Une homélie du père François, sous l’ovation du stade vélodrome de Marseille, et voilà le ban et l’arrière-ban de la droite jusqu’à l’extrême qui avale ses hosties de travers. Par quel miracle ? Et le rapport avec la construction et les architectes ? Voyons.
Je ne sais pas pour vous mais moi j’ai bien rigolé ce 23 septembre 2023 avec la venue du père François à Marseille (Bouches-du-Rhône), déclarant dans un stade Vélodrome en fusion, dans la cité PHOCÉENNE, une homélie en hommage aux migrants et dénonçant le « tragique rejet de la vie humaine, qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent ». Rien de drôle ici, au contraire, le message est d’une grande gravité. Non, ce qui est impayable est de voir la droite et l’extrême droite françaises habituellement confites en religion – les racines chrétiennes du pays et blablabla – s’étouffer d’indignation devant cette homélie charitable. Et voilà ce « pape », Leader Maximo chez ces gens-là mais désormais « argentin », vilipendé par les hérault de la tradition multiséculaire du sabre et du goupillon de souche. Un schisme peut-être entre Rome et sa vieille fille aînée qui sent la poussière et les pastilles Vichy ?
En tout cas, le père François a intérêt à bien se tenir tant l’immigration, vaste sujet multiséculaire français, est devenu aujourd’hui en ce pays un casus belli pour la droite, prête en l’occurrence à renverser Vulcain ex-Jupiter de son olympe. Entre zéro immigration et immigration contrôlée pour les métiers en tension, quelle affaire ! Et le père François, petit-fils d’émigrant en Argentine, de mettre ses mules dans la bouillabaisse devant un public bigarré car, convenons-en, le Vélodrome, ce n’est pas le stade de la Licorne.
Maintenant voyons les apôtres français du zéro immigration, souvent d’ailleurs aux noms aux accents chantants et aux prénoms pittoresques bien de chez nous. Prenons un Français moyen, dans tous les sens du terme, appelons-le… Erik Z. par exemple. Français de souche depuis deux générations – une gageure dans le seul pays au monde qui porte le nom de ses envahisseurs ! –, trimant dans un métier qui ne le satisfait pas suffisamment, il a le droit d’espérer pour ses enfants une éducation républicaine et un sort meilleur que le sien. Erik Z. ne va certainement pas élever ses rejetons en leur disant « tu seras éboueur mon fils » ou « ma fille, tu torcheras le derrière des vieilles dames ». Non, ce n’est pas comme cela qu’il imagine l’avenir de sa famille Erik Z. et il a bien raison, c’est son droit.
Or ce droit le plus strict est également celui de chaque Français, surtout celui de ceux qui en bavent pour justement offrir un meilleur futur à leur descendance. Alors qui pour ramasser les ordures d’Erik Z. ? Qui pour torcher le derrière de sa vieille mère ? Les Bretonnes, c’est fini. Les Ch’tis, ils ont Internet. Alors qui, quand il n’y a même plus assez de Roumains ? Des machines à l’intelligence artificielle pour déterminer où est le cœur ?
Ce qui nous ramène à la construction et donc à l’architecture. Pendant que Vulcain ex-Jupiter tergiverse, comme d’habitude en même temps, le domaine du bâtiment est quasiment sinistré. Il n’y a jamais eu aussi peu de logements construits, les promoteurs pleurent les prix en baisse, les entreprises de gros œuvre menacent de vastes délestages tandis que celles de second-œuvre – l’avenir est à la réhab – en sont réduites à refuser des marchés faute de main d’œuvre, qualifiée ou non, laquelle souvent ne peut répondre à leurs offres d’emploi… faute de logement. Quand le bâtiment ne va pas…
Ce qui, ironie de l’histoire du genre « retour du refoulé », affecte également les agences d’architecture de souche parisienne. Non qu’elles manquent de travail – peut-être n’a-t-on jamais eu autant besoin des architectes – mais Il est devenu tellement compliqué de loger les étudiants et jeunes professionnels brillants que ceux-ci préfèrent désormais envisager des conditions de vie moins spartiates et meilleures marché. De Nantes à Lille et Montpellier, Marseille, Lyon, Grenoble, etc., Il n’est plus besoin « de monter à Paris » pour faire carrière d’architecte et les jeunes Françaises et Français d’aujourd’hui, comme on dit, ont légitimement et naturellement d’autres aspirations que celles de leurs aînés.
Le paradoxe est donc que des agences prometteuses, pour plein de raisons, se verraient bien pour pallier la pénurie travailler avec de jeunes architectes du monde entier – les échanges culturels bien compris, tout ça – mais c’est alors l’assurance de sombrer dans un nouvel enfer administratif qui d’évidence ne va pas aller en s’améliorant malgré les sermons désespérés du père François. Le visa de l’architecte Burkinabè Diébédo Francis Kéré, il est révocable à tout moment ? Qu’en pense l’académie ?
Dit autrement, ce ne sont pas des métiers qui sont en tension, c’est le pays entier qui est en tension quand il devient aussi compliqué de trouver du monde pour ramasser les ordures et torcher le derrière des vieux abandonnés dans leurs EHPAD livrés au privé, que de recruter des employés de souche pourtant formés dans les métiers en tension de l’architecture et de l’ingénierie. Sans parler de l’hôpital, de l’éducation nationale, de la police, etc. « Quand tu seras grande, tu seras gardienne de prison ma fille ! » ou « quand tu seras grand, tu nettoieras les toilettes d’un hôpital mon fils ! ».
Le problème est que le malheureux migrant, après avoir traversé la Méditerranée à la nage, ou la Manche s’il parle anglais, une fois arrivé sain et sauf (et encore) ne veut plus repartir, jamais, et préfère vivre traqué ici au prix de la misère que mort là-bas, au risque en tout cas de ne plus pouvoir revenir. Le même, accueilli avec dignité, sinon à bras ouverts, puisqu’il est question de construction, s’il sait pouvoir travailler sur les chantiers, oh sans gagner beaucoup mais suffisamment pour vivre dignement et payer le loyer, va au fil du temps apprendre la langue, son métier, les mœurs du pays, monter en grade dans l’entreprise et il est vingt ans plus tard chef de chantier sur une école à Triffouillis-les-Deux-Oies et discute d’Albert Camus avec ses enfants.
Tout ce temps, tant qu’il paye ses impôts et taxes et respecte la loi républicaine, il est libre d’aller et venir, ici et là-bas, no stress pour personne. En vingt ans, soit il est arrivé au bout de son voyage et sans doute que ses enfants bien élevés seront médecin, journaliste, avocat, champion olympique – qui a envie de bosser sur les chantiers toute sa vie ? – soit il repart au pays, exportant avec lui une langue, un savoir-faire, des valeurs, sources bientôt d’échanges fructueux entre les deux pays. À condition évidemment que son pays existe encore ou ne soit pas déjà carbonisé sans rémission sous le soleil exactement. Celui-là certes n’encouragera pas ses enfants à devenir maçon mais certains le seront quand même, par vocation, certains deviendront même architectes. De fait, les migrants fainéants sont rares, surtout ceux qui arrivent à la nage, pas comme chez quelques insouciants Français de souche.
Bref, pour tous ces cathos manchots – comme les bandits, ils n’ont que le bras droit – qui nous font habituellement la morale, prêchent les bonnes mœurs et agitent des menaces obscurantistes à tout-va, le père François, leur père à tous en ligne directe avec le Très grand et qui sait donc de quoi il parle, a la solution : accueillir la misère du monde. Un œcuménisme de bon aloi puisque le Vatican est déjà plein d’immigrants suisses.
En clair, sauf à vouloir prédestiner sa progéniture, voire son engeance, à un labeur cruel et déplaisant ou quitte, dans un esprit tellement multiséculaire qu’il en est médiéval, à réinventer la corvée pour les pauvres, il est vain de se lamenter comme Erik Z. : « où sont donc passés nos éboueurs d’excellence, nos boueux de souche d’antan ? ».
En attendant, tandis que s’accumulent les ordures, ce dont témoigne des relents nauséabonds, il faudrait pour ces gens si pieux, en sortant de l’église, voir à ne pas souiller les mules immaculées du père François.
Christophe Leray