A les écouter, en ce jour de printemps 2017, les architectes de la French Touch n’ont rien perdu de leur mordant. Il s’est passé dix ans depuis la création du collectif, dissous il y a deux ans, et l’expérience a eu le mérite d’exister. Du Pavillon français de Venise, des annuels optimistes à l’évolution de la commande, Chroniques leur a posé trois questions. Leurs réponses.
Du Pavillon français de la Biennale de Venise…
Contexte : En septembre 2008, la French Touch est invitée à représenter la France à la Biennale d’architecture de Venise avec l’exposition GénéroCité Le collectif expose 100 bâtiments, reproche leur est fait «de s’être bien servis».
David Trottin : En octobre 2007, Ann-José Arlot (ancienne directrice de la DAPA. Nde) nous a appelé pour faire le pavillon français de Venise.
Gaëlle Hamonic : L’Etat s’accroche à ce qui bouge. Il se passait tellement rien qu’ils nous ont donné la parole. Nous avons fait un joli pavillon sur la représentation de la France, point de vue French Touch sur l’idée que l’architecture n’a pas d’échelle, pas de lieu, qu’elle peut naître dans des commandes triviales et que le rôle de l’architecte est de transformer le trivial en sublime.
Nicolas Ziesel : Le pavillon représentait notre discours sur le gisement de l’architecture ordinaire dans les provinces. Nous étions optimistes, nous voulions montrer l’extraordinaire. Ce qui est dommage, quand on regarde le pavillon de cette année pourtant conçu par une nouvelle génération, c’est que l’ordinaire se confond avec le triste. On revient à l’humilité comme si elle était gage de sérieux de l’architecture.
David Trottin : L’architecte doit questionner l’ordinaire. Nous n’adhérons pas à la morale de l’architecture de la pauvreté qui explique que sans budget et/ou pas d’expérience, l’architecte doit se contenter de faire simple. L’argent est un moyen pour alimenter le talent mais l’architecture émouvante et sensible n’y est pas forcément liée.
Des projets sélectionnés dans l’annuel optimiste…
Contexte : Pendant sept ans, jusqu’en 2015, la French Touch publie un «Annuel Optimiste» pour faire le pendant de l’annuel d’AMC édité par Le Moniteur.
David Trottin : Nous avons produit pendant sept ans une vision globale de l’architecture régionale car nous voulions montrer que l’architecture n’est pas que parisienne. On recevait 200 projets par an, que l’on visitait, on rencontrait les gens. On discutait dans les Maisons de l’architecture aussi.
Nicolas Ziesel : Nous allions voir les projets et on écrivait des petits articles. Cela nous demandait beaucoup d’énergie.
Julien Zanassi : le jugement était difficile. Nous avons testé plusieurs méthodes. La meilleure était la première, celle où l’on se réunissait tous pour voter en trois tours. Ça prenait des heures.
Gaëlle Hamonic : Nous cherchions de nouveaux points de vue et à démontrer que l’architecture n’est pas que de l’image. Nous avons largement contribué à la fabrication du magazine EXE et développé cette idée de montrer comment se fabriquent les détails, à la française, parler des normes aussi. La synthèse des plans constituait un travail de romain !
De l’évolution de la commande…
Contexte : En dix ans, tandis que s’effondrait la commande publique, la commande privée a trouvé de nouvelles prérogatives et les types de concours se sont multipliés. De cause à effet ?
Julien Zanassi : a-t-on participé à la genèse d’un monstre ? Aujourd’hui, quand je regarde autour de moi, je me demande où est l’architecture ? Tout est contextualisé, ghettoïsé, localisé tandis que le travail de l’architecte est dévalorisé. Qui aujourd’hui possède la culture pour faire la différence entre les architectures ? La multiplication des types de commandes a cassé l’indépendance de jugement et celle du projet, il n’y a plus de référent. Que défend-on aujourd’hui ? Qui sont la veuve et l’opprimé de l’architecture ? L’architecture aujourd’hui répond-elle aux besoins de la société ? La politique semble impuissante à changer la société. En nous rebellant contre Le Moniteur, nous avons peut-être participé à la multiplicité des architectures par les modes de commandes.
Nicolas Ziesel : Pour Réinventer Paris, deux équipes sans investisseurs et sans programmes venaient de la French Touche, KOZ et Périphériques. La prise de risque est valorisée, c’est une attitude.
Gaëlle Hamonic : Les différents «Réinventer» ont fait exploser le cadre et déverrouillé la commande. C’est la même chose avec les VEFA. Aujourd’hui, on pourrait presque redonner la programmation à l’architecte. Les choses bougent un peu. L’architecte redevient un partenaire et non plus seulement un prestataire.
David Trottin : En ce moment, il y a une mutation du métier. Pendant longtemps, l’architecte a été le prestataire du bout de la chaîne, celui qui savait. Il devient aujourd’hui un partenaire de la fabrication de la ville. Il doit penser, trouver de nouveaux usages, des nouveaux modes de vie, mettre en forme. Il devient inventeur et sa rémunération commence à se faire sur le concept autant que sur l’exploitation. C’est nouveau et pas du tout borné par l’ordre des architectes.
Pour Réinventer Paris, j’étais à la fois promoteur, investisseur, porteur de projet. Cela existe dans l’industrie. Tu inventes le concept et tu gagnes ta vie parce que tu fais la suite. L’architecte est comme un industriel aujourd’hui.
On forme tous les ans 10 ou 15 000 architectes en France. On ne veut pas former que des Jean Nouvel mais des gens qui sont capables de s’investir dans plein de métiers, avec des compétences d’architectes et une culture de l’espace, de la société, des processus de fabrication. On a une culture un peu punk, du «do it yourself », une nature de start-up dans notre manière de réfléchir aussi. L’inventivité est le moteur de cette économie émergente.
Julien Zanassi : Non, nous ne sommes pas des industriels. Aujourd’hui j’ai peur que l’architecture nous échappe justement parce qu’elle entre dans ce processus. «Réinventer Paris» n’est pas la réalité de l’architecture en France.
Gaêlle Hamonic : on a été formé à avoir des idées qu’on a du mal à mettre en pratique. Les villes n’ont pas d’idées, les promoteurs ont de l’argent, les politiques ont des craintes. Aujourd’hui, dans une société qui se libéralise, l’architecte doit être entreprenant et créatif pour être crédible. S’il se contente d’être créatif, il ne sera pas crédible.
David Trottin : Il en va de l’architecture comme dans la société, avec l’’ubérisation’ chacun doit trouver ses marchés. Surtout que l’architecture française est très particulière. Il y a peu de grosses agences mais on sait faire de la grande échelle. L’enseignement n’est pas exceptionnel mais offre un bon réseau de savoir-faire.
Propos recueillis par Léa Muller