La RSE, pour responsabilité sociétale des entreprises, est désormais au cœur des préoccupations des entrepreneurs. Même les architectes s’y mettent.
Projets responsables, fournisseurs locaux, chantiers propres, gouvernance participative, qualité de vie au travail… toutes ces petites choses que les architectes distillent, pas toujours à la demande expresse des maîtres d’ouvrage (mais un peu tout de même), sont depuis quelques années déjà en premières lignes de la communication des agences d’architecture, des EPA les plus bavardes, des villes en marche pour le classement de la meilleure qualité de vie ou encore des maîtres d‘ouvrage privés comme les promoteurs et les foncières.
Dans l’air du temps, il s’agit bien souvent pour ces entreprises et institutions d’insuffler toute la gamme des engagements RSE dans leur image (écologie, égalité salariale, gouvernance éthique…), montrant combien chacun est plus vertueux, responsable et engagé que l’autre en matière d’éthique.
Le problème des outils de communication, c’est qu’au bout d’un moment, plus personne ne croit encore au message. A raison ? En tout cas, à parcourir les discours RSE des acteurs de la construction, se dégage une impression de relire toujours une même histoire, très superficielle et qui reprend globalement les bases des métiers de constructeurs et la définition d’une entreprise bien gérée. Par exemple : « Ensemble, nous créons de la valeur à tous les niveaux et contribuons ainsi à l’édification de villes plus durables, inclusives et résilientes, offrant un réel confort et bien-être aux usagers » ; ou encore « nous avons depuis longtemps adopté un modèle managérial basé sur l’autonomie, la confiance la responsabilité » ; ou celle-ci : « selon nous, être engagé dans la RSE signifie que nous prenons à cœur les responsabilités qui nous incombent en tant qu’agence d’architecture et acteur du bâtiment… » Encore heureux, réagiraient certains. Sans oublier, jamais, le traditionnel « Inventons un modèle durable ».
Les prémices de la RSE se faisaient déjà sentir dans les années soixante-dix. Aidés par la vague hippie, les hommes prenaient doucement conscience qu’il fallait prendre soin de la planète et de ses habitants.
En 1992, le sommet de Rio entérine le rapport Brundtland (initialement paru en 1987), qui posait les fondations de ce que doit être un développement économique durable. D’aucuns avaient déjà bien compris que le Business, à grands coups de dollars et de pétrole, ne pouvait pas perdurer au détriment des pays les plus pauvres et de la disparition d’espèces vivantes. La définition du développement durable trouvait alors sa définition courante, qui n’a pas changé d’un iota depuis : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »
Ensuite, il faut attendre 2015, à Paris, pour que soient pris par les hauts dignitaires mondiaux des engagements notables destinés à renforcer la réponse mondiale face aux dérèglements climatiques. Sur les 197 pays membres de la convention, 183 ont à ce jour ratifié les accords de Paris.
Pour tenir ses engagements, en 2021 avec le Grenelle, la France rendait obligatoire dans son article 75, la publication du bilan GES (gaz à effet de serre) des villes et des entreprises de plus de 500 salariés, les obligeants en partie à se lancer dans une réflexion RSE. Depuis 2012, Danone, Icade ou encore LVMH abreuvent le quidam de consommation responsable, de projets durables, d’éthique sociale… sans oublier tous les politiques friands des effets de mode qui redemandent toujours plus de bois sans se demander d’où il vient. L’histoire ne dit pas encore si l’écologie a fait la RSE ou si la RSE a fabriqué l’écologie.
Précisons ici qu’il s’agit d’un bilan GES et non d’un bilan carbone, marque déposée avec méthodologie associée par un certain Jean-Marc Jancovici. Malin, puisqu’il travaille aussi avec l’ADEME qui a choisi de vanter les mérites de cette méthode.
A la demande des politiques, les entreprises du bâtiment (majors et grosses PME) ont rapidement dû prendre le train en marche et afficher, comme dans les nouveaux TGV, leur vitesse de croisière en la matière. Les statistiques ne sont pas très bonnes concernant le bilan carbone du secteur du bâtiment, pas mieux d’ailleurs que les indicateurs sociaux à propos des employés sur les chantiers.
Bien sûr, les possibilités d’amélioration selon un axe développement durable de la construction sont énormes tant des progrès en la matière restent à faire. Développement de nouveaux matériaux en réemploi comme le béton de site, relance de filières locales comme la brique de terre compressée à Mayotte, privilégier les sous-traitances locales, les fabrications en circuit court… Bref, sur tous ces sujets qui visent à améliorer le bilan carbone de la construction, les entreprises ont les moyens de se donner quelques ambitions puisqu’elles ont la main sur leur chaîne de valeur et la qualité de leurs produits.
Nul besoin d’avoir une boule de cristal pour deviner que la loi enjoignant aux entreprises de réaliser leur bilan GES s’imposera bientôt à toutes les entreprises. Pour autant, en ce qui concerne les petites sociétés, dont font partie la majorité des agences d’architecture, un tel bilan est-il aussi pertinent que pour les multinationales qui exploitent des mines de lithium au Chili ?
Pourtant, dans les réponses aux appels d’offres, les maîtres d’ouvrage, publics notamment, ont déjà commencé à demander aux architectes leurs engagements RSE. Mais comment appliquer des ambitions sociales, territoriales et environnementales aussi poussées quand l’architecte ne tient pas le cordon de la bourse d’un projet et qu’il ne maîtrise nullement les demandes de ses clients ? Voire qu’une telle demande relève de l’incohérence : le BIM, qui fait chauffer les serveurs, est-il RSE ? Quand le bilan du maître d’ouvrage reste le seul maître à bord, comment imposer béton de site et paille quand les prix flambent ?
Car là où l’entreprise générale vend un produit, un architecte vend une prestation intellectuelle. Il pourra dire ce qu’il veut dans sa note d’intention, faire signer des chartes « chantier propre », ajouter des clauses éthiques à l’embauche des petites mains, si la demande d’en faire plus (avec moins) n’est pas imposée par les pouvoirs publics, comme mieux gérer ses déchets ou encore les réemployer, l’architecte n’aura pas vraiment son mot à dire. Car obliger à faire mieux coûte plus cher aussi, pour tous.
Contrairement aux entreprises du bâtiment, mener une démarche RSE est davantage pour les agences une démarche d’entreprise qu’une démarche concernant les projets. Les leviers sont moins de travailler concrètement à la livraison de bâtiments ‘durables’ que d’analyser le fonctionnement de l’agence au travers des prismes environnementaux (quel fournisseur d’énergie, trajets pendulaires, kg/an de papier…) et sociaux.
Alors quel intérêt de s’engager dans une telle démarche, chronophage et par conséquent coûteuse tant qu’elle n’est pas encore obligatoire ? En effet, la mise en place d’une stratégie RSE représente un coût rapidement faramineux, surtout pour les plus petites structures : un poste à mi-temps pour collecter, analyser et diffuser le discours, un bilan GES officiel (Entre 4 000 et 10 000 € pour un bilan, qu’il faudrait faire réaliser tous les deux/trois ans pour avoir une idée des courbes que prennent les indicateurs), ajouter à cela, tous les événements ‘corporate’ (formation, visite chantier, yoga, week-end…)…
Ce n’est donc peut-être pas sur le volet environnemental que pourraient se sortir grandies les agences d’architecture qui se frottent à cette feuille de route onusienne mais davantage en explorant d’abord les avancées sociales possibles dans les ateliers. En effet, les agences souffrent de réputations parfois ternies sur le plan des relations humaines. De nouveaux architectes qui déchantent, des salaires sans aucune mesure avec le temps passé, des relations professionnelles pas toujours au beau fixe, des contrats de travail précarisés en début de carrière, peu d’avantages. L’occasion de revoir, à l’aune aussi de « la grande démission » qui touche aussi les agences d’architecture, un autre volet de la culture de la charrette ?
C’est probablement de ce côté-là que les agences pourront proposer une démarche RSE de qualité qui ait du sens.
Alice Delaleu