Pourquoi des architectes se lancent-ils dans des projets d’habitat participatif alors même qu’ils savent avant de commencer que ce sera compliqué, long, gourmand en temps et peu rentable ? La concertation est le mot à la mode. Alors, l’habitat participatif, exercice de communication ? Vraie solution ? Retour d’expérience d’architectes engagés.
Les élus, non sans arrière-pensées parfois, furent les premiers à claironner leur volonté de faire participer davantage les habitants à la transformation et l’édification de la ville. «On ne peut plus faire la ville sans les habitants» est désormais leur antienne. Dans les grandes villes pourtant, la démonstration reste à faire, les habitants idéologues s’invitant d’eux-mêmes dans la discussion au fil de recours plus ou moins pertinents. Malgré l’imprécision des programmes et au vu des promesses de lendemains qui chantent, les promoteurs, à leur tour, pour emporter les marchés, ont adapté leurs éléments de langages et proposent, certes encore avec parcimonie, des projets de logement intermédiaires, voire, désormais, de logement participatif.
Au-delà des impératifs de communication des uns et des autres, le constat demeure que face au poids des normes, des réglementations, des budgets serrés et de taux d’honoraires de plus en plus bas, la laisse des architectes est de plus en plus courte et la production de logements de plus en plus normalisée, qu’il s’agisse de ceux des promoteurs ou de logement social. C’est justement cette uniformisation qui suscite chez quelques élus et architectes la volonté de tenter de nouvelles façons de procéder. Angélique Chedemois et Yves-Marie Maurer sont de ceux-là.
«Le participatif n’est pas un effet de mode, c’est un besoin naissant car la production de logements actuelle ne répond pas aux objectifs sociaux et environnementaux auxquels aspire une partie de la population, c’est la volonté d’expérimenter un nouveau mode de vivre-ensemble en commençant par faire-ensemble», explique la première, jeune architecte à Paris. «L’habitat participatif apporte de l’eau au moulin des architectes car il permet, pour le logement, de réfléchir de manière un peu plus subtile», souligne pour sa part le second, architecte à Rennes, associé avec son fils depuis 2011.
Alors, l’habitat participatif, pourquoi ? Et comment cela se passe-t-il en vrai dans une agence ?
Ils ne se connaissent pas mais, à les rencontrer séparément, il apparaît très vite que ces deux architectes font face aux mêmes enjeux. L’une et l’autre utilisent d’ailleurs souvent les exacts mêmes termes. Les deux agences mènent un projet participatif dans le cadre d’une mission de maitrise d’oeuvre publique : 23 logements à Saint-Cyr-sur-Arthies dans le parc naturel régional du Vexin français (Val d’Oise), une commune de 242 habitants ; 30 logements à Melesse, une commune d’environ 6 000 habitants en Ille-et-Vilaine.
En premier lieu, les architectes décrivent la volonté des élus à l’initiative des projets.
A Melesse, les édiles avaient, pour résumer, fait le constat qu’il ne se passait rien dans leur cité-dortoir. «Ils avaient envie, au-delà du slogan, d’un vivre-ensemble», se souvient Yves-Marie Maurer. «‘S’il y a bien un endroit où éviter le lotissement, c’est ici’, disaient-ils. Ils étaient militants sur ce sujet», souligne l’architecte. C’est ainsi que, autour du promoteur rennais NEOTOA et des architectes Cécile Gaudoin et Yves Marie Maurer, avec EPOK, coopérative d’écologie populaire en tant qu’assistant à maître d’ouvrage, et de l’artiste Cécile Demessine (atelier mobile C.A.M.T.A.R), est né en 2015 le projet de la ‘Résidence des acacias’.
A Saint-Cyr, la démarche participative, initiée également en 2011, a démarré très en amont avec les habitants du village. En effet, 23 nouveaux logements, dans une commune de 242 habitants, c’est une énorme promesse de changement et un défi relevé par Angélique Chedemois et son équipe de co-traitants avec Courtoisie Urbaine et Polymorph en tant qu’AMO, une structure spécialisée, et un aménageur, SEMAVO.
Au-delà d’une volonté bienveillante, il s’agit quand même de construire du logement et ‘participatif’ signifie la rencontre entre les architectes et les futurs habitants. «La première réunion était destinée aux présentations, voir si le courant passait», se souvient Yves-Marie Maurer. Puis les réunions et les ateliers s’enchaînent au fil de questions qui demandent des réponses. Qu’est-ce que vivre ensemble ? Qu’est-ce qui sera partagé ? Par qui ? Et que faire dans un espace partagé ? Quand ? Où mettre les vélos ? Chaque réponse entraîne une autre question. Semi-Collectif ? Intermédiaire ? Maisons en bandes ? Ce sont des questions d’architecte mais elles sont posées à des non-sachants.
Angélique Chedemois et Yves-Marie Maurer tous deux soulignent la difficulté initiale pour des citoyens ordinaires d’imaginer et d’exprimer leurs désirs. «Le positionnement change d’une famille à l’autre, il faut donc un fonctionnement souple», remarque l’un. «Pour que les gens expriment ce qu’ils veulent, il faut mettre en place des stratégies», souligne l’autre. L’une de ces stratégies est notamment de s’appuyer sur le principe ‘une personne / une voix’ ce qui permet, au travers d’entretiens individuels et de tour de table lors des ateliers de contrer les dynamiques de groupe, de donner la parole aux plus timides, de recadrer le trop bavard ou trop conquérant ou l’écologiste radicalisé.
Bref, la pédagogie s’impose et les architectes de multiplier des scenarii et d’inventer les outils avant d’envisager passer de l’utopie au réel, surtout quand il y a autant «d’évènements» à décrypter que d’espaces partagés. Au fil des rencontres, l’un et l’autre reconnaissent la pertinence de l’exercice. «Ces réunions obligent les futurs habitants à affiner leur regard, leurs goûts et leur donne accès à un vocabulaire, des références qui leur permettent de construire une culture architecturale commune», explique la première. «On se rend compte de ce qui est important. Au bout du processus, personne ne nous dit ‘les gens pensent ceci ou cela’, nous savons exactement ce qu’ils pensent et du coup ce n’est pas compliqué de faire évoluer nos opinions», explique le second.
Il est vrai que si, souvent, l’architecte ne travaille pas au contact avec les usagers de ses bâtiments ; là, au moins, en effet, la liaison est directe.
Il demeure que la pédagogie consiste aussi à calmer les ardeurs des nouveaux convertis. «Pour avancer techniquement, il faut savoir fermer la discussion à un moment pour rouvrir le débat un peu plus tard, c’est un processus itératif», note Angélique Chedemois. «La maquette les a rassurés», souligne Yves-Marie Maurer. Tous deux ont conscience que leur rôle est celui de tempérer les passions. De fait, pour ces futurs habitants, qui ont le mérite de s’engager, ces rencontres sont autant de leçons d’architecture 1.0.1., ne serait-ce que pour ne pas perdre de vue les aspects financiers et réglementaires du projet. De ces échanges réciproques naît, petit à petit, un projet qui, par nature, sera formalisé plus tardivement. Le temps est un élément essentiel pour acquérir l’adhésion du groupe.
Malgré les difficultés à concilier les paradoxes du groupe et le temps passé, les deux architectes retiennent une vision optimiste de l’aventure. Angélique Chedemois, qui considère que l’expertise n’est plus seulement celle des sachants et qu’il existe «une expertise sensible», y voit l’arrivée d’une nouvelle façon de concevoir ‘bottom up’, à l’opposé du ‘top down’. «Ce projet va nous permettre de montrer que ce que nous proposons ici n’est pas déconnecté de la réalité et nous servira pour de futurs projets», ajoute Yves-Marie. Il précise que son agence vient de gagner un autre projet de ce type pour lequel il affirme vouloir «aller plus loin».
Il y a déjà eu par le passé de nombreux exemples de projets «solidaires», et Yves-Marie Maurer n’est pas malheureux de renouer avec l’engagement social de ses débuts, mais ces recherches étaient soit isolées, soit inabouties. Il semble qu’aujourd’hui des méthodes et des processus soient en train de se mettre en place tandis que des structures de promotion semblent prêtes à développer le concept.
«J’étais malheureux en faisant du logement habituel, ce projet est une respiration», avoue Yves-Marie Maurer. «Je suis curieuse et amusée de voir comment les habitants transforment le bâtiment qui transforme les habitants», conclut Angélique Chedemois.
Si l’habitat participatif n’est sans doute pas la panacée, si on le trouve plus facilement à ce jour en zone rurale, si même il n’est qu’une infime partie de la solution à la crise du logement en France, ce mode de conception et de construction n’en demeure, à en écouter ses acteurs, pas moins prometteur.
Christophe Leray