Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), sa piscine olympique, ses nouvelles stations de métro, ses nouveaux logements au Fort, les belles promesses du Grand Paris, le vrai, celui qui fait rêver à coup de plaquettes de promoteur. Loin de ce tableau du bonheur, de l’autre côté des grands projets, la gestion du patrimoine immobilier de l’office HLM offre une image de désolation.
Aubervilliers, au nord de Paris, devrait connaître à l’horizon 2024 un renouveau urbain important. La construction d’un bassin d’entraînement olympique en lieu et place des jardins ouvriers de la ville a donné lieu à la colère lourde de la part des habitants. Par ailleurs, les terrains autour sont en cours de construction avec l’urbanisation du fort d’Aubervilliers laissée à des promoteurs privés. Bref, un Grand Paris à marche forcée.
Pourtant, juste en face, en traversant la nationale, le panorama est désolant. Le quartier Emile Dubois-La Maladrerie, composé en majorité de logements sociaux, laisse un paysage d’abandon qui mériterait presque d’être qualifié d’indigne. En cause, la gestion de l’OPHLM d’Aubervilliers.
A Emile Dubois, la cité des 800, construite par Raymond Lopez dans les années 50, était un des premiers ensembles utilisant la préfabrication sur site. La Cité des 800 permettait de sortir de l’habitat indigne ou des bidonvilles pour les ouvriers venus travailler dans les industries alentour (Babcock, la manufacture des allumettes, etc.). La Cité a connu le chemin classique d’une société industrielle qui se désindustrialise et se paupérise.
Pourtant les habitants sont mobilisés, grâce notamment à un travail mené avec des universitaires, au sein de l’Amulop, association pour un Musée du Logement Populaire. Retraçant patiemment les trajectoires résidentielles et les mémoires de la Cité, l’association élabore un discours où l’histoire intime rencontre la grande histoire. Le récit de vie des habitants se décline dans une exposition et dans la visite d’appartements avec les bénévoles de l’association, habitants ou anciens habitants de la Cité.
Ce projet scientifique et populaire tend à (re)construire des ponts pour que les habitants ne se sentent plus délaissés (ou invisibles), comme l’environnement urbain semble le montrer. En effet, les logements de la cité des 800 semblent en totale déshérence, voire proche de l’indignité pour certaines tours. L’OPHLM d’Aubervilliers accueille favorablement le projet du Musée du logement populaire, en mettant des logements à disposition, sûrement pour éviter le squat. Il est fort probable que l’occupation des lieux ne pourra être que temporaire, tant l’impression est forte que l’office n’attend que le départ (presque forcé) des locataires pour raser l’ensemble et, ce faisant, effacer leur histoire.
Quelques rues plus loin, même constatation à la Maladrerie. Les quelques 1 000 logements locatifs sociaux, logements pour travailleurs migrants, personnes âgées, ateliers d’artiste, mêlés à des locaux d’activités, de commerces et des équipements socio-culturels semblent plus que mal en point. Conçu comme un véritable quartier avec ses rues couvertes reliant les immeubles entre eux, des écrins de verdure, des terrasses suspendues de pleine terre offrant une vue sur des jardins en hauteurs depuis la rue, la cité idéale conçue par Renée Gailhoustet, Yves et Luc Euvremer, Vincent Fidon, Magda Thomsen, Gilles Jacquemot et Katherine Fiuman entre 1975 et 1989, bien que labellisé « Patrimoine du XXe siècle & Architecture contemporaine remarquable », menace ruine si rien n’est entrepris rapidement. Le béton poreux, éclaté, les fers oxydés apparaissent à certains endroits et les balcons semblent peu stables.
Au cœur du sujet et de ces deux ensembles, l’OPHLM d’Aubervilliers. Gérant quelque 8 000 logements sur la commune, sa gestion a été sévèrement épinglée par l’ANCOLS (Agence nationale de contrôle du logement social) qui s’interrogeait, en 2017, sur la viabilité même de l’organisme, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Pêle-mêle, dans l’audit portant sur 2012-2016 : une comptabilité surréaliste sans contrôle, des coûts de gestion en augmentation constante et sans contrôle non plus, un turn-over important des équipes, des ruptures conventionnelles surpayées, etc.*. Bref, l’OPHLM est mal géré, n’a pas d’argent, donc les 60 M€ nécessaires pour La Maladrerie attendront et les autres rénovations aussi**. Cela fait déjà plus de dix ans que la réhabilitation des logements est à l’arrêt. Le premier diagnostic technique date de 2012.
Le rapport de l’Ancols met en avant également le manque de régularisation des charges sur les locataires, et Karine Franclet, nouvelle maire d’Aubervilliers élue en 2020, de commander un « audit flash » sur la gestion de l’office et les rappels de charge non effectués au cours des deux dernières années sur l’eau notamment.
Mais pour des locataires du parc social (dont 40% sous le seuil de pauvreté) vivant dans des passoires thermiques, à cause du manque d’entretien par défaillance du bailleur, est-il bien réaliste de leur demander de payer des surplus de consommation alors qu’ils ont déjà des difficultés à payer l’électricité ? Un reportage de février dernier dans le journal du 20h de France 2 sur la précarité énergétique évoquait une locataire dont la facture annuelle dépassait les 3 000€, le tout dans un appartement de La Maladrerie avec des murs qui suintent. L’appartement, plus qu’une passoire, est indécent et met en danger la santé et la sécurité des locataires.
Alors que la situation, au point où elle en est, relève de l’urgence sanitaire, l’Office HLM a quand même fait appel à une « entreprise » pour réaliser une isolation par l’extérieur sur les couloirs reliant les immeubles entre eux. Et de faire appel à des margoulins, l’isolation est décollée par endroits, non finie à d’autres. Bref, un travail bâclé qui serait un beau sujet de JT sur les arnaques à la rénovation énergétique. Et si un balcon vient à se décrocher, c’est l’ensemble du site qui menacera d’être rasé.
Les sites en QPV (Quartier Prioritaire de la Ville) doivent être intégrés, de nouveau, dans le NPNRU, une convention doit être signée de nouveau avec l’ANRU, bien qu’avec retard. Apparemment, celle-ci était prévue pour 2019. Rien n’a bougé. Et les locataires d’être inquiets et de vouloir lutter pour préserver leur cité. Ils avaient déjà réussi à faire échouer l’ANRU dans son idée de faire passer une route entre les immeubles de la Maladrerie. Aujourd’hui, apparemment dans les tiroirs, deux immeubles pourraient être détruits, des logements (environ 300) seraient vendus à un bailleur social, et 63 seraient vendus tout court, ce qui permettrait de mettre sûrement un peu d’argent dans les caisses de l’OPHLM. Autre sujet, la « résidentialisation », qui vise à fermer les espaces ouverts de la cité pour isoler les immeubles les uns des autres. La résidentialisation permet surtout en fermant les espaces de faire baisser les charges d’entretien à terme. Bref, cela reviendrait à dénaturer le projet de Renée Gailhoustet.
Les habitants des deux cités semblent bien payer la mauvaise gestion de l’Office. Autant pour leurs conditions de logement que par les projets mis en place, les habitants, pourtant les premières victimes, seront les derniers informés. S’il faut bel et bien un vaste projet de rénovation des ensembles, celui-ci ne peut être réalisé sans ceux qui s’y investissent depuis des années. Cette situation n’est pas très éloignée de celle de La Butte Rouge***. Les habitants dans les deux quartiers sont heureux dans leurs logements aux qualités exceptionnelles et, bien que lourde à mener, une réhabilitation est possible car rien d’irrémédiable n’est encore détruit. De fait, un article du parisien en 2020 faisait encore l’éloge du quartier, le qualifiant de « miracle architectural ». Mais, apparemment, la volonté politique entend s’affranchir du respect du patrimoine architectural, et plus encore de l’avis et de la volonté de la population de continuer à habiter leur quartier.
Julie Arnault
*Selon le rapport de l’Ancols et parce que le passage mérite lecture : « L’OPH est confronté́ à de multiples problématiques cumulatives, notamment une gestion défaillante, qui ont conduit à une situation très délicate et qu’il est impossible de laisser perdurer. Le turn-over important au sein de postes-clés, l’absence de système d’information optimisé, le passage en comptabilité commerciale mal négocié, la non-certification des comptes 2016, et les manquements en matière de traitement des impayés et de gestion des charges, constituent autant de séquelles d’une période de flottement aux nombreuses causes et aux conséquences dommageables. En outre, aucune analyse prévisionnelle actualisée et fiabilisée ne permet à l’OPH de se projeter de façon sereine sur les 10 ans à venir.
Face aux différents constats relevés en particulier d’ordre financier, l’ANCOLS s’interroge sur la viabilité de l’OPH d’Aubervilliers. Le conseil d’administration et la collectivité de rattachement doivent réfléchir à un processus de rapprochement avec une autre entité HLM notamment l’OPH Plaine Commune Habitat, rattaché également à l’EPT Plaine Commune. L’adossement de l’OPH à un organisme mieux structuré et mieux géré, et à la situation stabilisée, constitue la seule solution offrant à la fois davantage de visibilité, de pérennité, et de sécurité, tant pour les équipes en place que pour les locataires. »
** Toujours dans le rapport de l’ANCOLS il est noté que « L’OPH souligne que la politique de remise en état des logements a été redéfinie notamment en fixant un plafond maximum de dépense de 3 500 € par logement ». En suivant cette ligne, le coût pour la remise en état de Maladrerie ne pourrait être que 3,5M€…
*** https://chroniques-architecture.com/butte-rouge-chatenay-malabry/