Avec la China Executive Leadership Academy de Pudong (CELAP – Shanghai, Chine) Anthony Béchu a su proposer, sur un site de 42 hectares et avec un programme comprenant pas moins de quinze bâtiments, un concept horizontal «d’architecture-fusion» rendant hommage aux cultures française et chinoise. Une réalisation monumentale et subtile.
Anthony Béchu l’assure, «son objectif est de relier les histoires tout en mettant en oeuvre des méthodes de projets et des stratégies qui répondent aux problématiques contemporaines». Parvenir à mettre Versailles et Shanghai dans une même phrase est de fait une proposition inattendue. Mais l’architecte français est parvenu à relier ces deux histoires avec la réalisation, livrée en été 2005, de la China Executive Leadership Academy Pudong (CELAP), l’université qui forme les cadres de la Haute Administration Chinoise (équivalent de l’ENA) et les élites économiques chinoises (équivalent de l’INSEAD). C’est également un lieu où les grands chefs d’entreprises chinois se retrouveront en séminaire pour communiquer leur stratégie politique, interne et commerciale sur le monde avec les ministres et vice-ministres en formation.
«Le choix de l’implantation à Pudong, sur l’autre rive du Huangpu à Shanghai, nouvelle capitale économique du XXIe siècle, est le lieu idéal pour exprimer avec la China Exécutive Leadership Académie Pudong la modernité chinoise de demain,» explique l’architecte. Ce choix a été fait par le Bureau de développement et de planification de la nouvelle zone de Pudong, un long titre qui signifie que rien n’est laissé au hasard et que c’est la municipalité qui tire toutes les ficelles.
Justement donc, avant d’entrer dans les détails du projet, un peu d’histoire est nécessaire pour comprendre comment Anthony Béchu s’est retrouvé dans cette aventure. Jeune architecte aimant voyager, il avait découvert la Chine une première fois en 1983 et, plus largement, tissé des liens dans toute l’Asie au fil de nombreux séjours. L’organisation des Jeux Olympiques de Pékin constitue pour lui l’occasion de tenter d’y construire. En juillet 2002, sa réponse au concours pour le Centre des Cultures et des Sports de Wukesong (abritant les compétitions de hand, basket, base et soft-ball) se classe sixième (sur 150) mais, surtout, retient l’attention de la mairie de Pékin qui ajoute in extremis son agence à la sélection pour la consultation du parc de Chaoyang (280ha). Son projet est lauréat (ex aequo avec un coréen) mais reste sans suite.
A Pékin, Anthony Béchu retrouve Jacques Jobard, un ami de très longue date rencontré à Vientiane (Laos) mais travaillant en Chine depuis vingt ans (ce marin d’origine est désormais vice-président de Phoenix Design, filiale architecture intérieure du plus important institut pékinois) qui le met en relation avec la mairie de Shanghai à qui il rend un service «urgent». En vertu de quoi – et du projet de parc de Chaoyang – le voila invité (parmi 17 grandes agences internationales, dont Foster&Partners, Cox Gaessler, etc.) à concourir au projet de ce qui était encore un projet de Business School à Pudong.
Il a l’intuition de s’associer avec l’architecte franco-américain Tom Sheehan, enseignant comme lui à Fontainebleau, qui a lui passé plusieurs années, en tant que lycéen, à Hong Kong et connaît également très bien la Chine. Le 28 janvier 2003, l’architecte parisien est le seul européen à se déplacer, avec Jacques Jobart, pour découvrir le terrain. Le soir même, il dîne avec le maire de Shanghai, celui de Pudong et les principaux responsables du projet. «On a pu parler du programme», dit-il. Euphémisme. Le 15 février il rend son esquisse. Leur connaissance de l’Asie, de ses codes et de ses symboles fait merveille.
Surtout, Anthony Béchu n’a pas cédé à la tentation de la hauteur, s’appuyant au contraire sur un projet horizontal, linéaire : la table de peintre. «Pour répondre aux critères et objectifs, notre concept a intégré quelques racines importantes de la culture chinoise et les a réinterprétées dans une modernité maîtrisée. La table de peintre a été l’objet sur lequel a été transmis tout le savoir de la Chine ; concrètement, sur la table, le peintre a transmis à l’élève la calligraphie et la peinture, c’est-à-dire l’esthétique, l’écriture. En métaphore, la table de peintre devient l’Université et nous glissons les bâtiments en dessous, le peintre devient professeur. Ce projet est aussi une ligne rouge, suivant la pensée de Confucius, qui vient s’inscrire dans le paysage à l’image de l’aspect linéaire de l’apprentissage de la connaissance,» explique-t-il.
Ainsi la tour de 17 étages représente-elle le gobelet à pinceaux tandis que les équipements sportifs, symboles de l’effort, sont en tout bout de ligne. Qui plus est, la modernité que cet ENA à la chinoise doit apporter à l’Etat est aussi présente dans le traitement de cette table de peintre qui évoque les mobiles de Calder (dont un se trouve également à Chicago, la comparaison – du fait de l’auteur, pas de l’architecte – ici entre Chicago et Pudong étant pertinente en de nombreux aspects) ; modernité certes mais digérée et, à l’aune de risques maîtrisés, sans danger induit par un quelconque effet de mode, les officiels chinois ne craignant rien plus que l’incertitude.
«Cette ligne densifie les constructions sur un axe et libère une grande partie du terrain en parc naturel ce qui permet aux logements de s’insérer dans la nature et au bord de l’eau,» explique l’architecte. C’est justement sur ce terrain dégagé que la composition globale de l’architecte trouve toute sa cohérence. Car loin de s’en tenir à la seule symbolique chinoise qui, quand elle est pertinente, a le don de flatter ses interlocuteurs, Anthony Béchu a osé, au titre même de la modernité, proposer un jardin dit ‘à la française’ composé notamment d’un grand bassin en miroir. Ce jardin permet non seulement de cacher le parking et les voitures mais offre, dans la plus pure tradition de Versailles, «le grand paysage dans le petit paysage» et ainsi, selon lui, permet d’imposer une composition urbaine d’esprit français qui se superpose à la dialectique chinoise. D’autant plus que ce jardin est «planté» d’éléments propres à suggérer les éléments traditionnels de cette dialectique (le feu, l’eau, etc.). Tous les sens y sont donc invités à réagir. Dans le parc situé entre l’école et les logements, Anthony Béchu a redistribué les canaux, construit les ponts avec le souci, à chaque fois, de respecter l’écriture fondamentale du jardin chinois mais sans chercher le pastiche.
«Cette université possède les moyens de communication ouverts sur le monde les plus performants, elle est une ligne rouge dans le paysage affirmant son échelle humaine dans la ville, » dit-il. «Le projet du CELAP est un projet amusant, passionnant et qui nous permet d’expérimenter un nouveau concept de campus inspiré des modèles occidentaux revu avec la culture chinoise, c’est une architecture-fusion,» conclut-il.* Fusion convaincante entre les cultures chinoises et françaises, à l’échelle de l’homme dans une ville démesurée.
Christophe Leray
*Citation extraite de l’interview accordée à edicas.fr (30 décembre 2006) ; propos recueillis par Elsa Fayner.
La CELAP : 200 professeurs ; 1.200 élèves dont 100 chefs d’entreprises, 200 ministres et vice-ministres, 600 étudiants (ENA), 200 étrangers, 100 auditeurs
Le programme : 42 hectares ; 110.000 m² SHON ; 800 logements ; une piscine & un stade de basket ; 27 000 arbres plantés.
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 24 janvier 2007