HABIT@ est un manuel à l’usage des habitants de résidence, de studio, d’appartement, de cabane, de maison, de villa, de château. Ici, quelques pensées extraites de Quoi pour quoi ? (Livre 1)* pour interroger l’habitat, avant d’agir peut-être, à l’aune de notre entrée dans ce 2ème quart de siècle. Chronique HABIT@.
PENSEE n°1 : Un habitat est (en mouvement) interactif
L’humain se répand au-delà de lui-même, dans l’espace au sein duquel il vit et parfois grandit. Cet habitat agit constamment et variablement sur ses habitants. L’intensité de son action dépend du moment, du contexte et de la sensibilité de chacun.
Si l’habitat est inadapté ou malade (insalubre, déficient, trop obscur, trop chaud, etc.), l’habitant risque de tomber malade, physiquement ou mentalement, par contamination consciente ou inconsciente.
Mais l’habitat peut guérir, il n’est jamais un décor figé ni dans l’espace, ni dans le temps. Il est transformable, continuellement.
L’habitant est son principal « opérateur ». Il peut être acteur de cette transformation.
Ainsi l’habitat interagit avec l’habitant.
Un couple ne se supporte plus, ils se disputent régulièrement. Ils décident de consulter un thérapeute. Le thérapeute essaie de comprendre la personnalité de chacun : leurs pensées, leurs attentes, leurs relations, et d’identifier les dysfonctionnements. Par échange d’anecdotes, l’environnement général peut, quelques fois, être abordé. Mais l’habitat est presque toujours oublié.
Pourtant il est un prolongement collectif du couple. Chacun a-t-il un refuge ? les lieux partagés permettent-ils des relations harmonieuses ? le respect des désirs ?
L’habitat peut, quelquefois, faire partie du problème ; souvent, faire partie de la solution. Il peut apaiser ou amplifier les conflits. Il modifie la relation entre ses habitants.
N’oublions jamais qu’il n’est pas un décor figé, ni dans l’espace, ni dans le temps. Il est transformable, continuellement. Les habitants peuvent être acteurs de cette transformation : élaborer, enrichir ou polir leur enveloppe commune.
Ainsi les habitants interagissent (entre eux et) avec leur habitat.
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PENSEE n°2
Habiter c’est connaître un lieu (ses bruits, ses odeurs, ses lumières), s’y insérer à l’instant présent et le façonner pour l’instant futur.
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PENSEE n°3 : Architecturer n’est pas décorer
L’habitat est une extension du corps. Il n’est jamais fini. Il doit pouvoir accueillir de nouveaux usages, superposer de nouvelles pensées.
La décoration crée une image par un assemblage d’objets et de matières souvent figées dans l’espace et le temps. Des lieux, soigneusement décorés mais inanimés, se retrouvent principalement dans certains intérieurs bourgeois. Ils prennent la forme de salons ou de salles à manger réservés aux occasions spéciales, en présence d’invités, et souvent interdits aux enfants.
Une pièce à la décoration terminée – comme dans les magazines – est une pièce morte. Elle est à l’espace (ou à la pièce) ce qu’un animal empaillé est à un animal vivant.
Un bon décorateur est comme un bon taxidermiste. Il sait figer le lieu dans une posture appréciable ou idyllique mais reste incapable de rivaliser avec la magie du vivant.
L’architecture n’est pas une image. Elle propose un art d’habiter le lieu. Elle combine, suggère des usages, construit une relation au paysage, à l’extérieur, à l’autre, à l’ailleurs mais aussi à l’intérieur, à soi, aux souvenirs.
L’architecture est le support d’un milieu, une ossature construite, visible et invisible.
Ainsi elle esquisse des atmosphères (non finies). Elle propose (rend possible).
La décoration fige quand l’architecture ouvre.
La décoration périt, alors que l’architecture mûrit.
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PENSEE n°4
Habiter c’est étendre le soi.
Habiter c’est apprivoiser un hors soi, un milieu.
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PENSEE n°5 : Du refuge au médium
Le mode d’habiter change selon le lieu (la situation), la culture associée (à soi et au lieu), la géographie, le climat, etc. Il change selon le mode de vie. Mais chaque habitant est indissociable d’un milieu. Il vit et agit (plus ou moins) sur son milieu.
Dans la transformation de son habitat, être habitant-architecte, professionnel ou amateur, c’est, à travers l’environnement, être un médecin préventif, un dealer attentionné, un éclaireur. C’est transformer l’habitat de refuge à médium.
Celui qui n’habite que son corps entre en égo-résonnance, il n’habite pas le monde.
Celui qui n’habite que de virtuels réseaux sociaux entre en écho-résonance et restreint son monde à une exhibition d’idées parallèles régulées par des algorithmes obscurs. Il bâtit sa clôture cognitive.
Celui qui habite un pavillon ou palais en dehors des autres…
Celui qui habite un…
Il s’agit d’abord de prendre conscience de la nature de son habitat (physique et numérique). Ressentir l’extérieur à travers ses sens, sa pensée et son corps ; prendre conscience de la diversité et la complexité de son micromonde ; entrer en relation avec lui ; identifier ses limites, leurs natures, ses liens, sa porosité ou au contraire son hermétisme.
Cet environnement-monde existe avant nous, il existera après. Il est régi par des phénomènes et des matières vivantes et non-vivantes. Il est quelquefois accueillant, quelquefois hostile.
Au cours de son évolution, l’animal humain a cherché le refuge ; puis il a construit ce refuge. Puis le refuge est devenu le médium.
Le médium avec un « au-delà », avec un « en deça ».
Le médium comme lieu de reliance.
Le cœur de l’habitat protège le corps. C’est un lieu privilégié où les pensées, les relations peuvent s’instituer en toute liberté, en toute intimité. Un lieu comme une extension d’une ou de plusieurs enveloppes corporelles.
Habiter est un art d’être hors de soi, un art de relations, de rapprochements et d’espacements avec l’autre, avec le monde, avec soi-même.
Être bien hors de soi, demande de questionner le soi et de questionner le hors. L’intérieur et l’extérieur. Or il n’y a pas un soi et il n’y a pas un hors. Il y a donc des « habiter ».
Des « habiter » parce que des habitants, des lieux. Et des « habiter » pour chaque habitant, chaque lieu.
Pourtant aujourd’hui le logement se restreint au rôle premier de refuge collectif. Cette propriété nécessaire n’est plus suffisante. L’augmenter c’est passer – dans le champ commun de l’habitation – de la construction à l’architecture. Un passage nécessaire car, au-delà de l’abri, l’habitat déploie ou restreint nos perceptions, nos relations et nos pensées passées, présentes et futures. Déploie ou restreint : l’un ou l’autre et quelques fois l’un et l’autre, simultanément ou alternativement.
Eric Cassar
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*Lire la chronique HABIT@.02 – Cartographier la mer