L’éditorial de Christophe Leray dans Chroniques d’architecture sur l’ouverture du tableau, voulue par le CNOA, a suscité de vives réactions dont une réponse très argumentée de Julie Arnault qui permet de revenir sur les questions que soulève cette proposition du CNOA, au nom de « la diversité des métiers de l’architecture », sur laquelle Défense profession Architecte (DpA) s’est prononcé dans sa dernière publication (juillet 2022). Tribune.
La proposition du CNOA constitue une réforme qui est loin d’être anodine. Elle s’inscrit dans les propos de sa présidente, Christine Leconte, qui prédisait dans une récente chronique du Monde que l’on « construirait moins et que nous allions connaître une évolution de nos métiers ».
Trois questions que soulève la proposition du CNOA :
1/ Une formation et une qualification pour quel métier ?
2/ Où et comment se former à l’acte de bâtir ?
3/ Pourquoi ouvrir le tableau ?
1/ Une formation et une qualification pour quel métier ?
Personne ne peut nier qu’une bonne formation assurant une réelle qualification peut être acquise par l’école, par la pratique, ou les deux à la fois, qu’elle soit validée par un diplôme, un certificat ou une reconnaissance par la notoriété, cela dépend des domaines où elle s’exerce. Les professions réglementées sont soumises à une réglementation particulière comme la médecine, la justice ou l’architecture, d’autres ne nécessitent aucune autorisation si ce n’est un label ou un certificat professionnel.
Être qualifié pour l’art de bâtir, pour la construction de bâtiments, pour la connaissance des matériaux et de leur mise en œuvre, de la conception du projet à sa réalisation, suppose une qualification spécifique différente de l’exercice des divers métiers de la ville et de l’aménagement, tous respectables, qu’il s’agisse de programmistes, d’aménageurs en SEM ou en collectivité publique, relevant autant de la maîtrise d’ouvrage que de la maîtrise d’œuvre urbaine.
Le respect des qualifications de chacun suppose d’éviter le piège de la flexibilité dans la diversité.
La profession d’architecte, qui demeure une profession réglementée, en dépit des altérations portées à son statut, ne peut se dissoudre dans la diversité des métiers dits improprement de l’architecture alors qu’il s’agit des métiers de la ville, de l’environnement et de l’aménagement.
De ce point de vue, la qualification à l’art de bâtir ne peut pas se confondre avec la qualification aux métiers de la ville. La question qui reste posée est : où et comment acquiert-on la qualification à l’art de bâtir ?
Les prestigieux architectes pris en exemple, qui ne sont ni diplômés ni inscrits à l’ordre comme Viollet-le-Duc, Le Corbusier ou Patrick Bouchain, ont démontré que « l’art de bâtir n’est pas affaire de diplômes ou de titres mais sinon de « chantier lieu de rassemblement des arts ». Mais, alors que tous sont des constructeurs-bâtisseurs pourquoi en tirer comme conclusion qu’« être architecte c’est bien plus large que protéger celui qui sait faire un plan et suivre un chantier » ?
Certes ces illustres confrères n’ont pas fait que bâtir. Ils ont influencé plusieurs générations d’architectes par leurs écrits, leurs recherches et leurs réflexions, mais, par leur pratique et leur talent, ils étaient tous formés à l’art de bâtir.
Formé sur le terrain ou formé par les écoles, la question est bien de savoir si un « vrai » architecte doit être qualifié, compétant, pour construire et innover dans l’art de bâtir ou se limiter à un titre universitaire de master 2 le destinant à « d’autres métiers de l’architecture ».
2/ Où et comment se former à l’acte de bâtir ?
Depuis la réforme de l’enseignement de l’architecture, les écoles délivrent un diplôme universitaire de niveau master 2 obtenu à l’issue de cinq années d’études qui ne permet pas d’exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre.
Si l’enseignement délivré par les écoles d’architecture n’est pas suffisant pour acquérir la qualification d’architecte constructeur, où faut-il aller pour l’obtenir ?
Est-ce que les six mois de mise en situation de la HMONP ont pour but d’acquérir cette formation ? Pas plus, puisqu’il s’agit de mieux connaître le fonctionnement d’une agence, la tenue de la comptabilité, ou les diverses réglementations.
Donc, la vraie question est de savoir où peut s’acquérir cette formation et cette qualification spécifique à l’art de bâtir ailleurs que dans les écoles, en dehors de la validation des acquis après trois ans d’exercice.
Les diplômés des écoles d’architecture estiment, à juste titre, qu’ils sont ni plus ni moins qualifiés à l’art de bâtir que les titulaires de HMONP qui l’ont obtenu après avoir passé six mois à faire le plus souvent de la saisie informatique dans une agence.
Une inscription à l’ordre n’y changera rien puisque « la possibilité de réaliser une œuvre est conditionnée par la HMONP »
La question est bien celle de la formation et de la qualification et pas celle de l’inscription à l’Ordre. L’ouverture du tableau n’est en rien une réponse.
Aurait-elle un autre but ?
3 /Pourquoi ouvrir le tableau ?
Pourquoi si ce n’est pour affaiblir une profession réglementée dont le pouvoir exclusif de signer les permis de construire serait jugé exorbitant ?
Rien n’a jamais empêché un architecte DPLG inscrit à l’Ordre ou pas d’exercer dans un bureau d’études, une SEM, ou une collectivité. Pourquoi avoir alors introduit cette distinction artificielle entre les bâtisseurs et les autres que Christophe Leray a baptisé « vrais architectes et nouveaux architectes » ?
S’il ne s’agit pas de permettre aux diplômés d’Etat de pouvoir construire mais « de se compter, pour faire du lobbying et faire nombre pour influencer des décisions politiques » est-il besoin de cette usine à gaz pour compter les diplômés sortis des écoles ? Un club des anciens diplômés y suffirait largement !
Par contre, l’ouverture du tableau aux métiers de l’architecture va très vite et très logiquement poser un autre problème. Faudra-t-il la réserver aux seuls architectes sortis des écoles et pourquoi ne pas l’ouvrir aux métiers de la ville et donc à des non-architectes tels que les paysagistes, les urbanistes, ou les titulaires de masters universitaires d’aménagement, d’environnement ou d’économie territoriale tout autant qualifiés que les masters en architecture ? L’Ordre des architectes deviendra-t-il un « club des métiers de la ville » où l’architecte constructeur finira par se fondre dans la diversité des métiers et où la formation spécifique à l’art de bâtir de plus en plus déconsidérée sera définitivement banalisée ?
Pourquoi, si ce n’est pour satisfaire une directive européenne, dite LMD, qui a imposé une réforme des études supérieures qui devait aligner le diplôme d’architecte sur les diplômes universitaires ?
A l’heure où les directives européennes sont revisitées dans plusieurs domaines, il vaudrait mieux s’interroger sur les raisons qui ont conduit à cette réforme inadaptée et source de déqualification plutôt qu’à rechercher une ouverture du tableau censée réunir les vrais architectes et les autres.
Quel que soit l’exercice du métier, la délivrance par les écoles d’un diplôme d’architecte, plein et entier, qualifiant à l’art de bâtir comme à l’aménagement de l’espace, bâti ou non, doit rester la meilleure réponse au renforcement de la profession que le CNOA prétend défendre.
Emilie Bartolo
Présidente de DpA