
Face au théâtre de grand guignol qu’est devenue la politique française, de penser qu’une intelligence artificielle (IA) apporterait peut-être un peu de raison dans un Maelström d’inconséquences qui laisse le pays stupéfait. Certes Vulcain ex-Jupiter* est le premier des inconséquents « en responsabilité » comme on dit en novlangue de la start-down nation mais, pour autant, n’est-ce pas confondre la cause et l’effet ?
En effet, chacun peut constater que l’avènement de l’intelligence artificielle correspond à l’explosion de la pagaille politique interplanétaire toujours plus autoritaire et au retour de l’inquisition. Ces évènements sont liés puisque les géants de l’IA utilisent des méthodes de narcotrafiquants, comme d’autres apôtres avant eux, pour conquérir la planète.
En effet, l’offre de paradis artificiel, ou paradis tout court, est d’abord toujours gratuite ou presque. C’est quand le consommateur est accro que les prix augmentent exponentiellement. Or l’intelligence artificielle n’est rien d’autre qu’un paradis artificiel destiné à nous faciliter la vie : de fait presque chacun désormais y trouve un usage sans trop se poser de questions. Toutes les excuses sont bonnes !
« Le bon sens nous dit que les choses de la terre n’existent que bien peu, et que la vraie réalité n’est que dans les rêves », relève Baudelaire (Les Paradis artificiels – 1860)
Certes nous savons que le coût énergétique de chaque requête de l’IA informatique est astronomique et nous comprenons que si l’IA peut être source de progrès scientifiques extraordinaires, elle n’est qu’une béquille utile aux médiocres qui font l’ordinaire de l’humanité. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui se défendent et assurent s’en servir comme d’un « outil ». Mais, s’il faut admettre que l’IA est un traitement de texte ultra performant et un traducteur de plus en plus fiable, c’est surtout un fantasme de position augmentée. Pensez donc, bosser « bien » et « vite » sans rien faire !
Nul doute, dès lors que l’humanité sera devenue accro, que les marchands sauront lui rappeler les règles du commerce. Ne l’est-elle pas, l’humanité, devenue dangereusement et irrémédiablement accro au téléphone portable et aux réseaux sociaux en une génération, au point qu’aujourd’hui en Afrique et ailleurs, les gens meurent de faim et/ou de guerre un téléphone à la main et un maillot de footballeur sur le dos ? L’accoutumance ne saurait tarder donc : à quand un pacs avec une Vanessa ou un Yanis (ou avec E.T.), une intelligence artificielle développée au goût de chacun/chacune à partir de ses traces numériques ? Quel sacrifice peut bien valoir à Narcisse un miroir à 360 degrés !
Et qu’importent les destructions de territoire et les humiliations de population, quand ce n’est pas la terreur. Les trafiquants en Amérique du Sud ne se soucient guère du sort des communautés qui produisent leur matière première, pas plus des destructions écologiques : ceux-là sont rarement des parangons de bienveillance. Qu’est-ce qui pourrait faire croire que les conquistadors de l’IA seront différents des marchands de canons ou d’outils de contrôle et de répression qui abondent déjà ? Parce qu’ils obéiraient à une loi quelconque autre que celle du dollar et du goupillon, pour un profit toujours croissant ?
Pour les scolaires, les profs, les étudiants, les industriels, les artisans, les journalistes, les chercheurs, les avocats, les ménagères de plus de 50 ans, pour chacun de 7 à 77 ans, à un prix cadeau, l’intelligence artificielle courtoise et attentionnée est pour tous le trajet le plus court pour n’avoir pas à réfléchir, confort suprême ! Toutefois, quand assez tôt plus personne ne saura y faire – c’est-à-dire réfléchir – il reviendra donc au privé de nous vendre l’intelligence, de nous la refourguer plutôt ! Jusqu’à la recette de cuisine ! Avec abonnement contraint ! Vous imaginez le désespoir du gamin à qui les parents sectaires refusent l’IA et qui se retrouve seul face à tous ses camarades artificiellement intelligents ? Il trouve refuge dans la lecture ?
L’IA affecte déjà notre vie de toute part. Ce qui nous ramène à l’architecture. Comment les agences vont-elles gérer ce nouvel « outil » dont maîtres d’ouvrage, industriels et majors de la construction intéressés vont s’emparer – s’emparent – à pleines dents ? Les plus experts des architectes sauront manipuler l’outil à leur profit, la profondeur historique de l’agence nourrissant alors une IA générative interne et en son nom propre. Efficacité garantie ! Cela signifie cependant sans doute pour ces entreprises d’architecture une nouvelle politique de ressources humaines.
De fait, les écoles d’architecture vont devoir s’adapter car, dans un avenir proche, la majorité des agences va se retrouver confrontée à des entreprises mandataires – souvenez-vous de la conception-réalisation – qui disposeront sans moult études savantes des mêmes outils perfectionnés que la maîtrise d’œuvre et qui pourront à leur guise, foin de droits d’auteur, à partir du même programme – une école, un EHPAD, un conservatoire, une salle de sport – pour séduire toujours mieux, ajouter toujours plus à leur intelligence générative un zeste artificiel de tel architecte connu et un autre zeste de tel autre et un zeste encore, etc. Pour un résultat tout à fait charmant et sidérant propre à convaincre. Les bureaux d’études ont aussi intérêt à être costauds : ce sera bientôt IA contre IA. Pour autant, sauf pour la science dans toute sa splendeur, l’intelligence artificielle est vouée au charabia – « plus vite et moins cher », air connu – et les architectes ne sont pas sûrs de gagner la bataille du sens. L’architecture, un sport de combat perdu d’avance ?
Considérant enfin que les marchands d’IA utilisent les mêmes méthodes que les marchands de semences devenus des multinationales plus puissantes que des États en ayant pris soin de vendre des graines stériles – c’est-à-dire l’exact opposé du vivant – une humanité à l’intelligence stérile, est-ce possible ?
Peut-être avez-vous entendu parler de ces nouveaux doudous qui, armés de l’IA bienveillante, font la conversation à junior pendant que papa et maman sont transfixés sur leur téléphone ? Si l’on en juge à l’heure d’écrire ces lignes (lundi 6 octobre 2025) par le spectacle affligeant de la gouvernance française non artificielle, reflet symbolique de l’absurdité et du cynisme ayant désormais cours dans le monde contemporain, il n’y a apparemment en guise d’alternative que l’IA.
Rendez-vous dans dix ou vingt ans avec la prochaine génération stérile à la naissance et accro aux psychotropes artificiels.
Parmi elle, des architectes peut-être…
Christophe Leray
* À propos de Vulcain ex-Jupiter, lire notre édito Sonotone, livré par Amazon, à l’attention de l’Uber président