Selon une étude ayant interrogé 225 architectes en 2021, 96,9 % d’entre eux ont déclaré avoir déjà expérimenté un burn-out. 96,9 % ! Cela fait quand même beaucoup. Journal d’une jeune architecte.
Je ne sais pas si j’ai des lecteurs assidus qui s’en seront rendu compte, mais le journal d’un jeune architecte est en retard d’une semaine ce mois-ci ! Pourquoi ?
Assez simplement ce fût une de ces semaines que beaucoup d’entre vous doivent connaître, des déplacements, des livrables, des salariés malades, des appels toutes les minutes, somme toute une bonne petite surcharge de travail qui m’a poussée à vous repousser. Finalement c’est bien l’intensité de ces moments passés qui m’ont mis sur la piste de la chronique de cette semaine : depuis quand je n’avais pas pris de réelle pause ou du temps pour moi et quel impact sur mon travail ?
Passionnés et investis, je connais bon nombre d’architectes qui ne comptent pas leurs heures. Cependant, nos corps et nos esprits les comptent-il à notre place, au risque de nous le faire payer un jour ?
J’ai repensé à un article croisé sur le site Monograph il y a quelques semaines. Je l’avais lu en diagonale car il traitait du burn-out en architecture et je me souvenais d’un chiffre marquant que je suis retourné vérifier : l’étude a interrogé 225 architectes en 2021, 96,9 % d’entre eux ont déclaré avoir déjà expérimenté un burn-out. 96,9 % ! Cela fait quand même beaucoup… Des bémols sont à apporter dans ces chiffres car nous ne connaissons pas le contexte exact de ces recherches. Pur autant, est-ce si étonnant que les architectes soient en proie à de la fatigue psychique récurrente ?
Avez-vous déjà ressenti un épuisement profond physique et mental au travail ? Cela ne vous a-t-il pas apporté encore plus de stress et d’anxiété, avec l’impression que vous n’arriveriez jamais à respecter vos livrables ? Les symptômes peuvent aller beaucoup plus loin et c’est personnellement ce que j’avais en tête en entendant « burn-out » : trouble du sommeil, migraines, problème de peau, graves dépressions, etc.
J’apprends cependant que cela peut être beaucoup plus insidieux. Nous avons tous des moments de fatigue passagère mais qu’en est-il quand cet état perdure et qu’il se transforme en anxiété au travail ? L’architecture est-elle un milieu où l’on est plus en proie qu’ailleurs à ce type d’anxiété ?
Créativité induite
Je me pose la question et j’en parle autour de moi : qu’est ce qui nous cause du stress à nous architectes, au-delà d’un difficile monde du travail somme toute « classique » ?
Une première piste abordée est notre métier créatif, comme beaucoup d’autres (designer, peintre, écrivains, etc.), être architecte nous pousse à devoir trouver et montrer une production qui est la nôtre. Nous devons nous engager dans les choix effectués et cela peut amener à de nombreuses questions : ai-je trouvé LA bonne idée ? Le client va-t-il apprécier ? Est-ce assez accessible ? Aurais-je pu encore affiner mon travail ?
Une amie architecte me parle du cercle vicieux du stress qu’elle avait ressenti un jour où elle devait produire une phase APS sur une durée très courte. Les enjeux étaient faibles mais elle, souvent prolifique à cette étape, s’est retrouvée tétanisée de devoir trouver vite une idée. Le stress de « devoir faire » bloque souvent la créativité et la capacité de production. Architectes aussi nous pouvons souffrir du syndrome de la page blanche !
Une profession de responsabilité
Je l’ai déjà abordé lors de précédentes chroniques mais être architecte est un titre qui engage nombre de responsabilités. L’on devient sachant au moment même où l’on devient architecte, nous avons pour devoir de savoir, de conseiller de façon avisée, de prendre les bonnes décisions.
Mais sommes-nous toujours en capacité de prendre LA bonne décision ? Celle-ci est-elle systématiquement évidente ? Aujourd’hui de nombreux outils existent pour que nous ne soyons justement pas seuls face à des choix à grands risques. Malgré cela, il arrive souvent que nous soyons les principaux porteurs de la responsabilité juridique tandis que la responsabilité de l’ouvrage nous incombe également aux yeux de l’opinion publique.
Quel jeune architecte n’a pas reçu un petit coup de stress après une présentation de l’ordre ou de la MAF sur la responsabilité ? Alors, sachant que la meilleure façon de bien se protéger face à de mauvais choix est d’être bien organisée, de savoir s’entourer et de prendre son temps, un environnement stressant, le manque de sommeil et la surcharge de travail peuvent s’avérer être de bien mauvais conseillers.
Des objectifs impossibles à atteindre
Être architecte pour beaucoup, c’est déjà être exigeant avec soi-même et sa production. Que se passe-t-il lorsque cette exigence requiert du temps ? Avons-nous le temps nécessaire ?
Le temps passé sur un projet peut être rentabilisé avec des méthodologies de travail dont chaque agence regorge, mais il est surtout lié à trois facteurs : l’effectif, le nombre de projets et nos honoraires. Non, pardon, je pense que je pourrais peut-être résumer tout ça à nos honoraires finalement car si les honoraires sont bas sur des projets, il en faut un plus grand nombre sans pour autant augmenter son effectif. Un calcul des plus basiques pour comprendre que le temps, on finit par en manquer…
Ajoutons à cela des objectifs nombreux et difficiles à atteindre : il faut construire plus vite, moins chers, plus écologique, etc. Comment répondre à tout cela ? D’autant que pour les architectes qui dirigent une agence, l’équilibre est complexe car ils portent la responsabilité totale de leurs choix et de leurs productions et ils ne peuvent pas toujours laisser leurs problématiques de travail à l’agence et rapportent chez eux une part de leur charge mentale.
Je pense que pour mieux travailler il faut peut-être choisir ses batailles. Pour notre santé mentale, il faut peut-être s’engager et devenir des architectes qui refusent le temps court des projets, être des architectes qui refusent les missions ne valorisant pas suffisamment notre position. Rien que d’y penser, c’est déjà du stress…
En finissant cet article, il m’apparaît un peu naïf et j’ai le sentiment d’avoir mis les pieds dans une thématique que je connaissais mal. J’ai cependant réalisé deux choses en l’écrivant. J’ai d’abord hésité à l’écrire car je ne voulais pas qu’il y ait d’amalgame et que mes pairs puissent penser que j’étais moi-même en situation de fatigue psychique et physique. J’ai eu honte de penser ainsi à me dédouaner et, maintenant qu’il est écrit, je m’aperçois qu’il n’y a aucune honte à avoir.
Deuxièmement, cela m’a donné l’envie de renouveler le dialogue avec mon équipe, de réfléchir ensemble à tout ça : plus ou moins de télétravail, des emplois du temps mieux adaptés, des sorties d’agences plus régulières, des séances de psychologies payées par l’agence… Bref m’engager pour que le bien-être et l’humain restent évidemment toujours la priorité !
D’ailleurs, nous connaissons la satisfaction de « faire exister », nous sortons de nos bureaux pour aller sur les chantiers, nous avons un métier d’intérêt public… Quelle chance avons-nous d’être architecte, non ?!
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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Article Monograph https://monograph.com/blog/state-of-burnout-in-architecture-2021