La France connaît-elle une génération spontanée d’architectes de talent ? Contrairement à la sinistrose ambiante dans ce pays, les jeunes architectes français sont-ils en train de faire un carton sur la scène internationale ? C’est ce que semble en tout cas indiquer la liste des lauréats 2016 de la sélection européenne ‘40 under 40 architects’, quarante architectes «prometteurs» de moins de 40 ans.
Hasard du calendrier, c’est la période des prix d’architecture : le prix Mies van der Rohe vient de nommer ses cinq finalistes ; pour les plus jeunes, la liste des ‘40 under 40’ a été récemment dévoilée ; pour les plus jeunes encore, mardi 28 février au soir, les révélations NAJA à Paris. Dès le lendemain mercredi 1er mars 2017, les ArchiDesignClub Awards, à Paris encore, puis le même jour mais avec sept heures de décalage horaire, le Pritzker Prize bien sûr.
En attendant, sur la liste ‘40 under 40 architects’ dévoilée en février 2017 par le Centre européen d’architecture, d’art, de design et d’urbanisme et le Chicago Athenaeum, musée international d’architecture et de design, sur quarante lauréats donc, 18 Français ! DIX-HUIT !!! Presque la moitié ! Byzance !
L’Allemagne ? Un lauréat ! L’Angleterre ? Deux lauréats ! La France ? DIX-HUIT !!!!!
Selon les organisateurs, ces trophées ont vocation à promouvoir «les talents propres à influencer l’architecture européenne de demain». Très bien. Un concours Européen donc.
Et la France emporte presque la moitié des places ????
Puisque c’est un fait, qu’a-t-il bien pu se passer ? Peut-être les Français sont-ils les seuls à s’intéresser à ce prix, voire à en connaître l’existence ? Une course au prix ? Les jeunes architectes français sont-ils dans un tel manque de reconnaissance qu’un prix dans l’assiette est toujours mieux que deux prix qui volent ? Peut-être ont-ils plus que leurs confrères besoin d’affection… Ce d’autant qu’un prix du CAUE (Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) local est rarement une insulte.
Là pourtant, c’est d’un prix européen qu’il s’agit. Les organisateurs sont peu précis et parlent de «centaines» de propositions issues de tous les pays affiliés. 40 élus, 18 Français ! Si ça se trouve, 89,8% des projets proposés étaient français et il a fallu retrouver le dossier slovène sous la pile.
Le siège de l’organisation est en Irlande, le Chicago Athenaeum est à Chicago, l’exposition ad hoc a ouvert le 27 février à Athènes… Difficile d’imaginer que les architectes français, généralement peu anglophones, auraient soudainement été mieux informés que leurs confrères européens, surtout dans de telles proportions.
Peut-être alors que, malgré le catastrophisme qui à Paris donne des sueurs, les jeunes architectes français sont parmi ceux qui s’en sortent le mieux financièrement. En effet, comme pour l’Equerre d’argent, l’inscription n’est pas gratuite mais de 200€. Peut-être est-ce plus facile pour une agence française de sortir cette somme pour tenter sa chance dans une course au dahu que pour une agence grecque ou kosovare. Alors si en plus ils payent, peut-être n’est-ce que justice que les architectes français soient à ce point distingués dans une liste des 40 meilleurs jeunes archis 2016 de toute l’EUROPE.
Cela n’explique cependant pas le fait qu’il n’y ait parmi les lauréats qu’une seule agence allemande et deux anglaises. Si les Français peuvent payer 200€ pour s’inscrire, cela doit être possible en Allemagne et en Angleterre. D’autant plus que le second plus gros contingent, avec huit lauréats, vient d’Espagne. Bref, s’il y a dix-huit agences françaises sur quarante lauréats, c’est peut-être bonne fortune mais ce n’est pas question d’argent.
Puisque Français et Espagnols monopolisent les deux-tiers de la liste, peut-être est-ce donc une question de culture. Ne prête-on pas aux caractères latins plus de fantaisie dans la conception ! L’imagination au pouvoir ? En tout cas, si l’on ajoute l’Italie et la Grèce, chacune avec deux lauréats, puis le Portugal (1), la Turquie (3), cela ne laisse que des miettes aux pays de culture scientifique et technique. Pas un pays scandinave n’est représenté. Les Scandinaves et autres esprits anglo-saxons n’en auraient-ils donc rien à faire de ce prix européen destiné aux talents prometteurs ? Leur ego serait-il moins prononcé que chez leurs confrères latins ? Hum, ce serait étonnant, d’autant qu’ils ont autant besoin de communiquer que leurs confrères du sud.
Il convient cependant de noter que, dans ce type de compétition ‘jeunes architectes de moins de 40 ans’, la prime à l’imagination est en effet un facteur important. Le règlement du concours insiste d’ailleurs sur l’aspect prospectif du travail recherché, l’image de synthèse peut donc ici remplacer avantageusement une réalisation construite. Les lauréats français ont de fait souvent présenté ces deux aspects de leur production. Une méthode typique et vernaculaire de communication peut-être ?
Théorie du complot : si les Français sont en si grand nombre parmi les lauréats, serait-ce parce qu’ils ont plus le temps de réfléchir et de se préoccuper de leur communication car ils construisent moins que leurs confrères anglo-saxons ? La preuve que la France ne leur donne pas leur chance ?
En tout cas, les architectes allemands ou anglais de moins de 40 ans qui ont aussi acheté leur ticket à 200 balles, peut-être qu’ils regardent la liste des lauréats et qu’ils se posent des questions.
A juste titre sans doute puisque, en réalité, le hasard n’a peut-être pas grand-chose à voir dans cette affaire.
Voyons, en 2009, zéro lauréat français parmi les quarante.
En 2010, ils sont quatre : LAN, Thomas Coldefy, PetitdidierPrioux, Sébastien Servaire.
Soudain, en 2013, ils sont dix !
Puis dix-neuf en 2014 !!!!
Encore dix-huit en 2016 !
De 0 à 19 lauréats sur une liste de quarante, en cinq ans à peine !!! Le ministère de la Culture a acheté le jury ou quoi ? Voire. Le Danemark est premier dans la liste des pays les moins corrompus, la Suède est au 5ème rang, la France au 23ème ! Ceci expliquant cela ? Impossible évidemment…
Ce qui nous laisse quoi ? Allons, soyons optimistes : se pourrait-il que ce succès soit dû à la qualité des jeunes générations d’architectes français ? Ils sont en effet partout dans les agences et n’ont pas l’air malheureux. Si j’entends toujours ces histoires horribles d’architectes ‘sortant-de-l’école-qui-ne-savent-rien-faire’ – l’équivalent architectural de la légende urbaine ? – la réalité est que je n’entends jamais dire que la France manque de talent.
Bref, peut-être simplement que, malgré le chœur des pleureuses, les jeunes architectes français ne sont pas si aux fraises que ça. Ils savent d’évidence faire montre de leurs talents, du moins aux yeux de ces jurys européens successifs qui semblent porter aux nues cette génération. S’assurer donc qu’ils ont appris à construire sur le métier et l’apocalypse de la médiocrité mille fois annoncée ne sera peut-être pas pour demain. C’est une bonne nouvelle non ?
Christophe Leray
La liste des 18
• Michel Benjamin, Heams & Michel (Biot)
• Ilham LaraquiI, Laraqui Bringer Architecture (Paris)
• Agnès Guillemin, Agnès&Agnès architecture (Paris)
• Agnès Chryssostalis, Agnès&Agnès architecture (Paris)
• Ambroise Bera, Swan Architectes (Paris)
• Joachim Bellemin, Swan Architectes (Paris)
• Gregoire Dubreux, MU Architecture (Paris)
• Paul Le Quernec, Paul Le Quernec Architectes (Strasbourg)
• Yann Follain, WY-TO architects (Paris)
• Evangelos Vasileiou, Evangelos Vasileiou architecture (Paris)
• Guillaume Aubry, Freaks (Paris)
• Nicolas Moreau, Moreau Kusunoki (Paris)
• Nicolas Vernoux-Thélot, Insitu Architecture (Paris)
• Pierre Audat, Pierre Audat Architecte (Paris)
• Jean-Marc Rio, Asario Architects (atelier scènes architectures) (Issy-les-Moulineaux)
• Emmanuel Sitbon, Sitbon Architectes (Paris)
• Yann Caclin, ABC-STUDIO (Nancy)
• Carlo Grispello, Graal Architecture (Montreuil)
Ouf !