Peut-on imaginer « un effet Bilbao » à Sars-Poterie, bourgade du Nord de 1 500 âmes située à quelques bornes kilométriques de Maubeuge ? C’est du moins une des promesses sous-jacentes de la construction du MusVerre qui y ouvrira ses portes le 1er octobre 2016. Le bourg tranquille s’offre ainsi un bâtiment ultra-singulier rompant avec l’identité architecturale locale. Le 12 juillet dernier, à trois mois de l’ouverture, Raphaël Voinchet (W-Architectures), l’architecte du projet, guidait la visite du chantier.
Le MusVerre, c’est d’abord l’histoire d’un concours envié lancé en 2012 par le département du Nord. Le programme consistait à proposer un bâtiment visant la mise en valeur des collections de bousillés*, une partie administrative et des espaces de préservation et d’archivage des objets et documents. «C’est un programme classique de musée, sans ambiguïté», explique Raphaël Voinchet. Le projet a été salué à l’unanimité du jury au terme d’un concours international qui rassemblait notamment les agences néerlandaises MVRDV ou le belge Pierre Hebbelinck.
Des « digitations », des éléments reliés entre eux, contribue à la distribution générale dans la pente du site. L’entrée, en partie haute, se fait par un vaste hall, espace public par excellence, à partir duquel le visiteur se déplacera vers les espaces d’exposition. Seules les personnes habilitées auront accès aux éléments bas abritant les espaces administratifs et techniques.
Pour ne pas singer la collection, il fallait selon l’architecte «éviter l’écueil du bâtiment en verre». «Comment réagir face à la matière et face à la lumière tout en préservant la symbolique de ces œuvres qui devaient demeurer connectées aux bourg alentours ?».
Depuis le parvis, le système de récupération des eaux de pluie est parfaitement invisible. Cet élégant détail marque la volonté des concepteurs de proposer un «bâtiment qui se découpe finement dans le ciel». «La forme du projet aux angles abrupts évoque les cristaux de silice qui constituent le verre», explique Aude Cordonnier, la directrice du musée.
L’écrin du nouveau musée prend aussi le parti de s’insérer localement en utilisant la pierre bleue du Hainaut, extraite à une trentaine de kilomètres de Sars-Poterie. «Le matériau est noble et résistant. Elle change de couleur en fonction de la lumière. Plus elle est polie, plus elle devient noire», explique Raphaël Voinchet. Avec les ciels changeants du climat local, nul doute que la façade offrira au fil du temps des carnations des plus variées. «Cette pierre orne les maisons alentours et ancre le bâtiment dans son site et dans son histoire», ajoute-t-il.
«Construire en pierre reste jouissif et fantastique», se régale l’homme de l’art. «Cette pierre, utilisée en vêture et sur le sol du parvis, exige un travail spécifique que facilite le circuit court. Les pierres sont triées et choisies directement dans la carrière de Soignies où elles sont extraites. Si elles sont taillées grâce à des machines numériques, les compagnons-maçons qui les mettent en oeuvre perpétuent toujours une tradition de savoir-faire de qualité».
Au musée du verre, il est normal qu’une grande attention ait été portée au aux baies et aux ouvertures. Toujours dans cette volonté de livrer un bâtiment géométrique avec des arêtes vives, les baies, toutes de tailles différentes, sont installées au nu de la pierre. La plus haute mesure 5,70 mètres. Le résultat, aussi fin que surprenant, contribue à transformer les échelles du bâtiment. Bref, W-Architectures livre un musée à l’identité forte.
Pourtant, «s’il s’agit ici de raisonner à l’échelle du territoire, en complémentarité avec les autres communes de l’Avesnois, le musée est un bâtiment public qui doit s’inscrire dans un lieu», ajoute Michel Dutoit, architecte en charge du projet pour la maîtrise d’ouvrage. Le bâtiment a trouvé place dans le bourg, en retrait de la route départementale.
Le bocage avesnois comme la région des Hauts-de-France est un territoire fragile, économiquement délaissé et socialement déshérité. Le département mise sur le succès du musée afin de redynamiser le territoire. Un effet Bilbao à Sars-Poterie dans la veine d’un Louvre-Lens à 100 km de là ? L’ambition est de taille pour un village auquel l’accès reste difficile ! Qui plus est, malgré la qualité architecturale du bâtiment de W-Architectures et l’élégance de sa rigueur constructive, les noms de Sanaa ou de Gehry se suffisent en eux-mêmes pour déplacer les curieux.
En Avesnois, le bâtiment ne se fera pas spectacle au service de la mise en scène de la culture. Avec les 9 millions d’euros de travaux alloués au projet, ce n’était pas la demande. L’architecture reste cependant toujours un produit d’appel, au service des collections du musée d’une part, et du territoire, d’autre part. «Le bâtiment reste plus que les œuvres quand on va dans certains musées, ici ce n’est pas le souhait», rappelle Aude Cordonnier. Un ouvrage parfaitement contextuel donc ?
«Pour participer au désenclavement du territoire et conforter la dimension touristique de la région, le développement du musée sera porté au niveau international en profitant de la proximité avec la Belgique et de la large zone frontalière», ajoute Michel Dutoit. Certes ! Pour le moment, la RN2 s’arrête encore à 10km de là. Elle sera un jour terminée. La question demeure : comment faire venir les gens ici ? Une nouvelle offre de transports en commun, «en partenariat avec le réseau des musées départementaux», risque de n’y pas suffire.
Depuis la Révolution industrielle, le dynamisme des régions était proportionnel aux industries qui y prenaient place. C’est toujours un pari osé de penser que la culture et ses musées puissent reprendre le flambeau et Sars-Poterie n’est ni Bilbao, ni même Lens. Cela écrit, le MusVerre a le mérite d’exister et le bâtiment apparaît réussi à bien des égards. Alors pourquoi pas ?
Léa Muller
* Chefs d’oeuvre d’art populaire du XIXe siècle, les bousillés sont des pièces uniques réalisées par les ouvriers verriers durant leurs temps de pause.