Mayotte, confetti volcanique de 374 km² au cœur du canal du Mozambique ne connaît pas sa population exacte. Sur une île avec tant de besoins de logements et d’équipements publics, comment faire ?
Le département de Mayotte (‘Maoré’ en shimaoré, la seconde langue la plus parlée sur l’île après le Français) est constitué de plusieurs îles au coeur du canal du Mozambique et au nord de Madagascar. L’île aux parfums, qui doit son nom à la culture locale de l’Ylang-ylang et de la vanille fait partie de l’archipel des Comores.
D’abord, les chiffres. Selon la dernière étude de l’Insee publiée le 10 octobre 2022, Mayotte comptait 256 500 habitants en 2017. Un habitant sur deux a moins de 18 ans. En 2018, la moitié de la population a un niveau de vie inférieur à 3 140 euros par an, ce qui en fait la région la plus pauvre de France avec un taux de pauvreté de 77%. Sans surprise, 33% de la population souffre d’illettrisme et seulement 10,8% des Mahorais sont bacheliers. Les facteurs sont multiples cependant, le manque crucial d’équipements scolaires étant déjà un indice.
Passés les calculs officiels, la réalité insulaire est encore plus précaire. Notamment parce que Mayotte est une bombe démographique à retardement. Le 22 novembre 2022, Ben Issa Ousseni, le président du conseil départemental évoquait une population à 299 350 habitants quand le préfet avait annoncé en 2020 distribuer 450 000 masques sanitaires, en comptant une unité par adulte. La Chambre régionale des comptes a quant-à-elle publié un rapport en juin 2022 tablant plutôt sur un chiffre « entre 350 000 et 400 000 habitants ». Enfin, l’OCDE enfonçait le clou en utilisant la consommation de riz comme donnée complémentaire au recensement. Le département compterait de ce point de vue 653 742 âmes !
Comment expliquer ce delta qui triplerait presque la population officielle d’un si petit caillou ? Une piste, Mayotte est depuis de nombreuse année la terre d’accueil de milliers de Comoriens qui s’entassent sur des kwassa-kwassa (des canots traditionnels) sur les 70 km qui sépare Mayotte de l’archipel, quarante fois plus pauvre.
Rappelons à ce sujet l’histoire de l’île. En 1841, le sultan Andriantsoly, vend Mayotte à la France pour échapper aux attaques et velléités de domination des voisins comoriens et malgaches. Le reste des îles de l’archipel comorien rejoindra plus tard le protectorat français. Mais en 1972, les Comores font partie de la liste de l’ONU des pays à décoloniser. Le 22 décembre 1974, un référendum est organisé sur chacune des îles, dont la majorité accepte l’indépendance, exceptée Mayotte, dont le choix est confirmé par un second scrutin l’année suivante. Le 31 mars 2011, elle devient officiellement le 101ème département français… mais pas le plus ancien !
Depuis, les îles des Comores se sont appauvries causant l’exil de milliers d’habitants chaque année. Cette réalité de l’immigration est difficilement perçue. L’Insee avance le chiffre de 32 500 entrées sur le territoire qui s’effectueraient annuellement sur la période 2012-2017. Un chiffre à mettre en parallèle des 20 000 départs annuels. Mais l’augmentation de la population est aussi au crédit d’une très forte natalité. Le département voit sa population croître chaque année de 3,8% (contre péniblement 0,4% en Ile-de-France par exemple), ce qui fait que Mayotte est reconnue comme la première maternité sinon d’Europe, au moins de France.
Comment orienter des politiques publiques quand le sujet crucial de la population, si fragile, est incertain ? Une complexité pour les collectivités qui doivent savoir se doter d’infrastructures (écoles, logements, hôpitaux…) en conséquence sans bien savoir calibrer le besoin.
Aujourd’hui, de nombreux projets publics, financés par l’État, la région, le département et le FEDER (fonds européen de développement régional) voient le jour puisque tout est à faire. Ce 4 novembre, la société immobilière de Mayotte (SIM) annonçait viser un patrimoine immobilier de 7 140 logements en 2030, contre 2 433 actuellement, avec l’ambition d’atteindre 4 700 logements sociaux dont 60 % très sociaux. « La SIM a déjà amorcé une dynamique de développement très soutenue, avec en moyenne 550 logements mis en chantier chaque année », soulignait Ahmed Ali Mondroha, directeur général du bailleur*. Il s’agit d’un milliard d’investissement, appuyé par CDC Habitat, filiale immobilière de la Caisse des Dépôts. Ce milliard ne sera sans doute pas suffisant.
Au total, en 2022, 394 logements sociaux et très sociaux ont été livrés à Mayotte dont 158 à Mamoudzou, 118 à Dzaoudzi-Labattoir, 56 à Dembéni, 36 à Chirongui et 26 à Tsingoni. 569 logements ont été mis en chantier sur la même période. Pour Mayotte c’est beaucoup, mais pas assez pour loger dignement les milliers d’habitants qui vivent dans des bidonvilles dignes des pays les plus pauvres de la planète.
Le vice-rectorat et le rectorat, qui gèrent les équipements scolaires et sportifs, sont bien moins bavards concernant les mises en chantier. Cependant, de nombreux concours en marchés publics ont été lancés ces dernières années pour la construction d’écoles ou d’équipements sportifs, avec des ambitions environnementales affirmées mais tributaires des données démographiques erronées. Chaque jour, ce sont au moins vingt-six bébés qui naissent à Mayotte ! L’équivalent d’une salle de classe à construire ! Là encore, tout reste à faire. Le premier collège n’a ouvert qu’en 1963 à Dzaoudzi, le premier lycée en 1976 à Mamoudzou. Les écoles maternelles publiques, elles, datent de 1993.
Avec des concours pour un aéroport, des gymnases, des piscines dont une olympique, des lycées, des écoles de toutes tailles, des sièges d’institutions publiques … pour les architectes, Mayotte constitue un terrain de jeu stimulant. « Nous sommes environ six agences structurées sur l’île », explique Stéphane Aimé, architecte et associé de l’agence mahoraise Tand’M Architectes qui se positionne sur des projets variés dont des écoles ou encore sur la première piscine publique de Mayotte.
« Cependant, malgré ces nombreux appels d’offres, il y a peu d’entreprises pour construire. Le résultat est qu’elles pratiquent les prix qu’elles veulent. Elles subissent aussi un manque de savoir-faire général », regrette-t-il. De plus, comme partout, les prix augmentent de façon exponentielle alors que les coûts de constructions sont déjà supérieurs de 40% à ceux pratiqués en métropole. À cela s’ajoutent la hausse du prix des matériaux ainsi que celui du transport des marchandises.
Le foisonnement des projets a d’ailleurs aiguisé l’appétit d’agences métropolitaines qui s’associent à des expériences locales. « Elles apportent du savoir-faire. Cependant, elles ne connaissent pas toujours les difficultés de la construction ici. Nous savons ce qu’on peut demander aux entreprises, ce qu’elles sauront réaliser et à quel niveau de détails », souligne Stéphane Aimé. Si les délais risquent d’être de moins en moins respectés, il est malheureusement aisé d’imaginer que certains projets grandiloquents ne ressembleront pas aux belles perspectives vendues au rectorat pour plusieurs dizaines de millions d’euros.
Malgré des maîtrises d’ouvrage encore frileuses, cette émulation nécessaire en ces temps de difficultés économiques permet de proposer un retour aux traditions constructives locales, ce qui n’est pourtant pas une mince affaire. Des agences comme Encore Heureux ou l’Atelier Architectes souhaitent relancer des filières pour assoir la qualité environnementale et sociale des projets, notamment avec la BTC (brique de terre compressée) ou le développement de filière bambou. « Cependant, nous nous heurtons rapidement aux réalités réglementaires, économiques, mais aussi à la perte de savoir-faire sur la BTC et à une certaine réticence des Mahorais eux-mêmes », ajoute Stéphane Aimé.
Population incertaine, coût de construction explosif, Mayotte doit aussi faire face à une réalité climatique et géographique préoccupante. Si l’archipel est relativement préservé des vents et des cyclones, les fortes pluies sont un fléau difficile à gérer sur un territoire où l’infrastructure routière est en si piteux état. Mais, surtout, ce qui inquiète est le risque d’éruption volcanique sous-marine.
La reprise d’une activité sismo-volcanique enregistrée en mai 2018 a de quoi inquiéter. Un volcan sous-marin actif, le Fani Maoré, à 3 500 mètres de profondeur et à environ 50 km au large des côtes de Mayotte a été découvert en 2019. Depuis, l’île s’est enfoncée de 10 à 19 cm et s’est déplacée vers l’est de 21 à 25 cm. C’est comme si Mayotte avait vieilli de presque 700 ans en trois ans.
Il ne manquait plus qu’un risque de submersion pour impacter un microcosme local si fragile.
Léa Muller
* Un milliard d’euros sera investi d’ici 2030 pour augmenter l’offre de logement, Mayotte Hebdo du 4 novembre 2022 par Jéromine Doux.
– MAJ le 30/11 à 10h55