Une fois n’est pas coutume (espérons-le), le Tour de France 2020 a été reporté à septembre pour cause de pandémie. Le changement de calendrier n’y peut rien, ce Tour sera l’occasion pour les commentateurs de la course de nous servir, comme chaque année, une ode au patrimoine de la France profonde, avec vues d’hélicoptère de la vieille église et du vieux château qui datent de Mathusalem.
La course est pourtant un modèle d’innovation et de technologie. Alors, pour faire le pendant des discours lénifiants et contrer l’influence souriante mais néfaste des enfants de Stéphane Bern, voici à destination des suiveurs du Tour, des amateurs de cyclisme et de tous les amoureux de la France profonde, le Tour de France 2020, étape par étape, de l’architecture contemporaine. Départ de Nice le 29 août, arrivée à Paris le 20 septembre. Allez une salade et c’est parti !
1ère étape (29 août) : Nice (moyen pays) > Nice – 156 km
De Nice à Nice, la première étape de ce Tour de France effectue une grande boucle dans l’arrière-pays niçois avec pour les coureurs trois difficultés à avaler dès ce premier jour. De toute façon, ils sont prévenus, ce Tour sera difficile avec de la montagne en veux-tu en voilà.
Les suiveurs, arrivés à Nice quelques jours avant le départ, ont déjà eu le temps de découvrir pour le prix d’un ticket le pôle multimodal du tramway de Nice conçu par l’architecte niçois Marc Barani, Grand Prix national de l’architecture pour les connaisseurs. Il n’aura pas échappé aux suiveurs que Nice, nichée entre ses collines abruptes et la mer, manque de place pour accueillir de grosses infrastructures. Alors que dire de ce projet modelé par la contrainte et construit dans un espace résiduel, coincé entre une autoroute, ses bretelles d’accès et d’imposantes barres d’habitations ?
Les hommes et femmes de l’art noteront que le projet creuse profondément la pente, libère un vide en son centre, où air et soleil peuvent pénétrer tandis que de vastes puits de lumière traversent tous les niveaux et complètent le dispositif. Pour les suiveurs et les profanes, une simple visite vaut tous les commentaires. De fait, ce projet a gagné l’Equerre d’argent en 2008, à une époque où une telle distinction voulait dire quelque chose.
Surtout ce tramway accompagne la restructuration lourde du quartier des Moulins au nord de Nice, un quartier de « grands ensembles » désormais désenclavé. Et puisqu’il est question de Marc Barani, pousser donc jusqu’aux Moulins pour faire le tour du projet de logements sociaux intitulé Horizon Meridia.
Opération de relogement avec un programme de logements locatifs sociaux et d’accession à la propriété, le rez-de-chaussée abrite une mairie annexe et des commerces, l’ensemble étant organisé autour d’une cour intérieure distribuant l’ensemble des accès aux logements. « Le socle délimite un espace semi-public à l’intérieur du projet et propose les conditions d’une sociabilité autre que celle qui a du mal à fonctionner dans l’espace strictement public », souligne Marc Barani.
Surtout, chaque logement, au minimum en double orientation, possède une loggia ou un balcon largement dimensionné ceint « d’une peau textile qui permet de moduler apports solaire et intimité » sans interdire les accès. C’est sans doute un détail pour les suiveurs mais là réside la clef d’une attention fine et généreuse portée à la qualité de vie des habitants.
Puisqu’ils sont déjà là, les suiveurs – qui ont le temps car de toute façon les coureurs seront à nouveau de retour à leur point de départ – peuvent faire un petit détour pour découvrir le Pôle petite enfance de La Trinité, signé CAB architectes (Jean-Patrice Calori, Bita Azimi et Marc Botineau). Entre l’hypermarché et le cimetière sculpté dans la colline, des escaliers successifs dessinent « autant de languettes vers le jardin pour lire et flâner à l’ombre de murs épais », le projet s’inscrivant dans le site autant comme un équipement qu’un espace public. Un bâtiment également récompensé en 2012 d’une Equerre d’argent, quand elle valait encore quelque chose.
Composé de deux plateaux superposés ménageant une toiture accessible aux véhicules, « à la fois bâtiment et scénographie, le projet révèle un site, un paysage : il cadre et oriente les directions importantes du regard et donne la règle géométrique dans ce lieu aux échelles multiples », indique CAB.
Pour le coup, ce n’est même plus une visite mais une promenade. Les suiveurs, en redescendant vers la mer pourront se dire que, décidément, ce tour de France contemporain est parti sur de bonnes bases.
2ème étape (30 août) : Nice (haut-pays) > Nice – 187 km
Une autre boucle Nice-Nice mais plus longue et plus haute avec trois cols au menu – le long col de la Colmiane (16 km à 6,3 %), le col du Turini (15 km à 7,4 %) et le col d’Eze (7,8 km à 6,1 %) – pour près de 4 000 m de dénivelé positif en deux jours. Pour les favoris, il ne faut pas être en retard dès cette seconde étape, les autres auront déjà mal aux jambes à la fin du parcours et, en plus, ils seront toujours à Nice.
Si pour les coureurs, ça chauffe déjà, pour les suiveurs, avec un retour au même hôtel depuis plusieurs jours, c’est un peu comme des vacances sur la côte. En plus, tout ce qu’il y a à voir est quasiment sur la route à l’aller et au retour de cette étape. Largement le temps donc pour les amateurs d’architecture contemporaine d’aller découvrir ce qui se passe du côté de l’EPA Nice Ecovallée qui vient de fêter ses dix ans.
Au choix pour les suiveurs, dans l’ordre qu’il préfère dans le sens de la montée, reconnaître le PALAZZO MERIDIA d’Architecture-Studio et l’Institut Méditerranéen du Risque, de l’Environnement et du Développement durable (IMREDD) de Marc Barani (encore lui), ce dernier bâtiment valant à lui seul le détour. Le suiveur un peu curieux trouvera également là les signatures, parmi d’autres, de Corinne Vezonni, Chaix & Morel, AIA, Jean Nouvel…
Dans le sens de la descente, les suiveurs peuvent découvrir Joia Méridia, un gigantesque macro-lot de 73 500 m² de logements, hôtellerie, bureaux et commerces autour d’une place pour « proposer une relecture de la ville méditerranéenne adaptée aux usages d’aujourd’hui », selon l’aménageur. Pas moins de sept agences d’architecture ont été missionnées : Lambert-Lenack à la coordination, Sou Fujimoto à la tour signal, Laisné-Roussel pour le bureau de nouvelle génération (ANIS) accompagné de l’italien Cino Zucchi, du marseillais Roland Carta et des agences parisiennes Anouk Matecki et Chartier-Dalix.
Après une étape bien rythmée donc, une fois les suiveurs revenus dans la plaine côtière, plutôt que de traîner à l’hôtel en préparant ses affaires, pousser jusqu’à Villefranche-sur-Mer et découvrir l’Institut de la Mer, construit également par CAB architectes. Il s’agit d’un lieu dédié à la recherche en océanologie.
La visite laissera plus d’un suiveur stupéfait ! De là, il n’y aura pas loin ensuite pour trouver à se rafraîchir au bord de l’eau et manger du poulpe frais cuit au barbecue, avec une salade évidemment.
3ème étape (31 août) : Nice > Sisteron – 198 km
Une étape à bosses pour baroudeurs, à moins que les équipes de sprinteurs… Pour rejoindre Sisteron, les coureurs s’élèveront jusqu’au-dessus de 1 000 m et, après en avoir pris plein les yeux de la ville du futur à Nice, les suiveurs sont heureux lors de cette troisième étape de retrouver les petites routes bucoliques de l’arrière-pays avec ses villages, ses églises et ses châteaux rassurants.
Cependant, les suiveurs n’hésiteront pas à prendre un peu d’avance sur le peloton pour faire un détour par Vachères (Alpes-de-Haute-Provence), un village perché à 830 m d’altitude dans le parc naturel régional du Luberon. Arrivés là, puisqu’il était question des diverses façons d’incarner la modernité, se rendre à l’église Saint-Christophe, datée du XIIIe siècle mais supplantée en 1871 par la nouvelle église Saint-Sébastien, laquelle s’est effondrée en 1961 !
Une campagne de rénovation (terminée en 2014) menée par on ne sait trop qui, sinon des artisans locaux, a transformé la ruine en une nouvelle salle d’expositions et de concerts, l’ouvrage mariant habillement désormais architectures médiévale et contemporaine avec un toit rond en zinc et un mur rideau de très belle facture dans cet environnement. Avis aux pilotes d’hélicoptères, voilà enfin une vieille église qui vaut le détour. La place du village est à deux pas, l’occasion de se désaltérer avant de rattraper les coureurs et, à Sisteron, de se cogner la montée vers la citadelle.
4ème étape (1er septembre) : Sisteron > Orcières-Merlette – 157 km
Dans les Hautes-Alpes, la station d’Orcières Merlette 1850 (5km après le village d’Orcières) se trouve à près de 2 000 m d’altitude. Autant dire que pour le peloton, l’heure de cette étape n’est pas à la rigolade, d’autant que ça ne rigole pas depuis le départ avec ce Tour montagnard qui en a déjà fatigué plus d’un.
Ce n’est pas que pour les coureurs que cette étape sera compliquée. Pour les suiveurs amateurs d’architecture contemporaine en effet, il n’y a quasiment rien à se mettre sous la dent dans les alpages. De fait, en raison de l’insertion paysagère nécessaire désormais à toute construction neuve dans les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes – véritable inquisition des goûts et des valeurs – il est difficile désormais de trouver de l’architecture contemporaine autrement que chez les constructeurs de maisons individuelles ou des promoteurs, c’est-à-dire un chalet en bois revisité jusqu’à plus soif.
Certes l’année 2020 devait voir à Digne la construction d’un nouveau gymnase pour le collège Maria Borrely, un projet à 3,45 M€ signé Leteissier-Corriol Architecture qui sort un peu des canons locaux. Mais les suiveurs, pour cause d’une année un peu bouleversée pour tout le monde, devront attendre pour le découvrir que le Tour de France revienne à Digne Dieu sait quand. Pour ceux-là donc, avant un prochain retour à la civilisation, oublier l’architecture une seconde et profiter de la bagarre prévue dans la montée d’Orcières-Merlette – 7 km à 6,7 % de moyenne dont au pied un deuxième kilomètre d’ascension annoncé à 8,2 % de moyenne, un vrai casse-pattes.
Christophe Leray (dans la caravane)
La suite du Tour dès la semaine prochaine, après la journée de repos des coureurs.
Pour les suiveurs, retrouver :
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018