Le tournant du XXIe siècle est marqué par une floraison inédite de biennales (triennales, quadriennales) d’arts contemporain, de design et d’architecture au travers du globe. Même Paris s’y met ! Autrefois marginalisées car élitistes par nature, elles prolifèrent aujourd’hui et attirent des publics nombreux. Pourquoi ? En tout cas, la compétition entre les villes et les pays fait rage. Lutte de classe ?
Le 22 mars 2016, Giandomenico Magliano, ambassadeur d’Italie en France, annonçait la tenue, d’avril à septembre de la 21ème édition de la triennale de Milan, pourtant disparue depuis 20 ans. Tandis que la biennale d’Istanbul s’est achevée malgré un contexte politique délicat, celle de Sydney vient d’ouvrir ses portes, la biennale d’architecture de Venise attend sagement le 25 mai prochain, la 32ème édition de celle de Sao Paulo sera inaugurée au mois de septembre, alors que celle de Dakar sera terminée. Cette année, Lyon, Marrakech, Moscou, Gwangju (Corée du Sud), Berlin, Rotterdam, Montréal, ne seront pas laissées pour compte. En 2013, il y avait plus de 60 biennales et triennales au programme quand, il y a 30 ans, seules Venise, Sao Paolo, Paris et Kassel faisaient vibrer les connaisseurs. En 2016, dans ce foisonnement difficile à suivre «une trentaine d’entre elles sont vraiment intéressantes et une dizaine, indispensables», résume Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo.*
Plébiscitées par les villes mais désormais gérées par des associations, les biennales, qu’elles soient d’art contemporain ou d’architecture (contemporaine ?), sont bien plus que de simples regroupements d’expositions ou de manifestations. Alors que les musées d’art contemporain, auxquels elles s’associent, font un point sur l’état de l’art passé dans un mode de présentation pérenne, les biennales, en jouant sur la nature éphémère de l’événement, s’intéressent à l’art futur et en mouvement.
Il y a deux sortes de biennales. La manifestation qui produit de l’information à grande échelle, presque scolaire, pour un vaste public mondialisé. Elle suscite la venue d’un tourisme curieux et mesure en partie son succès au nombre de ses entrées. Dans cette typologie, la meilleure demeure Venise. Les autres, dans la veine de Monumenta à Kassel, mettent en avant une réflexion et une recherche sur un thème qu’il s’agit, «de décanter, de digérer, de travailler», ainsi que l’explique Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou.*
Les lieux d’expositions choisis ne sont pas anodins. Ils instaurent un lien particulier au passé et à l’histoire de la ville dans laquelle la biennale à lieu. Venise en de fait une ville-musée tandis que la triennale renoue avec la ville de Monza, où les premières triennales avaient eu lieu.
Ces évènements sont-ils, dans le domaine culturel, le reflet des rivalités qui existent désormais entre les pays et les villes pour attirer les touristes ? Cela n’aurait rien de nouveau. Les biennales et triennales découlent de la tradition des expositions universelles autant que des foires commerciales et comme elles demeurent à ce jour des événements diplomatiques ; pourquoi les pays auraient-ils des Pavillons sinon pour mettre en exergue la mise en compétition des nations ? Dans tous les cas, le moteur des foires qui avait pour carburant l’innovation et la recherche semble tousser un peu. Est-ce en raison des médias et d’Internet toujours plus rapides pour relayer les informations ? A cause des crises économiques, politiques et financières qui touchent tout le globe ? D’un contenu toujours plus banalisé ? Il semble bien en effet que trop de biennales risquent de finir par nuire à la biennale.
D’ailleurs, s’il y a un point commun qui paraît animer les commissaires de ces manifestations, c’est bien la question du public, du spectateur qui par sa présence même devient un acteur des expositions. La médiatisation de l’événement est la condition sine qua none de son succès et un des outils de communication des villes. La preuve, l’AFP rapportait depuis le MIPIM en mars 2016 «un projet de biennale d’architecture et de l’urbanisme, que la Région Ile-de-France espère mettre en place dès 2017, pour rayonner à l’international».
En voici les éléments de langage : «un tel événement a pour objectif de valoriser les réflexions engagées par l’ensemble des acteurs franciliens sur l’avenir et la réinvention de la Région capitale et de leur donner une grande visibilité internationale» mais aussi «de promouvoir les travaux des architectes, urbanistes, paysagistes, designers, les savoir-faire des entreprises et des professions du bâtiment», précise le communiqué de l’AFP.
Nul doute que l’appel à projets dont il est question a peu à voir avec une «biennale» dans la lignée de celle de Venise et beaucoup avec la récupération d’un mot et d’un ‘concept’ nettement plus vendeurs. Le projet a été voté par le conseil général malgré l’abstention des élus d’EELV, lesquels ont «l’impression d’être les figurants d’une campagne de pub permanente», et de ceux du FN qui accusent la majorité de «faire des délibérations d’image pour entrer en compétition avec la Métropole du Grand Paris et la Mairie de Paris». Une biennale d’image alors ?
Une chose semble avérée : le réseau des biennales, triennales et même quadriennales contribue à faire de l’art et de l’architecture un produit comme un autre dans un marché internationalisé. Faut-il alors s’étonner de leur perte de sens quand ces évènements ne sont plus appréhendés que dans le cadre du moule de la pensée mondialisée ?
Léa Muller
* Lefigaro.fr, Valérie Duponchel, La bataille mondiale des biennales d’art, 28 mai 2013