Grande nouvelle, la mairie de Paris a officialisé avant les vacances que la rentrée serait marquée par une nouvelle règle de circulation : vitesse limitée à 30 km/h dans tout Paris… Enfin !
Après des mois passés à subir des rues encombrées, barrées, en travaux, etc., nous allons enfin pouvoir rouler dans les rues de la capitale ! Quelqu’un aurait enfin trouvé le moyen de fluidifier la circulation ?
Il faut dire que la Mairie s’en est donné les moyens : elle s’est attachée depuis quelques mois les services d’un « chercheur en mobilité » ; rien que ça ! De mieux comprendre l’état des rues ces derniers mois… Notre chercheur a dû confondre son laboratoire avec les rues de la ville et ainsi transformer l’ensemble des Franciliens en souris de laboratoire !
Que l’on se rassure cependant, c’est pour la bonne cause : nous allons pouvoir rouler à 30 km/h dans les rues de la capitale ! Comment ? Par quel miracle ? Notre chercheur serait-il devenu un découvreur ? Parce qu’en lisant les interviews du jeune homme dans les journaux sponsorisés par la mairie de Paris, il nous informe que le nombre de voitures dans les rues de la capitale a été divisé par deux en 30 ans ! il n’y est donc a priori pas pour grand-chose. En revanche les embouteillages, eux, n’ont pas diminué. Il va encore falloir chercher un peu…
Les études ont montré qu’au moins 25 % de la circulation automobile dans Paris sont dûs à la recherche d’un stationnement ; donc, Eureka !, notre chercheur propose de supprimer 60 000 places de stationnement dans les rues de Paris, soit près de la moitié ! Souhaitons-lui d’avoir plus de politiciens que de scientifiques pour soutenir sa thèse…
Tout le monde aura bien compris que notre chercheur en mobilité n’est que très peu intéressé par les problèmes des automobilistes ; sa spécialité serait plutôt la mobilité à vélo. Là, encore, une lecture de sa biographie nous apprend qu’il a découvert ce mode de transport durant ses études, autant dire il y a quelques mois, et que c’est devenu pour lui une passion, transfigurée en mission divine : transformer la ville au seul bénéfice des cyclistes et des piétons !
Etant pour ma part cycliste dans les rues de Paris depuis plus de vingt ans, je peux assurer en réalité que plus des chercheurs se penchent sur la problématique des déplacements à vélo, plus les installations générées sont inadaptées, stupides, voire dangereuses !
En témoigne le plan de circulation de la place de la Bastille : en plan sûrement un système très esthétique, en réalité un aménagement totalement inefficace, avec des pistes cyclables inutilisées, atteignables par des acrobaties délirantes, se soldant par des cyclistes mélangés à la circulation automobile, sans qu’ils soient pour autant, finalement, en danger de mort. Que d’énergie et d’argent dépensés en vain !
Si on continue sur la rue Saint-Antoine, une magnifique piste cyclable double sens a été créée (merci le Covid !). Si toutefois l’envie vous vient de l’emprunter, il vous faudra franchir pas moins de dix (10 !) feux spéciaux pour vélo sur les 500 m qui séparent Bastille de Saint-Paul ! Deux fois plus que pour les voitures ! Une installation faite par un grand chercheur en mobilité qui a bien observé les cyclistes et leur humble respect du code de la route. D’ailleurs, ayant bien conscience de la stupidité d’un tel dispositif, l’aménageur a surmonté chaque feu d’un panneau autorisant le cycliste à… griller le feu !
Le génie, en l’occurrence, ne vient pas du chercheur qui a inventé le système mais du commercial qui a vendu à la ville vingt feux tricolores « cyclistes », plus vingt panneaux autorisant à ne pas les respecter pour équiper 500m de rues de Paris ! Rien de grave, ce n’est que de l’argent public. A ce rythme, pour équiper les 1 600 km de rues de la capitale, cela promet un marché juteux ! Ajouter à cela la consommation de matière première et la consommation électrique de tout ce petit monde… Développement durable ?
Il est à noter que la place de la République, privée de piste cyclable, voit les cyclistes et les automobilistes cohabiter. Lorsqu’on respecte le code de la route, on ne s’y sent pas plus en insécurité, en vérité. Et d’ailleurs, Il n’y a pas plus de morts ! Le problème est bien là : comment sécuriser les pratiques de personnes qui ne respectent aucune règle ?
Il y a bien un code de la route qu’il vaudrait mieux aujourd’hui renommer en « code pour automobilistes » tant ils sont les seuls à devoir le respecter. Les piétons ne l’ont jamais respecté, les cyclistes encore moins. Aujourd’hui tout le monde s’émeut de son non-respect par les trottinettes électriques et les scooters mais les bus de la RATP ne sont pas en reste. Bref, à l’exception de l’automobiliste sur lequel il est toujours de bon ton de taper, peu d’autres utilisateurs respectent le code de la route. Pour ces derniers, peu de sanctions, « les nouvelles mobilités douces » ayant la cote chez les politiques !
A tel point qu’aujourd’hui le premier adjoint de la capitale nous annonce pour 2023 ou 2024 la mise en place d’un code de la rue, pour remplacer le code de la route « inadapté » ! Il faut imaginer qu’il sera basé sur les derniers principes mis en œuvre ; avec des règles à respecter… en fonction de son humeur ! Il sera évidemment élaboré avec une concertation citoyenne, parce que les riverains sont de source sûre les plus à même d’élaborer les règles des rues de la capitale !
Quant à son application, compte tenu de l’incapacité de notre société à faire respecter le code de la route (pourtant opposable à chaque usager), difficile d’imaginer qu’il saurait en être autrement d’un code dont personne ne sera redevable !
Le problème des rues que nous connaissons aujourd’hui était pourtant prévisible : il y a déjà près de 30 ans déjà, des urbanistes de renom, comme Yves Lion notamment, s’élevaient contre la spécialisation des espaces publics avec la création des premières voies de bus, rapidement rejointes par les pistes cyclables, au profit d’une mutualisation des usages.
Lion et les urbanistes furent malheureusement loin d’être entendus et les espaces publics ont été de plus en plus partitionnés, spécifiés, rendant les pratiques des uns de plus en plus intolérables aux autres, au point que les voies de bus sont aujourd’hui interdites aux cyclistes. Des voies sont réservées pour les taxis et d’autres pour le co-voiturage, chaque minorité réclamant sa petite parcelle d’espace public débarrassée des gêneurs. A quand la piste pour trottinette électrique et la séparation entre vélo électrique et vélo traditionnel qui ne vont pas à la même vitesse ?
Il s’agit d’une étape dans la mutation des rues. Les prochaines règles sont claires, les voitures seront interdites dans Paris, sauf pour les PMR, pour qui des places spécifiques seront réservées parce qu’on ne va quand même pas adapter les 97% transports en commun inadaptés ! Pourront encore également circuler les artisans parce qu’il faudra bien que quelques manants puissent venir entretenir les immeubles et dépanner les Parisiens. Bon, et puis les livraisons auront aussi leurs places réservées, parce que malgré la volonté d’un label « fabriqué à Paris », il faut bien livrer le lait pour fabriquer du « Fromage de Paris » (les chèvres dans la ville c’est nauséabond !) et de la farine pour fabriquer une baguette « made in Paris » !
A cela vont s’ajouter les bus, et les bus articulés de la RATP, et aussi les cars pour touristes… A moins qu’eux aussi doivent faire les derniers kilomètres à pied, auquel cas il faudra peut-être prévoir des voies « valises à roulettes » ! Les Parisiens qui ont une place de parking dans leur immeuble, auront sûrement le droit d’y accéder, enfin Vinci et Indigo ne vont sûrement pas s’assoir sur la manne financière que représentent leurs parkings publics, donc les voitures pourront aussi circuler pour accéder à ces parkings !
Et, bien sûr, les véhicules de secours, ambulances et grandes échelles…
En revanche, comme toujours, l’inclusion s’arrêtera à la limite des minorités visibles pour laisser de côté les invisibles, ainsi les femmes enceintes, elles devront marcher… les personnes âgées à la mobilité affaiblie… idem les éclopés temporaires, jambes cassées ou entorses… à la marche ! comme tout le monde !
Finalement les rues vont-elles devoir continuer à être circulées ? Eh oui ! ne serait-ce que pour les secours, qui, comme un fait exprès, sont les plus contraignants ! les pompiers ont besoin d’accéder en tous points des rues, le feu peut prendre partout, même dans le toit d’une cathédrale, a fortiori quand on construit en bois ! Nul n’a encore réussi à miniaturiser la grande échelle, de loin le gabarit le plus contraignant !
Ainsi, la rue historique parisienne est, et restera, un espace servant, au service des espaces de vies qui, eux, se trouvent autour, qu’ils soient bâtis ou libre. Le seul moyen de permettre d’avoir d’autres fonctions dans une rue est de l’élargir. Mais n’est pas Haussmann qui veut. Il faut avoir du courage politique pour transformer durablement la physionomie d’une ville !
Qu’à cela ne tienne ! les circulations se feront au rythme des vélos ! Grâce à une formidable invention : la Vélorue ! qu’est-ce que c’est ? une sorte de passage entre les bâtiments où les véhicules motorisés autorisés et les vélos partagent le même espace, et, élément indispensable, au milieu on peint le sol en rouge pour que les vélos sachent bien qu’ils doivent rouler au milieu ! Il est clair que nos génies des déplacements urbains ne sont pas des champions de l’esthétisme urbain… Quant à la question des relations bienveillantes et apaisées entre usagers, il faudra pour cela également repasser !
Que les cyclistes ne se réjouissent pas trop vite, une fois la poule aux œufs d’or, l’automobile, tuée, il faudra bien trouver d’autres usagers pour remplir les caisses municipales… Entre le stationnement, les verbalisations automatiques et les diverses infractions au code de la route, ainsi que les taxes diverses, la manne d’argent à disparaître pour les élus devra être compensée, surtout que les électeurs, eux, vont continuer à demander toujours plus de divertissements et d’animations coûteuses pour animer les espaces publics laissés vides…
Ainsi les motards vont déjà être mis à contribution, les cyclistes, une fois qu’ils seront majoritaires, suivront et devront se plier au code, qu’il soit de la route ou de la rue, et s’apprêter à être les nouvelles vaches à lait. Compte tenu de l’absence d’investissement dans les espaces de stationnement pour vélo par la ville, il y a surement un axe de recherche dans ce domaine prochainement !
La révolution en prend alors un coup sur le museau, et finalement, seules les places de stationnements vont passer à la trappe pour laisser place à quoi ? des bancs ? oui mais avec accoudoirs pour que les SDF ne squattent pas ! Des terrasses ? mais qui ferment tôt pour ne pas importuner ceux qui vivent au-dessus ! des arbres ? mais pas trop grand pour ne pas cacher le soleil des appartements de pied d’immeuble… ces derniers font déjà l’objet de recherches pour être réinventés en prévision de la disparition des nombreux commerces par manque de chalands. Des espaces de jeux pour enfants dans une ville qui ferme tous les ans des classes par manque d’effectifs ?
Enfin, demain, une fois les grands espaces de la ville vidés de toute circulation automobile puis des deux-roues motorisés qui sont les prochains sur la liste des indésirables, que ferons-nous de ces places ? Il suffit de regarder le vide sidéral que sont la place de la Bastille et de la République pour comprendre qu’étendu à l’ensemble du centre-ville il faudra trouver des usages. Imaginez la place de la Concorde comme un espace piéton, entre le mur d’enceinte du jardin des Tuileries, la façade de l’Assemblée nationale et les arbres des Champs Elysées, il n’y a guère que l’hôtel de Crillon et celui de la Marine pour apporter un peu d’activité dans cet espace et le Crillon devra penser à reconvertir ses voituriers en trottinettiers !
Et que faire de ce grand espace vide autour de l’Obélisque ? Un parking relais géant ? Un vélodrome ? Une tour, pour une fois en plein cœur de Paris plutôt qu’à sa périphérie ?
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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