Le Tour de France 2023 s’élancera de Bilbao en Espagne le samedi 1er juillet 2023 pour une arrivée à Paris le dimanche 23. Comme les équipes de coureurs reconnaissent les étapes en amont, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques d’architecture, pour leur sixième participation, en font désormais autant. Echauffement avec la découverte du centre-bourg de Novalaise (Savoie), un « aménagement (?) » radical et poétique signé Patay Architectes.
Pour cette première journée de reconnaissance, malgré les frimas de janvier, une halte s’impose à Novalaise, exactement sur le tracé de la 18ème étape qui, le 20 juillet emmènera sur 186 km le peloton et sa caravane de Moûtiers (Savoie) à Bourg-en-Bresse (Ain). La commune de Novalaise, qui borde les rives du lac d’Aiguebelette, offrira aux suiveurs la possibilité de découvrir un projet exemplaire, à bien des égards, de la commande et de l’architecture locale.
La commande d’abord, un énième, serait-on tenté de dire, réaménagement de centre-bourg qui parsème les programmations locales. Demande logique de bourgs qui, en pleine recomposition au fil des mouvements de population successifs, cherchent à reconfigurer leur centre en complément des inévitables constructions de lotissements et logements collectifs. Comme bon nombre de communes de l’Arc Alpin, Novalaise a besoin de repenser son centre-bourg pour lui conserver son attractivité et offrir aux habitants une qualité de vie locale à taille humaine à portée de main, de coup de pédale et de promenade.
Le programme embrasse ici un concentré chimiquement pur de ces demandes et besoins : un aménagement de la place du Bourniau, une halle de marché, des commerces et des logements. Il doit incarner une centralité géographique et de fonction.
L’agence Patey Architectes a répondu à cette demande avec une proposition malicieusement habile, à la fois radicale et amicale. Le bâtiment principal est tout simplement coupé par la route qui le traverse, instaurant ainsi une position classique de centre-bourg où les constructions séculaires frappent les alignements jusqu’aux frottements avec les véhicules.
Ici, point de retraits ou de pudeurs urbanistiques : le bâtiment est la limite de la voirie en assumant son rôle de porte d’entrée dans la commune. Son gabarit et sa faille dominent les voitures, leur intimant, en les surplombant, de ralentir car ici commence la vie du centre.
Cette tranchée théorique l’est tout autant sur le plan formel. Le bâtiment matérialise une faille qui n’est rien d’autre que la soustraction pure et simple d’une partie du volume laissant apparaître deux pignons animés d’ouvertures ‘désordonnancées’ à la manière de certaines constructions vernaculaires.
« C’est un petit bâtiment mais c’est un bâtiment très important pour le village. L’idée était de donner l’impression que le bâtiment construit avait toujours été là, tout en créant un dispositif urbain nouveau : nous avons coupé franchement le grand volume monolithique du bâtiment pour que la rue retrouve son lit d’origine. Les voitures qui circulent ont conscience de passer la porte du village, ce qui les fait considérablement ralentir », précise Christian Patey de l’agence éponyme.
Le dispositif est clair, ici la place au cœur du village, là le bâti à l’entrée du bourg. Une des deux parties du bâtiment, en lien avec la place, accueille la halle de marché. Sa composition rend hommage à l’architecture agricole locale ; des murs épais qui supportent une charpente bois. Les grands murs à l’allure de pignons déploient une matérialité minérale porteuse des traces du travail des artisans. Le béton coffré à l’aide de fonds de banche à la trame courte et bouchardé « a fresco » après décoffrage, rend hommage à la construction séculaire locale où les traces des méthodologies constructives fabriquent la matérialité des ouvrages. Il est à tout à la fois rugueux et doux et semble être ici depuis bien longtemps.
« Il fallait une dimension sensuelle, naturelle car il ne faut pas être en affrontement, il faut qu’on se glisse dans un village et qu’on sente la main de l’homme derrière. La matérialité était donc centrale, à la fois par le choix des matériaux et par le travail avec les artisans », souligne l’architecte, à juste titre.
A l’intérieur, dans la halle, une charpente bois traditionnelle offre au regard un ouvrage complexe et élégant. Il s’inscrit là aussi à la fois dans les traditions locales et son époque. La conception transparaît au gré des épaisseurs et des positions, entraits, poinçons, flèches, contre-flèches, arbalétriers organisent les efforts et fabriquent l’espace. Le plaisir de concevoir et l’habilité à réaliser transparaissent et s’inscrivent dans la longue tradition de l’exigence du compagnonnage.
L’élégance de la conception et de la mise en œuvre se parachèvent dans le dessin des toitures en tuile qui, pour tenir le volume monolithique, ne procède d’aucun débord superflu ou de descentes d’eaux arrivées là par hasard ou par la grâce du Saint-Esprit en dehors de tout plan d’exécution. Elles sont ici au bon endroit, celui du dessin. Les cheneaux « à la nantaise » complètent l’ensemble.
« Nous avons fait en sorte qu’aucun élément ne vienne contrarier les grands pans de la toiture, pas d’éléments techniques visibles par exemple, et un travail sur les détails des chéneaux et des faîtages avec des lignes plutôt sobres et contemporaines », poursuit l’homme de l’art.
Le second volume, de conception gémellaire, donne à imaginer un temps mythologique où les deux volumes devaient ne faire qu’un puisqu’ils procèdent d’évidence des mêmes dispositifs architectoniques. Ce bâtiment abrite au rez-de-chaussée une pharmacie et aux étages des logements. Le mur pignon, fruit du passage de la voie, opère en partie comme un filtre pour protéger opportunément l’accès des logements et installer la rampe PMR.
L’ensemble propose une réponse complète et ambitieuse à ce besoin local d’opérations de requalification des centre-bourg. Il apparaît comme une sorte de manifeste et, par l’exemple, démontre aux élus de la région en phase de réflexion que des réponses efficaces et réjouissantes à leurs problématiques existent et qu’il est possible de fabriquer un réel digne, efficace et poétique.
En cette première journée de reconnaissance qui présage d’autres découvertes, cette réalisation a aiguisé l’appétit des suiveurs. Un arrêt au bord du lac d’Aiguebellette, au restaurant Les Roselières, a permis de se requinquer avec un plat de circonstances ; des Cannelloni aux Ecrevisses locales. Rien de mieux que des féculents associés à un crustacé alpin, le tout accompagné avec modération d’un vin Blanc de Jongieux, frais et local, pour affronter la fin de l’étape.
Guillaume Girod (en reconnaissance d’étape)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Les reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Le Tour de France contemporain 2022 : Les reconnaissances et les étapes
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018