de la RT, oups, de la RE pardon, pour donner l’impression d’agir, l’Australie est devenue un barbecue géant. Les effets de seuil sont redoutables quand il s’agit du climat d’une planète. C’est désormais une évidence pour tous.
Ces incendies gigantesques auront au moins le mérite d’appeler les pouvoirs en place à leurs responsabilités. Le premier ministre australien est pris à partie pour son inaction et, plus près de chez nous, il ne semble pas que les Français soient prêts à accepter encore longtemps toutes les billevesées dont on leur farcit la tête sous prétexte d’écologie. Le temps des sornettes est révolu : des actes sont désormais requis et le bricolage habituel à coups de mini pourcentage de ceci ou mini pourcentage de cela n’y suffira plus.
Mais bon, cela écrit, avec la campagne des municipales qui s’annonce, nous aurons sans doute bien droit à de nouvelles doses de choucroute verte. Alors, l’un dans l’autre, l’année sera de toute façon bas carbone.
Bonne année bas carbone à tous.
Christophe Leray