La nouvelle ville de Kaboul, Deh Sabz (la «ville verte ») conçue par Architecture-Studio est une ville polycentrée, sans centre-ville. La rigueur du plan – qui permet une représentation mentale claire de la ville – est rompue par des ravines naturelles aménagées en parcs urbains particulièrement ingénieux. Découverte.
Difficile de présenter en quelques feuillets le volumineux travail effectué par l’agence parisienne Architecture-Studio pour le développement urbain de la ville nouvelle de Deh Sabz – la ville verte – la nouvelle ville de Kaboul en Afghanistan, destinée à accueillir trois millions d’habitants à l’horizon 2030. En effet, sur le site actuel, il n’y a absolument rien et tout, absolument tout, devait être pensé et imaginé à partir de la page blanche ou presque.
Laurent-Marc Fisher, qui a présenté le projet, insiste d’emblée qu’il s’agit du travail d’une équipe «riche»*. Elle compte notamment la présence de deux ethnologues suisses, Pierre et Micheline Centlivres, installés en Afghanistan depuis 1967. «L’enjeu était de comprendre, au-delà de la forme, les usages fondamentaux de la ville afghane», explique-t-il.
C’est dans les camps de réfugiés au Pakistan, dont les habitants ont «intuitivement» recréé des fonctionnements urbains que Architecture-Studio a identifié deux éléments fondateurs : le rapport public-privé et l’importance de l’entité ethnique. Il n’y a pas par exemple de notion de place publique mais le rôle du bazar est en revanche très important.
Ce rapport constant entre «préoccupations locales et universelles» a permis la conception dans le cadre de cette nouvelle ville de principes novateurs, voire «essentiels» en ce qui concerne le développement durable décliné ici dans tous ses aspects : environnementaux, économiques, sociaux et culturels, l’objectif symbolique étant que Deh Sabz incarne «la renaissance de l’Afghanistan dans le respect et le souci de sa culture et de son histoire».
Que retenir, selon nous, d’essentiel ? En premier lieu l’idée d’une ville sans centre-ville mais organisée autour d’un parc central de la taille du bois de Boulogne qui compte trois pôles fondamentaux : un centre sportif (stade, équipements), un centre culturel (université, équipements) et un centre religieux avec la grande mosquée de l’Ait.
En second lieu, la ville est contenue par une bande agricole, existante et préservée, sur les premiers contreforts dont les terrains seront protégés de la spéculation, des réserves foncières étant par ailleurs prévues.
Ensuite, la transformation des ravines naturelles – de multiples ravins nés de l’écoulement violent des eaux de pluie venues des montagnes environnantes – en parcs urbains traversant la ville, offrent la possibilité d’une gestion de l’eau particulièrement ingénieuse tout en étant respectueuse du contexte, leurs parcours aléatoires inscrivant des ruptures dans un plan urbain par ailleurs parfaitement structuré en îlots, blocs, quartiers et districts dans un système polycentré. Les quartiers et districts regroupent chacun toutes les fonctions (éducation, santé, culture, énergie, justice, mosquée, etc.) publiques adaptées à leur échelle.
«Nous avons souhaité un plan clair, identifiable car une représentation mentale de la ville permet de comprendre sa spatialité et de forger ainsi pour les différentes communautés une véritable unité», souligne Laurent-Marc Fisher.
Considérant la situation politique actuelle de l’Afghanistan, rien n’indique que cette ville sera construite. Rien n’indique non plus le contraire. Mais, au-delà de l’exemple de Deh Sabz, intimement liée à son contexte, c’est d’une réflexion plus large sur la ville du 21ème siècle qu’il s’agit ici.
Christophe Leray
Voir aussi la présentation par l’agence. Un document exceptionnel.
*L’équipe du projet, outre Architecture-Studio, est composée de Franor Conseil, Partenaires Développement (Setec), Composante Urbaine, Eaux de Paris et Deerns (Pays-Bas) s’est alliée, entre autres, les compétences du Certu, d’Urbanistes du Monde et d’ethnologues suisses, Pierre et Micheline Centlivres.
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 5 mars 2008