
Après avoir reçu le « Diamonitirion », permis spécial délivré par les autorités du Mont Athos qui permet de séjourner temporairement sur le territoire monastique dans la limite de quatre jours et trois nuits, j’arrive à Vatopedi. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
Entre ciel et mer, dressé comme un doigt surgissant de la terre de Thessalie, le mont Athos domine la mer Égée. Dès que j’approche ses rivages sur le bateau du monastère Vatopedi, je ressens cette présence immobile, puissante. D’après certains récits mythologiques, c’est ici que serait tombé l’un des Géants de la Gigantomachie, enseveli sous la montagne. Serait-ce son corps allongé que dessinent les reliefs ? Rien, les bras écartés, ne semble mieux protéger cette presqu’île que cette figure divine pétrifiée.

Sur ce sol sacré, vingt monastères orthodoxes sont érigés entre le Xe et le XIVe siècle. Le plus ancien et le plus éloigné, la Grande Lavra, fut fondé en 963 par saint Athanase l’Athonite. Vatopedi est fondé en 972. Simonopetra, Iviron, fondé vers 980 par des moines géorgiens, complète ce triangle d’ancêtres spirituels.
Au sommet du mont Athos, une modeste chapelle veille, sentinelle du silence. Deux ports bordent l’Athos, et de l’un à l’autre, les routes de terre battue serpentent. Autrefois, les moines et visiteurs franchissaient ces collines à pied ou à dos de mule, bâtissant ces forteresses de foi.
Après avoir reçu le « Diamonitirion », permis spécial délivré par les autorités du Mont Athos qui permet de séjourner temporairement sur le territoire monastique dans la limite de quatre jours et trois nuits, j’arrive à Vatopédi, un monastère au cœur vivant avec plus de 120 moines, pour 100 lits dédiés aux visiteurs. L’atmosphère y est paisible. Des silhouettes en robes noires, toques voilées, glissent furtivement dans les couloirs. Le son grave des semantron, ces planches frappées pour remplacer les cloches interdites sous l’occupation ottomane, résonne à l’aube. La première prière s’élève à 4 heures du matin, la dernière le dimanche à 22 heures, dans une chapelle éclairée uniquement par les cierges suspendus.
Les murs, tapissés d’icônes et de peintures colorées, racontent des scènes bibliques. Des chants byzantins, chantés en grec ancien selon des textes liturgiques orthodoxes, s ‘élèvent, récités d’une voix posée, presque détachée. L’encens embaume et caresse les voûtes. Je suis submergé. Chaque détail me retient. Je me laisse porter par cette mélodie envoûtante.
La vie des moines est rythmée entre cellule, église et réfectoire. Une routine à la fois simple et sacrée. Chacun a sa tâche : un moine imprime les textes spirituels, un autre accueille les invités ou gère les affaires économiques ou s’affaire dans un atelier d’iconographie tandis que veille depuis trente ans comme autorité suprême le vénérable abbé. C’est une communauté, une véritable organisation vivante.
Le repas principal se prend à 7 h 30. Légumes, fruits, olives, vin, parfois du poisson : tout est végétarien. Pas de viande, pas de lait. Le soir, même simplicité : pain, courgettes, pommes de terre, poisson et soupe de fèves.
La nuit tombe. Les silhouettes disparaissent vers les cellules ou les chambres d’hôtes. Les flammes des bougies et des cierges vacillent et sont réfléchies dans la pénombre par le marbre et les coupes en métal. Le silence règne. Je marche sur des pierres polies par les siècles, de chapelle en chapelle, ému par cette paix.
Ici, dans ce monde à part, je dessine. Ici, films et photos ne sont pas autorisés dans les chapelles pendant les messes ni au cours des repas. Seuls mes croquis peuvent capturer les robes sombres, les barbes poivre et sel, les chevelures dissimulées. Certains portent des soutanes élimées, d’autres des habits impeccables, presque sculptés et plissés.

L’architecture me fascine. Valopedi mêle influences romanes, byzantines, ottomanes. Coupoles plâtrées, bois inclinés, teintes rouges, bleues, vertes. Des cheminées allongées couleurs de terre s’élèvent, les rideaux blancs dansent pour protéger les fresques du soleil. Tout ici parle d’art, de foi, de persévérance. Les ateliers d’icônes sont de véritables lieux de recueillements où les moines dessinent, copient et interprètent des icônes, tout comme leurs prédécesseurs il y a des siècles !
Je suis ébloui par la beauté, le travail, l’unité de ces lieux, façonnés depuis plus de mille ans. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, le Mont Athos est plus qu’un lieu : c’est une respiration hors du temps réservé aux hommes et aux animaux mâles uniquement.
Cette loi qui interdit l’accès aux femmes au Mont Athos s’appelle l’Avaton. Une loi reconnue par la Constitution grecque, qui existe depuis plus de mille ans, et qui fait partie du statut autonome du mont Athos.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
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