
Le mardi 1er avril 2025, La Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris a inauguré un nouveau cycle de rencontres dédié à « l’alliance féconde » entre élus et architectes avec la rencontre entre Mathieu Klein, maire de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et l’architecte Anne Démians, membre de l’Académie des beaux-arts, autour de la réhabilitation / extension de Grand Nancy Thermal, seule station française située au cœur d’une métropole. Compte rendu.
Le couple élu-architecte : idyllique ou volcanique ? Une rencontre animée par Francis Rambert, directeur de la Création architecturale à la Cité.
Pas d’architecture sans les maires et la commande publique : C’est cette relation très particulière entre admiration, confiance, débat et compromis, sans laquelle aucun projet d’ampleur ne saurait être mené à son terme, que Paul Chemetov (1) avait déjà décrite, et qui est ici questionnée : maires engagés et architectes visionnaires, « édile et démiurge », un couple par essence compliqué puisque l’élu ne connaît pas l’architecture. L’architecture ne saurait pourtant être dissociée des réalités politiques et sociales…
Dans l’histoire de Grand Nancy Thermal, il y a d’abord l’histoire tourmentée de l’Est, le traité de Francfort de 1871, l’annexion d’une grande partie des territoires et la création du département Meurthe et Moselle. Il y a Nancy devenue une ville frontière, administrative et universitaire, avec l’afflux des Lorrains qui ne veulent pas devenir allemands.
Puis Nancy, devenue une ville d’art, une ville de résistance ultra-symbolique.
Et il y a un architecte, Louis Lanternier qui, à l’occasion de l’Exposition Universelle de L’Est de la France de 1909, entreprend un forage artésien (2) et découvre une source d’eau chaude dans le parc Sainte-Marie, laquelle changera le destin de la ville. Il dessine un bâtiment imposant autour de la source, avec une piscine d’eau thermale de 400m², un exploit technique pour l’époque. Hélas la première guerre mondiale guerre stoppe tout. Pendant près d’un siècle, les thermes n’existeront que comme un navire échoué, abandonné… inachevé.
Cependant le bâtiment de pierre existe, néoclassique, bien de son temps, avec ses verrières, mascarons, guirlandes florales, motifs végétaux, sa piscine ornée de céramiques vernissées ; l’École de Nancy (3) est bien présente. Rythmé par des baies cintrées et des pilastres, son plan est agencé autour de deux grands pavillons reliés par une galerie, d’un côté les thermes, de l’autre le sport. Une présence, mais une présence défaite, une ombre…
Il faudra attendre l’intuition d’André Rossinot, ancien député, ancien ministre, médecin, et maire emblématique de Nancy de 2001 à 2020, pour que surgisse l’idée d’une renaissance. Nancy est à 576 km des Thermes de Vals (4), mais seulement à 196km de Baden-Baden (5). C’est un pari osé. Un premier projet voit le jour vers 2010 : mal ficelé, peu clair et très coûteux, il ne convainc pas. Dans une impasse, le projet semble sans avenir. Son heure viendra pourtant, en trois dates.
2018 – Le réveil, un concours d’architecture est lancé et l’agence Anne Démians Architectures est retenue. Il faut attendre encore, mais un futur se profile enfin.

2020- Le temps s’arrête et se bouscule, un temps de tous les possibles et tous les impossibles. Le premier confinement est décrété le 17 mars. Mathieu Klein est élu maire le 5 juillet 2020, et président de la Métropole du Grand Nancy dans la foulée. Il s’empare du projet, le sort de l’ornière juridique où il s’enlisait. Les travaux commencent et ne s’arrêteront pas…
2023- Ouverture du complexe Nancy-Grand Thermal
C’est à Mathieu Klein, à sa vision humaniste et prospective et à son extraordinaire ténacité que l’on doit la poursuite du projet. Homme de conviction, il met en avant les enjeux de santé, d’attractivité et de transition climatique : il est question de replonger dans les racines de la ville mais aussi de la projeter dans le contemporain, et de réinventer l’identité de Nancy. Il s’agit bien de la revitalisation de toute une région, la Lorraine, à travers le projet emblématique de la réhabilitation des anciens thermes et des extensions nouvelles. Il est question d’économie, d’intérêt public, et d’avenir…
Les travaux avancent, malgré les confinements successifs. Le maire et l’architecte inventent l’avenir. Ensemble.
Un binôme exemplaire où il est question de mémoire et de création en trois grandes missions.
Protéger le beau – Les thermes historiques sont pour partie inscrits au titre des monuments historiques : hall principal, piscine, galerie Nord et façades de la galerie Est, et le très romantique Pavillon de la Source.
Réinventer l’existant défaillant – La toiture du dôme des Thermes, que Lanternier avait conçu en béton, mal réparée dans les années ‘50 avec une couverture en goudron additionnée de cuivre, sera remplacée par Anne Démians par une couverture en zinc.
Augmenter l’existant – « J’ai tenté l’hybridation des styles avec une nouvelle mise en scène de la façade historique. J’accole, de façon symétrique, un volume habité de même gabarit. C’est le négatif assumé de l’original, à travers sa couleur et ses lignes de façades », souligne l’architecte. Un noir pour un blanc.

Voici pour finir, pour l’exemple et le plaisir, un dialogue en accéléré, entre les deux protagonistes, glané au fil de leurs échanges…
Le maire – Intégrer la question de la durée et de l’histoire thermale sans approche folklorique.
L’architecte – Concevoir une écriture contemporaine assumée, sans détruire, sans mimétisme. Un choix qui intègre la notion de durée. Pertinence et impertinence.
Le maire – Travailler sur l’ensemble d’un quartier, sans ignorer la présence du Parc Sainte-Marie, faire écho à une certaine vision de la ville.
L’architecte – Le projet côtoie un parc du XVIIe : ouvrir le parc, mettre du lien entre une architecture et une nature, créer un effet spectaculaire de surprise, un équilibre paysager et architectural.
Le maire – Rechercher les racines thermales, la qualité de l’eau.
L’architecte – Mettre en valeur la dimension métaphysique et sensible de l’eau, son bouillonnement, la spiritualité et la rêverie, avec des matières contemporaines et patrimoniales.
« Sans vision politique, le projet n’aurait pas eu lieu », conclut Anne Démians. CQFD !
Tina Bloch
* Lire la présentation Grand Nancy Thermal, un site contemporain pour des thermes historiques
(1) Paul Chemetov, architecte (1928- 2024), « un architecte dans le siècle » (Editions Le Moniteur, 2002)
(2) Un forage artésien est un type de puits creusé dans une nappe phréatique captive où l’eau est sous pression naturelle.
(3) Ecole de Nancy, fer de lance de l’Art nouveau en France, fondée pour favoriser la renaissance des métiers d’art, qui s’appuie majoritairement sur la verrerie, la ferronnerie, l’acier, le bois.
(4) Thermes de Vals, complexe conçu par l’architecte suisse Peter Zumthor achevé en 1996
(5) Baden-Baden est classée depuis 2021 au patrimoine mondial de l’UNESCO, dans le cadre des « Great Spa Towns of Europe ».