Les élections ordinales des conseillers des conseils régionaux de l’ordre des architectes (CROA) se sont tenues, en un tour, le 11 mars 2024. Des élections souvent atones, en Île-de-France notamment, avec un taux de participation de 15 % environ. Des élections jouées d’avance, surtout là où il n’y avait qu’une liste ?
Toujours est-il qu’à peine sèche l’encre des procès-verbaux, et en attendant l’élection du bureau national en juin, elle aussi jouée d’avance, en une semaine et trois effets ‘kiss cool’, les architectes qui ne se sont pas mobilisés pour voter ont découvert une nouvelle évolution de la gouvernance de l’ordre et de leur façon de bien se tenir entre le faire et le dire.
En effet, deux jours après la promulgation des résultats, les hommes et femmes de l’art ont reçu un tableau avec plein de nouvelles lignes expliquant le nouveau montant, à la hausse le plus souvent – jusqu’à 300% ! – de leur cotisation, avant de prendre connaissance, encore deux jours plus tard, d’un nouveau code de déontologie prérédigé par le ministère de la Culture, avant encore deux jours plus tard, pour les conseillers ordinaux, d’apprendre les règles du nouveau règlement intérieur du CNOA ! Une semaine chargée donc ! Le tout sur fond d’une future Stratégie nationale de l’architecture censée être rédigée d’ici l’été 2024.
Que ces élections n’aient pas passionné les architectes, ce n’est rien de l’écrire. En l’occurrence le taux de participation n’est pas d’un grand secours. S’il est de 15,41 % en Île-de-France, en Guyane : 64 électeurs, 54 votants, 52 suffrages exprimés pour un taux de participation de 81 % ! Disons donc que le CROA Île-de-France, qui regroupe près d’un tiers des architectes français, sur 9 617 électeurs a pu compter seulement 1 215 suffrages exprimés. De la plus grande responsabilisation des conseillers quand ils sont mal élus ? Une situation apparemment francilienne puisque les régions Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, avec trois fois moins d’électeurs, atteignent le même nombre de suffrages exprimés, respectivement 1 138 et 1 037.
Nonobstant le formalisme un peu raide associé à leur constitution, le fait sans doute qu’il n’y ait parfois qu’une seule liste, en Île-de-France et en Bretagne notamment – 436 suffrages exprimés pour cinq sièges à pourvoir – n’est certes pas fait pour susciter l’enthousiasme, encore moins pour empêcher l’ordre d’agir en son nom propre. D’où sans doute la surprise des inscrits au tableau en découvrant au lendemain de ces élections le montant de leur cotisation. En témoigne encore le nouveau règlement intérieur de l’Ordre des architectes. Approuvé par arrêté du ministre de la Culture du 3 janvier 2024, il a été publié au bulletin officiel du ministère de la Culture du 15 mars 2024.
Les plus courageux qui iront jusqu’au bout de ce règlement liront en annexe que l’obligation de réserve des élus pour préserver la confidentialité des décisions ordinales s’impose désormais également à leurs interventions « sur les réseaux sociaux ou à l’occasion de débats publics » qui ne doivent pas être « en contradiction avec les positions du Conseil national ou du Conseil régional ». Sinon quoi, le Goulag ?
Est-ce à dire que le débat est clos ? Le doigt sur la couture désormais les conseillers ordinaux ? Et si Christine Leconte dit qu’il faut sauter du viaduc de Millau parce qu’elle sait nager, tous les conseillers de faire le grand saut de l’ouverture sans moufter ?
De fait, il est regrettable que ces élections n’aient pas suscité plus de débats, sinon de polémiques. L’ordre, sous la férule de sa présidente qui sera réélue en juin, porte aujourd’hui une politique qui pourrait se résumer en deux points : l’ouverture du tableau au plus grand nombre* et la promotion d’une vision dogmatique de l’architecture rendant illégitimes la parole et la pratique de 80 % de la profession qu’il est censé représenter. Heureusement d’ailleurs, soit dit en passant, que Julien de Normandie n’est pas devenu Premier ministre, il aurait alors fallu renommer Woodeum le ministère de la Culture.**
Que la présidente du CNOA soit ambitieuse n’est un mystère pour personne mais ce serait un mauvais procès de critiquer l’ambition – ce pays en manque tant – et à son crédit, vis-à-vis du grand public, elle est parvenue dans les médias à donner une voix à l’architecture ; c’est déjà mieux que rien tant nous avons mémoire de présidents de l’ordre moins actifs. Pour autant, les enjeux de la profession dont elle est garante ne sont pas les débats du grand public et si, à la télé et à la radio, une simplification sémantique est sans doute nécessaire, quitte à s’exposer dans les gazettes grand public – cela fut-il son rôle, ce qui se discute – le mieux est quand même d’éviter la caricature.
En effet, que la présidente du CNOA s’épanche dans les médias pour incarner l’architecture plus joliment qu’un vieux bougre, très bien, pourquoi pas, mais pour dire quoi ?
Ses positions sur la réhabilitation ne sont pas dénuées de sens, et il n’est plus question de systématiquement démolir pour reconstruire mais si poser la question est utile, il faut quand même à la fin ne pas oublier de parler d’architecture. Il y a désormais une confusion dans les esprits des jurés de concours qui confondent frugalité avec misère architecturale. Rudy Ricciotti raconte qu’en 1930, il y avait cent mots pour décrire une façade. « À l’aube du XXIe siècle, il en reste une dizaine. Si l’on a perdu les mots, on a perdu les signes », dit-il. Cinq ou six mots aujourd’hui, le plus souvent utilisés sans rien y comprendre, ni par celui qui les prononce, ni par celui qui les entend.
De fait, quand Christine Leconte tente en substance d’imposer le bois ou explique qu’il ne faut plus construire, non seulement elle sort de son périmètre statutaire mais, surtout, elle restreint le champ de l’architecture et se retrouve à porter une approche dogmatique. Or le dogme en architecture est l’antithèse de l’intelligence puisque le rôle de l’architecte est justement de chercher et trouver des réponses sans a priori.
À l’écouter pourtant, de comprendre que bientôt nul ne fera plus appel à un architecte pour un chantier quelconque puisqu’il sera devenu quelqu’un qui dessine un petit peu mais surtout un conseil ou un conseiller, la raison sans doute pour laquelle l’ordre développe les « métiers de l’architecture », la programmation, la concertation, l’écriture, la médiation, etc. tout ce qui finalement permet de justifier l’ouverture du tableau. Sera architecte qui veut ! Tout comme ces Albums des jeunes architectes et paysagistes (AJAP) 2023 qui innovent avec ces lauréats porteurs de la mention « Autres voies de l’architecture ».*** Celles qui sans doute, aussi loin que Christine Leconte et le ministère de la Culture sont concernés, mènent à Rome…
C’est justement ce que ne veulent ni les syndicats patronaux ni les syndicats de salariés – sachant que 80 % des salariés des agences d’architecture sont des architectes en bonne et due forme et à juste titre fiers du titre – qui dans un bel ensemble proposent au contraire de la multiplication des diplômes, ADE, HMO etc. de revenir à un diplôme unique d’architecte donnant accès à la maîtrise d’œuvre et la liberté laissée aux architectes, dans le cadre de l’intérêt général, de faire au mieux pour leurs clients, publics ou privés.
Autant dire que les institutions françaises de l’architecture ne sont pas toutes sur la même longueur d’onde. Dans un coin, en shorts bleus, le ministère et le CNOA pour l’ouverture du tableau et la poudre aux yeux environnementale ; en face, en shorts rouges, les syndicats et le plus grand nombre des praticiens pour un tableau de professionnels qui savent construire, quel que soit l’environnement. Entre les uns et les autres, un gouffre !
Alors que nombre d’agences loin de Paris frisent la catastrophe et que l’ordre persiste à assurer que tout va bien, qu’il n’y a qu’à rénover en silence avec de la paille, il est finalement surprenant que la situation actuelle de l’architecture ne mette pas plus de monde en colère.
Pour les architectes, après la réélection en juin prochain de Christine Leconte, prévoir donc durant la semaine qui suit un nouvel effet ‘kiss cool’ ! Oui chef !
Christophe Leray
*Lire Pour le CNOA, les « vrais » architectes ont vécu, vive les « nouveaux » architectes
** Lire Faut-il cesser le cirque de la construction bois en France ?
*** Pour la première fois en 2024 et à titre expérimental le palmarès a été ouvert aux diplômés en architecture, « qui n’exercent pas la maîtrise d’œuvre en leur nom propre mais qui explorent d’autres voies professionnelles grâce à leurs compétences en architecture en tant que salariés ou entrepreneurs dans des domaines tels que : représentation graphique et maquette, maîtrise d’œuvre d’exécution, maîtrise d’ouvrage, planification, scénographie, médiation culturelle etc… », explique le ministère de la Culture.
Le jury a dans ce cadre également souligné « l’intérêt du parcours de certains candidats qui permettent de diffuser l’architecture dans divers milieux, que ce soit au sein de collectivités territoriales ou pour répondre à des enjeux particuliers de société ». Allez Leray, encore un effort dans les pince-fesses et même toi tu seras bientôt architecte !