A l’insu de ses concepteurs – René et Phine Weeke Dottelonde – l’âme de Alvar Aalto s’est invitée, en lieu sûr, à l’intérieur de la nouvelle Bibliothèque universitaire du Havre. Des courbes généreuses donnent à ce lieu voué à l’académisme une sensualité propre à réconcilier rigueur scientifique et plaisir de l’étude.
« ‘Il faut justifier la courbe’, disait Henri Ciriani. En l’occurrence, j’avais simplement envie d’une courbe, d’un volume déséquilibré par rapport au carré. Je suis pourtant mal à l’aise avec les courbes des surréalistes, j’essaye de rationaliser jusqu’à ce que je tombe, consciemment ou inconsciemment, sur une incohérence, ce petit grain qui fera que le carré ne soit pas parfait. C’est là que je m’y retrouve« , explique Phine Weeke Dottelonde pour tenter d’expliquer l’inspiration qui a guidé la conception de la Bibliothèque Universitaire du Havre.
Le carré est un simple cube de verre enveloppé sur trois façades d’une seconde peau en briques qui permet ainsi d’inscrire la bibliothèque dans le cadre d’un campus construit avec le même matériau et de protéger un bâtiment à vocation HQE, comme le demandait expressément le maître d’ouvrage. « Les façades, largement vitrées, procurent un bon éclairement naturel général. L’adjonction de pare-soleil verticaux et horizontaux garantit une protection optimale contre le soleil. Quant à la façade de terre cuite, elle s’inspire, tant par le matériau choisi que par la vibration des lignes verticales qui la structurent, de l’architecture traditionnelle de la région où les encadrements de fenêtres, les pilastres, rythment le jeu des briques rouges et blanches« , explique-t-elle.
La surprise est à l’intérieur. « Dans un bâtiment qui est un lieu unique de connaissance, il est symboliquement significatif de réunir, par un vaste volume en creux se développant sur toute la hauteur du bâtiment, l’ensemble des plateaux et d’apporter ainsi la lumière naturelle jusqu’au centre de l’édifice. Ce patio, aux formes arrondies, contraste par la douceur et la fluidité de ses courbes avec la rigueur géométrique du bâtiment« , expliquent ses concepteurs. D’aucun y ont vu l’évocation d’un vase de Alvar Aalto. « Jamais nous n’avons voulu faire un vase ; nous avons pensé à un vide en forme de haricot, lequel a mis beaucoup de temps à germer« , disent-ils en riant.
La référence à Alvar Aalto est pourtant juste. Ne serait-ce que parce que c’est au cours d’un voyage en solitaire en Finlande, durant lequel Phine Weeke Dottelonde a visité tous les bâtiments de l’architecte Finnois, que sa décision de devenir architecte fut prise. Et que les courbes de la BU évoquent effectivement un vase – en l’occurrence inversé – de Aalto. La comparaison s’arrête là puisque, au fil des quatre étages, ces courbes ne se superposent pas systématiquement dans le même plan.
Surtout cet atrium offre l’image surprenante d’une bibliothèque associant douceur et volupté à la rigueur de l’étude, offrant la possibilité que travailler dur soit autant, sinon plus, un plaisir qu’une contrainte, et décidant enfin que la recherche peut s’effectuer en toute transparence et non dans le secret. La lumière sans les arcanes en somme. Les architectes le concèdent, qui expliquent que « la relation avec le public doit se faire d’une manière naturelle, grâce d’une part à la simplicité de l’architecture, et d’autre part à la transparence des façades qui offre à voir ses activités internes. Cette impression d’accueil et d’ouverture est renforcée par la compréhension immédiate de l’organisation des espaces intérieurs. Cette lisibilité vient essentiellement d’un regroupement en zones homogènes et claires des différentes activités internes. En soirée, la façade illuminée de la salle d’étude, ouverte au public, apporte à la rue son animation et favorise un sentiment de sécurité« .
De quoi rendre fou de rage aussi bien les tenants de l’élitisme universitaire que les prophètes de l’Armagedon technologique. Une science apaisée aux confins de l’art comme en témoigne la nouvelle sérénité de Dottelonde fille au sein de l’agence de Dottelonde père ? A noter le positionnement d’un seul côté du bâtiment de locaux ayant des typologies particulières (magasins, services intérieurs,…) qui assure au personnel de bonnes conditions de travail, réduit les parcours et délimite parfaitement les espaces selon les usages.
Il reste quelques éléments chagrin que l’architecte a du subir et qui dénaturent l’esprit et la lettre de ses intentions. La toiture en premier lieu : des sheds imposés au nom de la sacro-sainte HQE occultent la lumière. Comble du dévoiement d’un bureau d’études (que nous ne citerons pas), des pare-soleil imposés sur la façade sud qui donne… sur un gymnase (distant de 8 mètres), qui en interdit l’exposition. En clair, quand l’esprit logiciel s’impose avec autant d’aveuglement, il est permis de penser que, sous couvert de HQE, les architectes n’ont pas fini de devoir avaler des couleuvres. Enfin, sous prétexte de normes pompiers, des portes coupe-feu ont dû être installées brisant (ce n’est rien de l’écrire) l’harmonie des plateaux ; non que ces normes soient inutiles mais quand elles s’imposent en dépit de la raison la plus élémentaire, elles inspirent plus de dépit qu’un quelconque sentiment de sécurité.
Reste à signaler un escalier de très très belle facture. L’entreprise qui l’a réalisé a sans doute sué sur sa copie mais pour quel résultat! Le tout, bien sûr, dans le cadre d’un budget ‘Education nationale’, soit, pour citer les architectes, le prix du logement social. « La simplicité du plan et de la construction, le choix des matériaux, robustes et pérennes, sont les plus sûrs garants du respect des contraintes économiques« , disent-ils.
« La Bibliothèque Universitaire du Havre, lieu de référence de l’Université, deviendra par vocation un élément fédérateur entre celle-ci et la ville« , espère René Dottelonde. Que les Havrais en passent la porte, ils sauront immédiatement qu’ils sont dans un bâtiment public.
Leray Christophe
Fiche technique
Maître d’Ouvrage/C.O. : Ministère de l’Education Nationale
Maîtrise d’œuvre :
Architecte mandataire : René DOTTELONDE et Phine WEEKE DOTTELONDE assistés de Michel DELAMOTTE
Architecte associé : ACAUM
BET Structure : KHEPHREN Ingénierie
Economistes : MAZET & Associés
Ingénieur Acoustique : Jean-Paul LAMOUREUX
Ingénieur Sécurité : CASSO & Cie
Mission de base + coordination SSI + HQE
Coût : 9,35 M€
Surface : 9.126m² SHON
Projet lauréat Mars 2002 – livraison en novembre 2005
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 25 janvier 2006