Si la résilience consiste à revenir à un état d’équilibre immuable de la société, nous sommes loin d’une logique de développement durable. Chronique de l’intensité.
Dans nos sociétés troublées par les crises multiples, chacun cherche des points d’appui, des repères stables qui lui permettent de s’y retrouver et de conserver son statut. Il est question de résilience.
Un mot à la mode, qui sonne bien dans les salons et les tables rondes.
Les grands débats qui s’amorcent, sur les « transitions », écologiques et énergétiques, sur les mille façons de surmonter la crise économique, font tous état de cette fameuse résilience. Voilà un mot qui capte l’attention des experts, et qui fait fuir tous les autres qui n’en comprennent même pas le sens. C’est comme paradigme, un mot bien intéressant pourtant mais dont l’usage, si ce n’est la compréhension, est réservé à quelques ‘happy few’.
Sans revenir sur les malentendus autour de la précaution, il est clair que les mots employés ne sont pas neutres ; ils sélectionnent les acteurs sans qu’il soit besoin de faire un tri. Le travail se fait tout seul et il permet de rester entre soi, entre gens sérieux.
Le problème est que les solutions à nos problèmes ne peuvent être trouvées avec les seuls « experts ». Les raisons en sont multiples.
D’une part, les experts oublient vite la finalité des choses. L’expert en transports sera très fort sur l’organisation des transports, les progrès à espérer avec l’introduction de nouvelles techniques mais son expertise bute contre l’essentiel : la mobilité, pour quoi faire ? Nous changeons de monde, nous passons alors d’un domaine technique à un domaine social, voire sociétal, économique, politique.
Or les gains qui nous permettront de vivre mieux en consommant moins de ressources résident souvent dans le « pourquoi », au moins autant que dans le « comment ». La qualité de l’habitat, au centre de plans qui mobilisent beaucoup d’énergie, est autant appréciée par les habitants que par les experts, qui ne portent cependant pas le même regard. En quoi un logement est-il considéré comme de qualité ? Les modes de vie sont « résilients », nous sommes marqués par le village ou d’autres modèles dont nous avons hérités et qui dictent nos envies et nos comportements.
Les solutions recherchées sont dans le dialogue. Il permet de revenir aux vrais besoins, il ouvre le débat sur les différentes manières de les satisfaire. Le spécialiste connaît tout de sa spécialité et tente tout naturellement de placer sa compétence, c’est sa forme de résilience – nul ne peut lui en vouloir pour cela – mais il peut ainsi détourner l’attention du cœur du sujet.
Les solutions s’inscrivent par ailleurs dans la durée. Un logement ne se juge pas par ses qualités à la livraison mais par son bilan une fois occupé, bilan qui doit bien sûr intégrer la satisfaction des occupants, et pas seulement quelques performances techniques, si importantes soient-elles.
La manière dont les qualités d’origine du logement, soigneusement imaginées et mises en œuvre par les concepteurs et les entreprises, sont valorisées au cours des années de vie, « de service » en somme, ne peut être optimisée sans la participation des habitants. Il y a un passage de relais à concevoir, il ne peut l’être sans les usagers, parfois appelés « maîtres d’usage ». Ces derniers, ce sont souvent vous et moi, simples citoyens qui demandent à être logés et à jouir du confort d’un chez soi, sans pour cela devenir un technicien ni un ascète, encore moins un militant.
Le terme de « bâtiment durable » n’a de sens que comme résultat d’une contraction. Ce n’est pas le bâtiment qui est durable mais le mode de vie de ses occupants. A ce titre, sa conception peut être un atout ou, au contraire, un handicap. Le cas est différent pour les locaux professionnels et les équipements publics, où les usagers sont d’autres professionnels, avec leurs experts à eux.
La capacité de résistance et d’adaptation, cette fameuse résilience, se trouve souvent dans la diversité. Pas tous les œufs dans le même panier. Il est dangereux de s’en remettre aux experts, même les meilleurs, d’un seul domaine. Il va falloir croiser des spécialités, travailler avec d’autres « sachants », et ainsi partager le savoir.
Il y a une dizaine d’années, un rapport de l’Académie des technologies sur « le véhicule du futur »* mettait en évidence un nouveau concept : le « système voiture », au lieu de la voiture tout court. C’est là que serait l’avenir, intégrateur de nombreuses compétences, de la conception des moteurs à la gestion de files d’attente pour la mise à disposition des véhicules, à la demande.
L’Académie préconisait de « nouveaux écosystèmes de service ». La diversité des savoirs s’impose.
Si la résilience consiste à revenir à un état d’équilibre immuable de la société, nous sommes loin d’une logique de développement durable. Les sociétés évoluent, elles s’adaptent, elles sont attirées par de nouveaux produits, même si ce sont parfois des miroirs aux alouettes. La résilience « durable » concerne l’être humain, son intégrité physique et mentale, sa capacité à vivre en société, l’intensité de sa vie, à se sentir solidaire de ses semblables. Etre bien dans sa peau.
Dominique Bidou
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* Le véhicule du futur, rapport de l’Académie des technologies, 14 septembre 2012