Passage du Monténégro, la maison construite par l’architecte Georges Maurios au détour des années 2000 ne vieillit pas, tout juste si elle se patine. De la rue, la façade semble avoir été installée hier, elle a pourtant vu grandir et partir des enfants.
L’occasion s’est présentée au détour d’une conversation. À la rédaction de Chroniques, cela fait des années que nous voulons faire une série à propos de bâtiments de plus de dix ans au moins. Nous avons dans ce cadre réalisé quelques reportages mais sans jamais parvenir à tenir une série organisée. En réalité, ce genre d’article est un rêve de journaliste d’architecture le plus souvent rattrapé par l’actualité, surtout dans un hebdomadaire ou un quotidien.
De fait, à la rédaction, nous nous sommes posé la question s’il ne faudrait pas en France des prix d’architecture attribués aux bâtiments de plus de 10 ans, 25 ans, 50 ans, quand il est avéré que l’ouvrage fonctionne dans le temps conformément aux desseins de l’architecte ! Bref, nous en étions là de la conversation quand elle a dévié vers Lacaton & Vassal, nouveaux Pritzker français. C’est ainsi que de fil en aiguille, s’est présentée l’opportunité de visiter une maison de vingt ans d’âge, passage du Monténégro, à Paris (XIXe).
« Être architecte, c’est être un peu voyeur, car c’est pénétrer dans l’intimité des gens », explique aujourd’hui Georges Maurios. Que dire alors du journaliste qui s’invite, deux décades plus tard, pour le café et une visite chez des inconnus ?*
Marie-Christine P. et Michel R. sont les propriétaires de la Maison du Passage. Ils reçoivent Chroniques dans un salon lumineux. Il ne faut pas être spécialiste pour comprendre l’astucieuse structure métallique conçue par un architecte sachant épeler espace servant et espace servi. Sur la table basse du salon, un livre : Le Corbusier, de Jean-Louis Cohen. « Je connaissais Corbu avant de connaître Georges Maurios », souligne l’hôte du lieu.
Bref un goût pour l’architecture qui convainc ce couple de la classe moyenne habitant un 2-pièces dans le XXe arrondissement d’acheter cette maison délabrée sur une petite parcelle Passage du Monténégro, pas loin de chez eux, et évidemment de faire appel à un architecte pour la rénover. Un projet de vie.
Une première phase est lancée avec un jeune architecte dont les plans de réhabilitations sont « hors de la réalité », raconte le couple. Un autre architecte prend finalement sur lui avec l’entreprise de démolir la maison, sans permis d’ailleurs, pour couler une dalle en béton. Surprise des propriétaires ! Et, pour eux, le début d’années de galère, le temps d’attendre la fin du procès pour apurer les comptes, le couple payant désormais un loyer et son emprunt. Entretemps, après consultation de plusieurs architectes, un permis de construire est enfin déposé ; il est refusé ! « Une situation difficile », se souviennent-ils.
Après une dernière rencontre au goût amer avec une autre agence, Jean-Michel R. en désespoir de cause se rend à la librairie du Moniteur et parmi « les maisons d’architecte à Paris » (Joël Cariou, plusieurs tomes, Editions Alternatives. Nde), en sélectionne trois, dont celle de Georges Maurios, son atelier plus précisément.
Allo ?
Entre 1980 et 2000, Georges Maurios construit beaucoup. Beaucoup ! Et travaille désormais en Grèce ! Il accepte certes de recevoir le couple car il a du savoir-vivre mais il sait à quel point un projet de maison individuelle peut se révéler encombrant, qu’il n’y a souvent que des ennuis à y trouver, surtout en l’occurrence en passant derrière des confrères négligents… D’autant que le budget, déjà amputé d’un tiers par les confrères précédents, n’a plus rien de mirobolant : un million de francs (soit environ 150 000 €), honoraires compris. L’architecte indique poliment aux maîtres d’ouvrage qu’au-delà de la gestion de son agence, il est également enseignant, à Lausanne notamment, et explique en toute logique n’avoir pas de temps à leur consacrer. Le couple repart avec ses espoirs douchés.
À peine ses interlocuteurs ont-ils tourné le dos que l’architecte se fait morigéner par sa compagne, architecte urbaniste de l’Etat. « Comment peux-tu refuser leur projet ? Pour un mec qui se dit de gauche, et le rôle social de l’architecte ? », lui dit-elle.
Le rôle social de l’architecte ? Georges Maurios y pense. Il a déjà construit des maisons – son premier projet, puis une autre à Rambouillet (en bois, déjà !) – et il sait que la réussite d’une maison dépend à 50% de l’architecte, à 50% du maître d’ouvrage. Cependant, piqué au vif, il accepte de voir le terrain. « Devant le désastre, puisqu’il est impossible de faire passer un camion de chantier Passage du Monténégro, je me dis « Il faut un mécano là-dedans » ! », se souvient-il.
Il prévient les clients que pour répondre au budget et aux difficultés du site, surtout sans grue, ce sera en métal et ce sera brut, qu’il n’y aura pas de faux-plafonds mais des prestations sans fioritures. Pour ces amateurs de musique, il s’engage cependant à faire attention à l’acoustique. Autant de promesses tenues. « C’était simple de parler avec lui, il comprenait ce qu’on disait et techniquement il savait de quoi il parlait », racontent les maîtres d’ouvrage.
Pour Georges Maurios il n’y a pas de mystère. Sans parler de son propre atelier, son second projet était une petite usine de tôlerie fine, en Dordogne, avec des fermes métalliques. « Je n’avais pas d’a priori de matériaux, j’ai d’ailleurs construit avec tous les matériaux au fil de ma carrière. Surtout, ici, le métal était léger par rapport au sol, ce qui permettait d’économiser sur les fondations », dit-il. Bonne idée puisque pendant les travaux fut découverte une cavité, un ancien branchement à l’égout, aujourd’hui transformée en cave à vins.
Il demeure que l’homme de l’art ne peut pas demander à ses collaborateurs de s’investir sur un tel projet, sauf à ce que l’agence subventionne le projet. « Si la maison n’a pas coûté cher, c’est parce qu’il ne fallait pas qu’elle me coûte cher à moi ! », remarque-t-il.
Il dessine tout seul à ses moments perdus, le soir, le dimanche, dans l’avion. Une trame de service contient l’escalier, la salle de bains, la cuisine et, de niveaux en demi-niveaux, laisse libre tout le reste, ce qui permet de tirer le volume en hauteur au maximum : 186 m² plus le garage plus le jardin d’hiver plus la terrasse. « Architecte est un métier où il faut être un peu téméraire, un peu boy-scout et planter sa tente même si c’est humide », se marre Georges Maurios.
Marie-Christine P. et Michel R. tiennent à ce que soit notée « l’extrême rapidité à laquelle tout s’est fait ». « Georges Maurios est venu avec un projet, pas trois, pas six. Après tout ce que nous avions vécu, c’était exceptionnel, la façade, les espaces, la lumière, on était sciés ! Du coup le métal n’a même pas été une discussion. Nous sommes encore sidérés, même la cuisine, très pratique et agréable, a été dessinée par lui. Il y a des placards partout ! Pour le bureau, nous avions évoqué de la respiration, de l’espace, de la lumière, c’est devenu pour nous un endroit exceptionnel », détaillent-ils au fil de la visite. Des visites architecturales dont ils ont pris l’habitude.
De fait, c’est l’un de ces visiteurs qui, impressionné, prend contact quelques années plus tard avec l’agence Georges Maurios. En résultera en 2005 un projet de 24 maisons sociales en métal à Saint-Nazaire**, les moments perdus de l’homme de l’art et l’expérience acquise auprès d’un seul maître d’ouvrage privé étant mis à profit au service d’un plus grand nombre. Un projet où le rôle social de l‘architecte a trouvé pleinement à s’exprimer à nouveau. Et quels meilleurs prescripteurs de l’architecture que des habitants heureux d’être chez eux ?
En 2022, Georges Maurios, qui fait toujours l’aller-retour entre la France et la Grèce, continue finalement d’en construire des maisons, ici où là. À ses heures perdues sans doute…
Au fait, et Lacaton & Vassal dans tout ça ? Disons qu’après le buzz créé par un article de Libération à propos de la maison Latapie, ils eurent leur chance sur la parcelle Passage du Monténégro et ont d’ailleurs laissé un souvenir impérissable. « Quand les espaces sont là, c’est facile à meubler et il suffit de les partitionner avec des rideaux », soutenaient-ils. Facile à dire.
C’était juste avant la visite du maître d’ouvrage à la librairie du Moniteur.
Christophe Leray
*Lire la chronique-photos Une maison passage du Monténégro dans l’objectif d’Olivier Wogensky
**Lire notre article ‘Less’ est déjà pas mal aux Pré Gras de St Nazaire