Beaugrenelle, centre commercial ou grand magasin ? C’est la question qui se pose devant le projet à 450 millions d’euros, excusez du peu, de l’agence Valode&Pistre, inauguré en 2013 avec tout le tralala. Trois ans après, le succès est au rendez-vous. Comment le nouveau centre commercial du XVe arrondissement a-t-il tenu ses promesses ? Etude de cas.
Les centres commerciaux sont en France un sujet sensible, voire tabou. L’agence Valode & Pistre souhaitait transformer l’ancien centre commercial en un nouveau grand magasin parisien, dans la lignée du Bon Marché rive gauche ou des Galeries Lafayette rive droite. Grand magasin sonne plus chic donc que centre commercial ? Peut-être un peu mais pas seulement.
Dans le droit fil des centres commerciaux suburbains tant décriés par les architectes, celui du quartier du Front de Seine, bien que situé dans une zone de chalandise de presque trois millions de visiteurs potentiels, n’avait jamais réussi à trouver son public et donc sa rentabilité. Aujourd’hui, avec 110 boutiques, un cinéma et des restaurants installés dans trois îlots de part et d’autre du pont de Grenelle, le centre Beaugrenelle est devenu une porte d’entrée urbaine pour le XVe arrondissement de Paris.
«Le quartier Beaugrenelle est un fervent modèle de l’architecture de dalle post-corbuséen des années 70, dû à l’architecte Henry Pottier en 1978. Cette typologie urbaine consistait surtout à stratifier et à séparer les fonctions si bien que les circulations se faisaient en contrebas, les commerces et bureaux installés au niveau de la dalle tandis que les habitants vivaient dans des tours, en hauteur et à la lumière, selon la vision hygiéniste de l’époque. Or, c’est la forme urbaine qui ne fonctionnait pas. Le projet était inachevé et ses limites n’avaient jamais fait le lien avec la rue tandis que les circulations se passaient en sous-sol», rappelle d’emblée Denis Valode. «Nous avons repris le même programme et prouvé, presque scientifiquement, que l’architecture sert à quelques choses», ironise-t-il. Un trait que peut se permettre désormais Denis Valode puisque qu’aujourd’hui les cinémas et les restaurants ne désemplissent pas.
Selon lui, le principal défaut urbain était la séparation des circulations. «Les commerces ont été ramenés au niveau du sol, au niveau de la rue. L’enjeu était de recréer l’îlot urbain, avec des façades sur rue, des atriums et des liaisons pour mettre en évidence une plateforme d’échange qui met en relation les commerces avec le quartier, avec le sol et avec la dalle», explique l’homme de l’art. lequel souligne avoir conservé l’idée de la dalle sous forme d’une vaste passerelle.
La visite de l’ouvrage offre dorénavant un air de déjà-vu puisque Beaugrenelle, tout en réinterprétant les codes du centre commercial de périphérie, est conçu comme un grand magasin. Lumineux grâce à sa verrière colorée qui change de couleurs selon la luminosité extérieure (clin d’oeil à celle des Galeries Lafayette), le bâtiment monte sur cinq ou six étages, alors que les centres commerciaux habituels n’en font que deux au plus. La rareté du foncier étant un problème parisien, Beaugrenelle n’avait d’autre choix que de monopoliser la hauteur. Aussi la passerelle et les atriums, jusqu’au positionnement des escaliers mécaniques, sont autant de clins d’oeil aux temples de la belle époque.
Une des clés du renouveau de Beaugrenelle est que les clients y viennent à pied ou en transport en commun, surtout en métro directement depuis Boulogne ou le Bon Marché. Des boutiques ont en conséquence été disposées sur la rue depuis et jusqu’aux bouches du métro. «Le départ du parcours est la structure urbaine ; elle préexiste avant et avec elle, la ville guide le projet. Comme à Bercy-Village, nous nous sommes presque mis en écriture automatique, nous nous sommes fait porter par l’urbain», explique l’architecte.
Un autre point d’ancrage du nouveau centre commercial dans la tradition des grands magasins parisiens reste sa façade. En effet, les Magasins réunis ou la Samaritaine ont créé des paysages symboliques sur les rues où ils furent implantés. La résille de Beaugrenelle, certes issue d’un effet de mode, a le mérite d’être à son tour devenu un signal du quartier, le verre sérigraphié de la façade donnant une très forte identité à l’ensemble. «Nous n’avons pas voulu faire une boîte dans laquelle on piège des gens pour y dépenser de l’argent», soutient Denis Valode, insistant encore sur les façades ouvertes sur la rue et sur la Seine. Dit autrement, l’agence Valode&Pistre s’est jouée des codes des centres commerciaux décriés pour les associer aux éléments qui ont fait la bonne fortune des grands magasins parisiens.
Ici, pas d’hypermarché, éventuellement un ‘flagship’ pour Mark&Spenser, mais surtout un cinéma de 10 salles. Le multiplexe est peut-être au cinéma d’art et d’essai ce qu’est l’hypermarché au commerce de proximité, il n’empêche que la culture et le loisir, toutes proportions gardées, sont devenus à Beaugrenelle comme ailleurs, un produit d’appel. Le centre dans son ensemble devient alors un lieu de destination citadin, lequel, en l’occurrence, semble avoir redynamisé un quartier tout en conservant l’esprit du lieu.
Le toit de 7 000 m², malheureusement inaccessible au visiteur, est complètement végétalisé. «Le toit est un champ, un refuge pour les oiseaux. C’est une étape écologique, un lieu préservé qui nous a permis une meilleure insertion dans l’urbain», assure-t-il. C’est aussi une cinquième façade généreuse car visible pour les habitants des tours environnantes.
Alors centre-commercial 2.0 ou réminiscence du Grand Magasin de Mamie ? Toujours est-il que, ainsi intégré à la ville, malgré des coûts de foncier qui n’ont rien à voir avec ceux d’un champ de patates en périphérie, l’architecture d’un centre commercial peut en effet contribuer à l’animation de la ville tout en s’inscrivant dans l’économie et la rentabilité du projet.
Léa Muller