Mikan, l’agence fondée par les architectes Kiwako Kamo, Masashi Sogabe, Masayoshi Takeuchi et Manuel Tardits, a livré une école primaire à Ina, une petite ville de montagne du district de Nagano au Japon. Tant le concours que le mode de concertation qui ont présidé à sa conception sont, pour des Français, originaux. Mais le charme de cette école est ailleurs.
La municipalité d’Ina, située dans les alpes japonaises, a organisé un concours d’architecture pour la démolition et l’extension d’une école primaire. Un des critères de sélection, sinon le principal, était de faire un projet participatif auquel assistent voisins, associations de parents d’élèves, d’anciens élèves et professeurs. Dit autrement, un concours sans projet. «La sélection s’est faite au cours d’un entretien durant lequel nous avons expliqué comment nous envisagions de faire l’école et comment nous envisagions le travail de concertation,» explique Manuel Tardits. Qui précise qu’il s’agit là d’un type de concours qui va en augmentant, le but étant, dans le cadre d’une volonté de démocratisation des procédures de construction publique, de désamorcer en amont les problèmes avec les usagers et les riverains.
L’architecte précise encore qu’il n’y a pas de réglementation précise au Japon régissant les concours, les clients choisissant la méthode qui leur convient. Et, quand il y en a, ces concours sont généralement non rémunérés. Bref, Mikan a remporté le concours de l’école primaire d’Ina avant même d’avoir donné un coup de crayon. C’est de ces ‘ateliers participatifs’, qui auront ici duré deux ans, que naîtra le projet.
Pour les architectes, la difficulté d’une telle procédure est bien sûr de ne pas tomber dans le piège du consensus mou. «Un projet ne peux pas être la somme des ‘je ne veux pas’, il nous fallait donc dans ce contexte imprimer une idée générale forte,» raconte Manuel Tardits. Le projet se caractérise par une structure très rationnelle et répétitive de classes qu’accompagnent des espaces communs d’activités scolaires souples et ouverts. L’austérité extérieure affirmée du bâtiment est contrebalancée par le travail sur les espaces extérieurs (terrain de sport, inclusion d’un cerisier existant, jardin biotope, etc.) encore en devenir. D’autre part le travail sur les intérieurs et les mobiliers en bois, ainsi que celui sur les plafonds à caisson ondulés du premier étage apportent «chaleur et dynamisme»..
Si la ligne du bâtiment apparaît aujourd’hui sur les photos effectivement austère – et encore les architectes de Mikan souhaitaient au départ un ouvrage entièrement noir – il faut garder à l’esprit qu’il fut conçu pour s’intégrer dans un paysage très verdoyant en été. Ce qui n’est encore aujourd’hui qu’un terrain nu sur la façade arrière deviendra un terrain de base-ball et des arbres seront plantés. Le seul jeu bicolore, simple et sobre, des redents de la façade sur rue permet d’offrir de la profondeur et d’atténuer la rigueur de l’ouvrage.
Pour des Français, c’est l’intérieur qui se révèle plus surprenant. Et pas seulement parce qu’il s’agit d’un lieu où chacun enlève ses chaussures en entrant. En effet, un débat est en cours au Japon qui oppose les tenants d’un modèle stéréotypé à classes fermées – le modèle français pour simplifier – et ceux d’un modèle ouvert, sans limites fortes de l’espace. «Comme il s’agissait de notre première école, nous avons fait venir à l’agence des experts et nous avons visité une quinzaine d’établissements relevant de l’un ou l’autre mode de pédagogie,» explique Manuel Tardits. Les architectes ont ainsi découvert que les spécialistes n’avaient pas d’opinions tranchées et que les résultats scolaires des enfants étaient comparables dans les deux types d’école. De ces conférences et consultations de tous ordres, les architectes ont imaginé un parti architectural très intéressant.
Les classes, traditionnelles disons, existent et apparaissent clairement en plan. Mais elles peuvent être largement ouvertes grâce à de grandes portes coulissantes. Elles débouchent de plus sur des couloirs surdimensionnés de 8 mètres de large (mais peut-on encore parler de couloir …) qui deviennent ainsi ce que Manuel Tardits appelle des «zones fluides» qui peuvent être utilisées par les enseignants en petit ou grand groupe. Ces espaces débouchent encore sur une «place intérieure» et des ‘préaux’ protégés, la température pouvant facilement descendre à -10° C en hiver dans cette ville de montagne.
«Nous n’avons pas voulu privilégier une pédagogie. Aussi nous offrons avec ce système de ‘couloirs’ et de portes coulissantes une très grande variété de configuration de l’espace,» explique Manuel Tardits. C’est dans cet esprit que tout le mobilier, conçu par Mikan également, peut également être facilement déplacé, y compris dans les classes elles-mêmes afin que leur espace en soit aisément restructuré. «La richesse ne vient pas des matériaux – la salle de musique est en contreplaqué vernis – mais de l’espace,» insiste l’architecte.
Ce travail sur l’espace est différencié entre le rez-de-chaussée construit en béton brut – règle anti-sismique oblige – et l’étage en structure métallique. En effet, le toit en pente passe de 2,5m à 6m de hauteur sous plafond. Le grand plafond à caissons de la ‘place’ intérieure du rez-de-chaussée se retrouve ainsi décliné de façon plus subtile en faisant «onduler» les grandes hauteurs de l’étage. Dans la bibliothèque ou la salle de musique par exemple, c’est ce plafond qui donne une grande présence à l’espace, permettant ainsi de le meubler à minima. Enfin, même dans l’hypothèse où une configuration d’école «fermée» serait retenue, les impostes vitrées confèrent une grande ouverture sur l’extérieur empêchant ainsi ces vastes volumes de peser sur, voire d’intimider, les élèves.
Quelques détails en guise de dépaysement. Les pastilles blanches visibles à l’entrée des salles de classes sont destinées à être dessinées par les professeurs, une tradition de l’école. Par ailleurs, chaque classe porte le nom d’un arbre fruitier, Mikan ayant fait appel à un graphiste pour réaliser les idéogrammes.
Le plus étonnant peut-être reste que le jeu entre fluidité et espaces fermés, grands volumes et ouvertures vers l’extérieur fait oublier l’extrême rigueur de l’organisation qui apparaît pourtant clairement en plan. A tel point d’ailleurs que les architectes de Mikan, travaillant ici dans une «règle assez stricte» ont éprouvé le besoin de faire appel à des designers extérieurs pour créer des «accidents» et des «surprises» (une série de meubles ‘montagne’ par exemple) dans cette organisation qui semble pourtant, au vu des images, d’une remarquable souplesse.
Au final il reste à noter la volonté du maître d’ouvrage d’offrir à cette réalisation le temps long de la conception. Le concours fut en effet gagné en 2001 mais le bâtiment ne fut livré qu’en 2008. «Dans le cadre de cette très large concertation, tout le monde était néophyte,» souligne Manuel Tardits. «Mais le maître d’ouvrage est très heureux du résultat car cette procédure a justement permis d’éviter les surprises».
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 19 mars 2008